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Abu Bakr al-Baghdadi : fabriqué et tué
par la CIA
Marc Vandepitte
Vendredi 1er novembre 2019 Maintenant
qu’Abou Bakr al-Baghdadi, le dirigeant
de l’EI, a été éliminé, beaucoup
manifestent leur joie et leur
soulagement aux États-Unis et en
Occident. Ce qu’ils ne disent pas, c’est
que ce groupe terroriste barbare est un
produit de leur propre politique
étrangère dans la région.
L’émergence de
l’EI
En 2003, les
États-Unis et la Grande-Bretagne ont
envahi l’Irak. À l’époque, il était peu
question d’Al-Qaïda ou d’autres groupes
terroristes djihadistes dans la région.
Après l’invasion, l’armée US a été
confrontée à un violent soulèvement.
Pour l’écraser, des
escadrons de la mort ont été
utilisés, exactement comme en Amérique
latine, avec ce que les Américains
avaient appelé
«l’option Salvador». De plus, dans
cette sale guerre, sunnites et chiites
ont été
délibérément montés les uns contre les
autres, la tactique consistant à
diviser pour régner. C’est dans cette
orgie de violences sectaires provoquées
qu’Al-Qaïda s’implanta en Irak sous le
nom d’ «État islamique d’Irak» (EII).
Puis vint le
prétendu printemps arabe de 2011. Pour
renverser Kadhafi, l’OTAN collabora avec
le
Groupe de combat islamique libyen
(GCIL) sous la direction d’Abdelhakim
Belhaj, ancien dirigeant d’Al-Qaïda
en Libye. Lorsque le soulèvement a
commencé en Syrie, Belhaj a envoyé des
centaines de combattants armés dans
ce pays pour expulser Assad du pouvoir.
Les
services de sécurité des États-Unis et
de la Grande-Bretagne ont coopéré
pour transférer les arsenaux libyens
vers les rebelles syriens.
En 2012, les
États-Unis, la Turquie et la Jordanie
ont mis en place
un camp d’entraînement pour les
rebelles syriens à Safawi, dans le nord
de la Jordanie. Des
instructeurs français et britanniques
étaient également impliqués. Certaines
parties de ces groupes rebelles allaient
plus tard
rejoindre l’État islamique.
Il y avait de
nombreux Syriens dans les rangs
d’Al-Qaïda en Irak. Au début de la
guerre civile en Syrie, beaucoup d’entre
eux sont rentrés dans leur pays
d’origine pour établir le Front al-Nusra.
En avril 2013,
Abou Bakr al-Baghdadi, dirigeant de
l’EII, a déclaré que son groupe et Al-Nusra
avaient fusionné sous le nom d’État
islamique d’Irak et du Levant (EIIL),
puis d’un État islamique d’Irak et de
Syrie (EIIS, connu sous le nom d’ISIS en
anglais). Al-Qaïda s’en est toutefois
éloignée et les deux organisations
terroristes ont suivi leur propre
chemin.
C’est dans ce
nid de guêpes qu’ISIS, appelée plus
tard IS, a pris naissance et est devenu
puissant. L’organisation terroriste
s’est développée rapidement, a conquis
beaucoup de terrain à partir de 2014 et
s’est proclamée califat en juin de la
même année. Les
services de renseignement militaires US
(DIA) savaient depuis quelque temps
qu’un tel califat était en préparation.
Mais, selon
Michael Flynn, ancien conseiller à
la sécurité nationale du président
Trump, le gouvernement US a détourné le
regard. Un tel califat constituait un
excellent
tampon sunnite pour affaiblir la
Syrie et réduire l’influence de l’Iran
chiite.
Graham Fuller, l’un des analystes
les plus respectés du Moyen-Orient et
ancien agent de la CIA, est très clair:
« Je pense que les États-Unis sont
l’un des principaux créateurs d’ISIS.
Les États-Unis n’avaient pas prévu la
formation du groupe État islamique, mais
leurs interventions destructrices au
Moyen-Orient et la guerre en Irak
étaient les causes fondamentales de la
naissance du groupe État islamique.
»
Rien de nouveau
sous le soleil
Le flirt du
Pentagone avec des groupes islamistes
extrémistes n’est pas nouveau.
Rappelez-vous les
moudjahidines, à partir de 1979, ils
ont été recrutés, armés et entraînés par
les États-Unis pour renverser le
gouvernement communiste d’Afghanistan.
Rambo 3 de Sylvester Stallone est une
version hollywoodienne de cette
collaboration. C’est à partir de ces
groupes de moudjahidines qu’Al-Qaïda et
Oussama Ben Laden sont apparus plus
tard.
Dans les années 90,
les combattants extrémistes et encore
plus violents des
talibans sont devenus les
partenaires privilégiés de Washington en
Afghanistan. Cette coopération a pris
fin lorsqu’il est devenu évident que les
talibans ne pouvaient plus servir les
intérêts des États-Unis.
Au cours de la
guerre civile de Yougoslavie
(1992-1995), des milliers de combattants
d’Al-Qaïda ont été emmenés par avion du
Pentagone en
Bosnie, pour soutenir les musulmans
de la région.
En 1996, l’Armée
de libération du Kosovo (UCK) a été
formée par des officiers d’Al-Qaïda
juste de l’autre côté de la frontière
avec l’Albanie. Au même moment, des
soldats britanniques et étasuniens
apportaient leur aide.
Nous avons déjà
évoqué la coopération entre le Groupe de
combat islamique libyen (GCIL) et l’OTAN
pour renverser Kadhafi. Après 2011,
cette organisation terroriste a formé
une alliance avec les rebelles
islamistes du Mali. Ces derniers, avec
les Touaregs, ont réussi à conquérir le
nord du Mali pendant plusieurs mois.
Grâce aux bombardements de l’OTAN, le
GCIL avait pu piller les dépôts d’armes
de l’armée libyenne. Les
mêmes armes que les djihadistes
utilisent aujourd’hui en Syrie, en Irak,
au Nigeria, au Tchad et au Mali. Le
Financial Times établit un lien
entre ces événements et la rivalité
géopolitique avec la Chine: «La
militarisation de la politique
américaine en Afrique après le 11
septembre a toujours été controversée.
Elle est perçue dans la région comme une
tentative de renforcer le contrôle des
ressources par les États-Unis et contrer
le florissant rôle commercial de la
Chine. »
Il ne peut pas non
plus être exclu que les services de
renseignements occidentaux soient
directement ou indirectement impliqués
dans les activités terroristes des
Tchétchènes en Russie et des
Ouïghours en Chine.
Nous parlons donc
d’une politique systématique et
délibérée de la part de Washington et de
ses alliés pour garder le contrôle de la
région.
La stratégie du
chaos
Aujourd’hui, la
guerre contre le terrorisme s’est
transformée en son contraire: la
propagation de la terreur. Les
opérations ratées en Irak, en
Afghanistan, en Libye et en Syrie
montrent clairement que les États-Unis
et l’Occident ne sont plus en mesure de
modeler la région du Moyen-Orient comme
ils le voudraient.
Washington et ses
alliés risquent de perdre de plus en
plus leur emprise et se tournent
davantage vers des sous-traitants de la
pire espèce. Ils soutiennent que «si
nous ne pouvons pas contrôler la zone
nous-mêmes, alors personne d’autre ne le
fera non plus».
C’est ce que l’on
pourrait qualifier de stratégie du
chaos, ou peut-être mieux de «le chaos
de stratégie». En tout cas, c’est le
summum de l’immoralité.
Une chose est sûre.
La terreur dans la région
ne sera pas éradiquée par les mêmes
forces qui l’ont amenée à la vie. Ou
comme une source insoupçonnable telle
que
Dominique de Villepin, ancien
ministre français de l’Intérieur et des
Affaires étrangères, le dit clairement:
«Les guerres perdues en Afghanistan,
en Irak et en Libye favorisent le
séparatisme, les États en déroute, la
loi effrontée des milices armées. Jamais
ces guerres n’ont permis de vaincre les
terroristes envahissant la région. Au
contraire, elles légitiment les plus
radicaux. … Chaque intervention
occidentale crée les conditions pour la
suivante. Nous devons arrêter cela.
»
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