France
Rafale à l'Egypte, guerre à crédit
Hedy Belhassine
Photo:
http://www.aviation-francaise.com
Lundi 9 février 2015
La location avec
option d'achat est une technique
financière qui permet aux fauchés de
rouler en voiture neuve. Pour dix euros
par jour, c'est le bonheur de l'évasion
avec toutes options.
La méthode
s'applique dorénavant à l'armement.
Envie d'un char d'assaut, d'un missile
ou d'un hélicoptère ? Pas de problème.
Ainsi, il y a
quelques mois, les arsenaux de la marine
ont proposé à la Grèce un navire de
haute mer entièrement équipée, prêt au
combat pour 4 petits millions par mois.
Quand plus personne
ne vous fait crédit, il y a toujours la
solution de la location !
Certes, pour les
système d'arme, c'est un peu plus
compliqué, notamment question assurance,
mais depuis que la banqueroute a été
abolie, nos financiers ont de
l'imagination et de l'audace.
C'est ainsi que la
France est sur le point d'innover en
négociant la vente d'avions et d'un
navire à l'armée d'Egypte.
D'abord, il faut
rappeler que notre pays, mère des arts,
des armes et des lois est une nation
vertueuse qui montre l'exemple. Depuis
le démantèlement en 2001 de la
Manufacture de Saint-Etienne, on ne
fabrique plus aucune arme légère ni mine
anti personnelle - statistiquement les
plus meurtrières- ce qui met notre
bonne conscience à l'abris des
critiques. Ensuite, il convient de
souligner que les exportations d'armes
hyper sophistiquées « made in France »
relèvent du domaine régalien de l'état
qui lesréglemente scrupuleusement ; ceci
ne le dispense pas d'en assurer la
promotion.
Alors que la
plupart des filières de notre commerce
extérieur tombent en capilotade, celle
de l'armement prospère remarquablement
depuis l'arrivée de Hollande à l'Elysée.
En 2015, il est très probable que la
France se hissera sur le podium des
trois nominés au coté des USA et la
Russie. Le tandem Hollande-Le Drian a
réussi cet exploit en prenant le simple
contrepied de leurs prédécesseurs. Ils
n'ont pas cherché à tremper leurs doigts
dans la confiture, ils ont fui les
intermédiaires et se sont contenté
d'assurer le marketing politique et la
diplomatie d'entreprise des opérations.
De coup, les industriels se sont sentis
des ailes. Avec l'aide de leurs
commerçants et de leurs financiers, ils
ont imaginé des stratégies inédites
L'an dernier, tous
les concurrents étrangers sont resté
bouches bées devant l'incroyable
transaction triangulaire de la vente
d'armes françaises au Liban payée par
l'Arabie Saoudite. Trois milliards de
dollars quand même ! Et seulement
quelques mois après la vente
d'infrastructures marines, toujours à
l'Arabie, dont le projet sommeillait
depuis quinze ans. Un milliard et demi
de mieux.
Lorsque s'ouvrira
le 22 février prochain à Abu Dhabi le
salon Idex qui est à l'armement ce que
le Mondial est à l'automobile, il est
probable que Le Drian ministre recevra
le prix du meilleur vendeur de l'année.
Le dernier exploit
concerne l'Egypte.
Ce pays est la
treizième puissance militaire mondiale.
Son formidable arsenal contraste avec
l'incommensurable pauvreté de sa
population. Mais il faut bien défendre
les pyramides contre les éventuels
envahisseurs ! La troupe est nombreuse
et le pays fabrique des armes depuis
cinq mille ans. Pourtant, c'est
insuffisant. Le Maréchal-Président Al
Sissi qui est un connaisseur sait que
les navires français tiennent la mer. Il
a commandé des corvettes pour 1,5
milliard il y a quelques mois. Il veut
maintenant une frégate et 24 rafales.
Problème : il n'a plus de sous. Il les
aura quand même, à crédit pardi. C'est
du jamais vu pour ce type de marché.
Les banquiers et
Bercy ont traité le dossier comme s'il
s'agissait d'exporter des locomotives ou
des Vélosolex. Ils ont mis en place un
crédit acheteur complété par un crédit
financier. En clair l'état français
garantira in fine l'assureur de la
banque prêteuse pour un montant maximum
de 85% de la valeur des équipement
exportés, le solde sera couvert par un
prêt bancaire classique négocié
directement par l'Egypte. Selon un
journaliste bien informé, la transaction
s'élève à 4,5 milliards d'euros.
Nos amis américains
s'étranglent de rage car depuis des
décades ils offrent chaque année au
Caire un bon d'achat d'armement d'une
valeur de 1,3 milliard de dollars sans
autre contrepartie que la paix avec
Israël.
La performance
française est donc au rendez-vous même
si l'enjeu d'insolvabilité de la créance
est très élevé car toutes les agences de
notation de risques placent l'Egypte
entre 5 et 6 sur une échelle dont le
septième échelon est attribué à la
Syrie.
Mais après tout,
depuis l'expédition de Bonaparte, nous
sommes redevable à l'Egypte de tellement
de splendeurs inestimables : l'Obélisque
de la Concorde, le girafon de Charles X,
l'Aïda de Georges Bizet, les romans
d'Albert Cossery...
Malgré les
apparences, la « bonne affaire » est
ailleurs.
Les Egyptiens étant
pressés, Paris a proposé de leur vendre
du matériel « d'exposition » quasi neuf,
peu servi, garanti et immédiatement
disponible. Le client a accepté. Une
douzaine d'avions seront prélevés à
l'armée de l'air, et une frégate en voie
de livraison à la marine nationale sera
déroutée vers l'Egypte. Pour le budget
raboté du ministère de la défense, c'est
un formidable ballon d'oxygène ; pour la
promotion du Rafale c'est inespéré car
c'est la première exportation de l'avion
depuis sa mise en service il y a quinze
ans.
Bien sûr, les
grincheux ne vont pas manquer de se
manifester. Ils seront nombreux :
l'armée de l'air sera contrainte de
dégarnir ses escadrilles et la marine
sera bientôt réduite à surveiller le
deuxième plus vaste espace maritime de
la planète avec des pédalos.
Sans compter
l'opinion de tous les sans dents qui ne
veulent pas comprendre que la faim
justifie les moyens et que mourir à
crédit, c'est survivre avec son temps.
Publié le 9 février 2015
Le sommaire d'Hedy Belhassine
Le dossier
Tunisie
Les dernières mises à jour
|