Palestine
Journal de Gaza : la vie sous les
assauts d’Israël
IRIN
Un
bombardement vu depuis la fenêtre d’Haytham
Photo: Haytham Besaiso/IRIN
GAZA, 11
août 2014 (IRIN)
Environ dix secondes
s’écoulent, ou du moins semblent
s’écouler, entre le lancement d’un
missile et l’explosion dévastatrice de
l’impact. Ce sont les instants les plus
sombres de ma vie. Alors que le bruit
s’intensifie à mesure que le missile
tombe, mon estomac se noue, je ferme les
yeux et je pense à ma famille. Le film
de ma vie défile devant mes yeux le
temps de découvrir si, cette fois, c’est
vraiment la fin.
Puis vient l’explosion – parfois un
fracas lointain, d’autres une
déflagration assourdissante. Je pousse
un soupir de soulagement, tout en
sachant que c’est la vie d’une autre
famille qui vient d’être détruite. Mais
ce sursis n’est toujours que temporaire.
Ces instants se répètent des dizaines de
fois par nuit depuis un mois, depuis
qu’Israël a commencé ses frappes contre
Gaza, la petite enclave palestinienne
dans laquelle je vis.
Pendant les attaques, vous abandonnez
l’idée de dormir normalement. Les
frappes aériennes et les pilonnages
rendent cela impossible. Se coucher dans
son propre lit près d’une fenêtre
augmente le risque de blessures si les
carreaux volent en éclat. J’ai donc
temporairement installé un matelas sous
les escaliers. C’est là que je dors,
réduisant ainsi, ne serait-ce qu’un peu,
le risque que la prochaine bombe soit la
dernière pour moi. Parfois, je suis
tellement épuisé que je sombre dans un
sommeil si profond que je n’entends même
pas les explosions à quelques mètres de
chez moi.
C’est après une de ces nuits la semaine
dernière que j’ai appris au réveil que
la mosquée où j’allais prier et
l’université dans laquelle j’étudiais
avaient été touchées. Elles avaient
toutes deux été en partie détruites par
les attaques de la nuit. J’avais passé
plus de cinq ans dans la prestigieuse
université islamique de Gaza, d’abord en
tant que simple étudiant, puis comme
assistant à l’enseignement. Lorsque j’ai
appris la nouvelle, j’ai été submergé
par le chagrin. Je sentais que ma vie
était en train d’être anéantie, que mes
souvenirs les plus précieux étaient
systématiquement détruits.
Dans un endroit aussi petit que la bande
de Gaza – qui ne fait même pas la moitié
de la taille de New York – on n’est en
sécurité nulle part. Mon quartier, qui
borde la plage à l’ouest de la ville de
Gaza, n’était pas au centre de
l’offensive terrestre, mais il n’a pas
eu beaucoup plus de chance que les
autres. Un immeuble résidentiel à
quelques mètres de chez moi a été
détruit et le secteur a subi
d’importants dégâts.
Depuis que la seule centrale électrique
de Gaza a été
détruite, nous sommes plongés dans
l’obscurité. Les plus chanceux avaient
de l’électricité pendant une heure ou
deux par jour, mais ces derniers jours,
même eux n’ont plus rien. Ma famille
possède un groupe électrogène que nous
allumons de temps en temps pour voir les
informations, mais ça coûte cher et le
diesel est difficile à trouver. Le reste
du temps, nous restons assis et nous
écoutons souvent les nouvelles à la
radio locale. Chaque bulletin rapporte
son lot de nouvelles tragédies, de
civils tués par des attaquants qu’ils
n’ont même jamais vus. Plus j’écoute,
plus j’enrage à l’idée que le monde nous
regarde mourir. Je finis toujours par
éteindre la radio.
La mosquée
que fréquentait Haytham
Photo: Haytham Besaiso/IRIN
À la maison, les produits de première
nécessité commencent à manquer. Le
cessez-le-feu de 72 heures a un peu
amélioré la situation, mais chaque jour
demeure une bataille pour obtenir ce
dont nous avons besoin pour survivre, ne
serait-ce que de l’eau potable et de la
nourriture.
Des égouts qui débordent
Chez moi, nous n’avons plus l’eau
courante depuis plusieurs jours et les
égouts débordent. Pour avoir de l’eau
non potable pour la lessive, la
vaisselle et le ménage, nous devons
appeler une entreprise privée pour
remplir notre réservoir. Ces derniers
jours, même cette ressource s’est
épuisée. La destruction des
infrastructures d’eau est telle que même
les entreprises privées n’ont plus rien
à vendre. Nous économisons donc l’eau en
utilisant les eaux grises pour les
toilettes.
Les rares fois où je me suis risqué à
sortir pendant les attaques, les scènes
auxquelles j’ai assisté sont restées
gravées dans ma mémoire. Des enfants qui
courent dans tous les sens, risquant
leur vie pour remplir d’eau des
bouteilles vides, d’autres faisant la
queue pour acheter du pain. C’est trop
douloureux d’y penser.
La fin du cessez-le-feu approche, mais
nous ne
savons pas vraiment ce qui va se
passer ensuite. Nous avons fait des
réserves pour la prochaine série
d’attaques. J’ai assez d’eau potable
pour tenir dix jours et j’ai fait le
plein de boîtes de conserve. Nous avons
aussi acheté de la viande et des
légumes, mais ils ne vont pas durer
longtemps – pas plus d’un jour ou deux –
sans électricité. Si le pain rassit,
nous pouvons l’humidifier et le passer
au four pour qu’il soit à nouveau
mangeable.
De nombreux Palestiniens sont fatigués
et tristes. Dans le reste du monde, j’ai
26 ans, mais ici à Gaza, notre mesure du
temps est différente : je suis âgé de
trois guerres. Ces longues années
d’attaques israéliennes nous ont usés.
Lorsque j’ai obtenu mon diplôme, j’ai eu
la possibilité de travailler dans de
nombreux pays. Mais je suis rentré à
Gaza pour reconstruire la ville que je
connais et que j’aime. Maintenant, nous
devons tout recommencer.
Mais nous partageons tous le même esprit
de résilience. Nous avons perdu de
nombreuses vies dans ce conflit. Mais si
c’est le prix de changements à long
terme, si cela permet de mettre fin au
siège et d’obtenir notre liberté, nous
n’avons pas d’autre choix que
d’encaisser. Sinon, nous ne ferions que
remplacer la mort rapide causée par une
frappe aérienne par la mort lente causée
par le blocus.
Haytham Besaiso est un ingénieur du
génie civil titulaire d’une maîtrise ès
sciences de l’université de Manchester
au Royaume-Uni.
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Publié le 13 août 2014 avec l'aimable
autorisation de l'IRIN
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