Opinion
Armes françaises pour le Liban
Hedy Belhassine
Photo:
D.R.
Lundi 10 février 2014
Charles de Gaulle fut le meilleur
connaisseur des affaires levantines. Dès
1929, le futur héros de la France Libre,
alors simple Commandant des
renseignements militaires à Beyrouth,
pressentait la leçon de cohésion que la
France pouvait attendre du Liban.
Son lointain successeur le chef du
deuxième bureau des forces armées
libanaises multiplie les succès. En
quelques semaines, il a interpellé et
débriefé les têtes de réseaux
terroristes salafistes que les mauvaises
langues affirment avoir été
instrumentalisés par l'Arabie Saoudite.
Coïncidence, quelques jours plus tard,
le roi Abdallah a spectaculairement
sifflé la fin du jihad. Il a ordonné aux
milliers de combattants saoudiens en
Syrie et au Liban de déposer
immédiatement les armes sous peine
d'être jetés en prison à leur retour
dans le Royaume. Cette décision
inespérée est quelque peu passée
inaperçue à Paris. Mais Obama, qui avait
sans doute inspiré ce décret d'armistice
a immédiatement annoncé qu'il irait à
Riyad en mars prochain pour serrer les
doigts du monarque et fixer les règles
du « new Saudi-US deal ».
Et la France ?
Elle compte et se dépense.
Entre elle et le Liban, il y a un « bon
d'achat » d'armes de trois milliards de
dollars payé cash et d'avance par
l'Arabie.
Les modalités pratiques de la
transaction sont simples en apparence.
La somme versée sur un compte du trésor
à Bercy sera débitée au fur et à mesure
des commandes libanaises. L'opérateur et
le contrôleur de la transaction est
ODAS, une structure détenue en majorité
par les industriels de l'armement mais
dont le PDG est désigné par l'Elysée.
Sarkozy avait nommé son Chef d'Etat
Major de la marine. Pour conduire cette
entreprise sensible, Hollande s'apprête
à récompenser la retraite du Chef de
l'ensemble des ses armées.
Il faut reconnaître que la mission
d'honorer un cadeau empoisonné hors
normes est délicate. En acceptant le
chèque des mains du souverain wahhabite
en décembre dernier, le Président
Hollande avait (peut-être) mesuré les
difficultés de cette opération
commerciale inédite.
Nul n'a encore bien compris le comment
et le pourquoi de cette extravagante
transaction ni les arrières pensées qui
l'on motivée. En Orient, on adore le jeu
des échecs et le billard à trois bandes,
surtout lorsque la partie vaut trois
milliards.
A peine François Hollande était-il de
retour des sables d'Arabie que ses amis
israéliens se sont mis à hurler dans la
cour de l'Elysée. « c'est une trahison,
nous ne laisserons pas la France
exporter des armes à nos ennemis !» Puis
à la cohorte des hébreux se sont jointes
celles des Européens et des Américains
reprenant en cœur « pas question que les
armes françaises tombent entre les mains
du Hezbollah que nous venons d'élever au
rang d'organisation terroriste ! »
De leur coté les industriels marchands
de missiles sont montés au créneau
réclamant leur part du gâteau. Ils ont
été priés de patienter, alors par
précaution, ils ont repris langue avec
leurs réseaux d'intermédiaires salivant
par l'odeur alléchée.
Au Liban, les deux grandes familles
chrétiennes et musulmanes se partagent à
travers les dix huit communautés qui
siègent au Parlement, la gouvernance des
institutions. Le Liban est pluriel.
L'harmonie est possible toutes les fois
que l'étranger ne s'en mêle pas. Les
Libanais savent d'où vient l'ingérence.
A l'image du pays, l'armée libanaise est
pluriconfessionnelle, mais soldats et
officiers forment un corps uni
redoutablement performant au regard de
ses moyens. L'armée est soudée face à la
menace de son ennemi déclaré : Israël.
« Notre choix en tant que militaires
est la persévérance afin de préserver
cette nation, faire face à l’ennemi
israélien, ses réseaux d’espionnage et
ses avidités, lutter contre le
terrorisme sous ses différentes formes,
et traquer les saboteurs qui oeuvrent à
porter atteinte à notre sécurité ».
Ordre du jour du Chef d'Etat Major lors
de la fête des Armées.
Il y a quelques jours, des
plénipotentiaires parisiens se sont
rendu à Beyrouth pour expliquer que
seule la branche armée du Hezbollah
était terroriste mais que les membres
encartés au sein de l'armée libanaise ne
l'étaient pas. Les Libanais, gens de
grande subtilité ont apprécié l'exercice
diplomatique et linguistique en
souriant.
Puis les Français ont suggéré au patron
des forces armées le Général Jean
Kahwaji de passer commande de 60 000
uniformes Dior, ceinturons et bottines
Hermes, baudriers et guêtres Louis
Vuitton, montre-boussole Cartier. A
discrétion, parfums et carrés de soie
pour les épouses. Au prix unitaire et
forfaitaire de 50 000 dollars et le
compte est bon !
Furieux qu'on prenne les vainqueurs de
la guerre contre Israël de 2006 pour une
armée d'opérette, les généraux libanais
ont présenté leur liste. A prendre ou à
laisser. Puis ils sont allés à Riyad
dire pis que pendre des frankaouis.
On en est là.
Pour sauver le bon de commande, Paris
recherche désespérément l'homme
providentiel aux idées simples qui saura
décrypter l'Orient compliquée.
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