Analyse
Prison ou pauvreté :
l’impossible choix des réfugiés expulsés
d’Israël
IRIN
Vue sur
l’extérieur, à travers la clôture du
centre de détention « ouvert » d’Holot
Photo:
Kate
Shuttleworth/IRIN
JÉRUSALEM/KAMPALA, 20 avril 2015 (IRIN)
Pour les demandeurs d’asile érythréens
et soudanais du centre de détention d’Holot
(Israël) menacés d’expulsion, l’avenir
s’annonce sombre. Ceux qui sont déjà
passés par là décrivent une existence au
jour le jour en Ouganda ou une absence
de liberté de mouvement au Rwanda.
« Il n’y avait aucune différence avec la
vie en Israël », a dit à IRIN Abush
Mekonen, l’un des huit demandeurs
d’asile érythréens expulsés vers le
Rwanda en juillet 2014. M. Mekonen a dit
qu’on leur avait promis un emploi au
Rwanda, mais qu’au lieu de cela ils ont
été confinés dans un hôtel. « Nous
n’étions pas autorisés à bouger ou à
sortir. »
Depuis l’année dernière, Israël
encourage les demandeurs d’asile à
quitter le pays en l’échange d’une
indemnité unique de 3 500 dollars et
d’un billet aller pour leur pays
d’origine ou un pays tiers « sûr » en
Afrique.
Fin mars, le ministre de l’Intérieur
Gilad Erdan a accordé aux demandeurs
d’asile un délai de 30 jours pour
retourner dans leur pays d’origine ou
accepter d’être expulsés «
volontairement ». En cas de refus de se
soumettre à l’une ou l’autre de ces deux
options, une audience aura lieu,
susceptible d’aboutir à leur mise en
détention illimitée au centre de
détention de Sa’aronim pour migrants
illégaux.
L’année dernière, environ 7 000
demandeurs d’asile ont choisi de
retourner dans leur pays d’origine, et 1
500 ont opté pour l’expulsion
prétendument volontaire vers des pays
tiers, d’après les chiffres du ministère
de l’Immigration. Bien que le
gouvernement n’ait pas précisé vers
quels pays ont lieu les expulsions, des
témoignages recueillis auprès des
intéressés suggèrent qu’il s’agirait de
l’Ouganda et du Rwanda.
« La vie était dure en Israël. Nous
étions confinés dans le centre de
détention ; nous ne pouvions pas bouger.
Notre seule activité consistait à manger
et dormir », a dit M. Mekonen, en se
souvenant de sa décision de rejoindre le
Rwanda.
Il n’était pas envisageable de rentrer
en Érythrée, a-t-il ajouté. « Si j’avais
accepté de retourner chez moi, on
m’aurait directement mis en prison. Nous
n’avions pas le choix ; nous avons opté
pour l’expulsion vers le Rwanda. »
Miki Bereket, un autre demandeur d’asile
érythréen expulsé en juillet dernier, a
dit que deux autres options avaient
initialement été proposées au groupe
avant de leur annoncer que ce serait le
Rwanda.
« Quand nous sommes arrivés là-bas, nous
avons compris qu’on ne voulait pas de
nous au Rwanda non plus », a-t-il dit à
IRIN. Le président rwandais Paul Kagame
aurait confirmé être sur le point de
conclure un accord avec Israël pour
accepter certains des demandeurs d’asile
dont le pays ne veut pas.
Le commissaire ougandais aux affaires
des réfugiés, David Apollo Kazungu, a
dit à IRIN que son gouvernement n’avait
jamais conclu de tel accord avec Israël.
« Il ne s’agit que de rumeurs », a-t-il
dit. « Vous pouvez demander aux
Israéliens de vous montrer l’accord que
nous aurions prétendument signé avec
eux. »
Cependant, l’ONG Hotline for Refugees
and Migrant Workers [Ligne d’assistance
téléphonique pour réfugiés et
travailleurs migrants] s’est entretenue
avec des demandeurs d’asile ayant déjà
été expulsés, aussi bien au Rwanda qu’en
Ouganda. Reut Michaeli, le directeur
exécutif de la ligne d’assistance, a dit
que leurs témoignages démontraient
qu’aucun de ces deux pays ne pouvait
être considéré comme « sûr ».
« Les demandeurs d’asile se voient
confisquer leurs documents et leur
argent à leur arrivée d’Israël, et leur
expulsion ne leur donne droit à aucun
statut légal ou aucune protection
officielle », a-t-il dit à IRIN. « Ils
sont contraints de continuer à chercher
refuge ailleurs, et sont exposés aux
abus et à l’exploitation. »
M. Michaeli a qualifié le transfert de
demandeurs d’asile vers des pays tiers
sans accord et sans engagement relatif à
leur protection de « violation flagrante
du droit international ».
Après deux semaines au Rwanda, les
agents d’immigration ont délivré aux
Érythréens des documents de voyage
temporaires les autorisant à poursuivre
leur voyage. Certains se sont rendus au
Soudan ou en Lybie dans l’espoir de
rejoindre l’Europe, mais M. Mekonen et
M. Bereket ont décidé de tenter leur
chance en Ouganda, où ils ont déposé une
demande d’asile.
« L’Ouganda est un pays libre », a dit
M. Bereket lors d’un entretien avec IRIN
à Kampala, la capitale. « Mais il est
difficile de se débrouiller et de
survivre en Ouganda sans argent. »
Ils ont dépensé l’indemnité de 3 500
dollars reçue de la part des autorités
israéliennes, et leur statut de
demandeurs d’asile ne leur permet pas de
travailler.
« Nous devons survivre avec un repas par
jour. Certains jours, nous n’avons rien
à manger », a dit M. Bereket. « J’ai
réussi à me trouver une petite amie, ça
fait partie de ma stratégie de survie.
Au moins je sais que j’aurai quelque
chose à manger. »
« Nous espérons obtenir bientôt le
statut de réfugiés à part entière. Nous
demandons au gouvernement ougandais de
nous accorder sa protection et le statut
de réfugié afin que nous puissions
trouver un emploi et gagner notre vie. »
Bien qu’il leur faille lutter pour
survivre en Ouganda, M. Mekonen a dit
que la vie y était « plus juste » qu’en
Israël ou au Rwanda.
« Au moins je suis libre », a-t-il dit à
IRIN.
« Je choisirai la détention
illimitée »
Pour d’autres demandeurs d’asile
érythréens et soudanais se trouvant
toujours en Israël, la perspective
d’être placés en détention illimitée
leur semble préférable à une expulsion
incertaine vers un pays tiers. Aman
Beyene, 38 ans, a dit que son ami
regrettait d’avoir accepté l’expulsion
volontaire vers l’Ouganda en mai 2014.
D’après M. Beyene, lorsque son ami est
arrivé en Ouganda, la police l’attendait
à l’aéroport. Après plusieurs heures
d’interrogatoire, il s’est vu confisquer
tous ses papiers.
« Il s’est rendu dans les bureaux du HCR
[Haut Commissariat des Nations unies
pour les réfugiés] pour leur exposer sa
situation, mais on lui a répondu qu’ils
ne pouvaient pas l’accepter car il avait
quitté Israël volontairement.
Aujourd’hui il se cache, sans travail,
sans moyen de s’alimenter et s’ils le
retrouvent il se fera arrêter. »
M. Beyene craint de connaître le même
sort. Il a quitté l’Érythrée en 2008
après avoir été incarcéré et torturé
pour s’être soustrait au service
militaire. Sa demande d’asile en Israël
a été rejetée l’année dernière, et il
vit depuis à Holot, un centre « ouvert »
dans le désert du Néguev, au sud
d’Israël.
« J’irai là où Israël peut me garantir
que je serai protégé, mais en attendant
je préfère la détention illimitée au
Rwanda ou à l’Ouganda », a dit M. Beyene
à IRIN.
Le centre d’Holot a été construit suite
à une décision de la Cour suprême de
2013 selon laquelle l’incarcération sans
procès de migrants à Sa’aronim pour une
période allant jusqu’à trois ans était
contraire à la loi. La Cour a
ordonné la remise en liberté des
migrants et demandeurs d’asile
incarcérés dans les prisons de Sa’aronim
et Ktziot sous 90 jours. Le gouvernement
a réagi en votant une loi réduisant la
période de détention à un an, mais
autorisant une détention illimitée dans
des centres « ouverts ».
Des
demandeurs d’asile manifestent à
Jérusalem peu de temps avant
d’être arrêtés et renvoyés à Holot
(décembre 2013)
Photo:
Shahar
Shoam/IRIN
Le recours systématique à la détention
illimitée a conduit la Haute cour de
justice d’Israël à ordonner la fermeture
du centre d’Holot en septembre dernier.
Le gouvernement a alors amendé la loi,
en limitant la détention à Holot à 20
mois. M. Michaeli de l’ONG Hotline for
Refugees and Migrant Workers a dit que
cette nouvelle politique d’expulsion «
volontaire » était un moyen de
contourner cette limite de 20 mois.
Cette politique sera initialement
appliquée à 2 000 demandeurs d’asile
incarcérés à Holot. Il a déjà été
notifié à 17 détenus qu’ils avaient un
mois pour accepter d’être expulsés ou
être transférés à Sa’aronim.
On estime à 43 000 le nombre de
ressortissants érythréens et soudanais
vivant actuellement en Israël. Selon le
droit international relatif aux
réfugiés, il est interdit de les
renvoyer vers leur pays d’origine compte
tenu de la forte probabilité qu’ils y
soient persécutés.
Israël, qui a ratifié la Convention de
1951 relative au statut des réfugiés,
affiche pourtant l’un des taux de
reconnaissance des réfugiés les plus
faibles au monde – il n’a accordé le
statut de réfugié qu’à 200 demandeurs
d’asile ces 60 dernières années.
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© IRIN 2015. Tous droits réservés.
Publié le 24 avril 2015 avec l'aimable
autorisation de l'IRIN
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