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Algérie : Pourquoi le gaz de schiste
est une mauvaise solution
Haider Bendrihem
Mercredi 18 mars 2015
Par Haider Bendrihem
(revue de presse : El Watan – Algérie –
17/3/15)*
Voici quelques
questions-réponses tirées de rapports
scientifiques et parlementaires sur le
danger que représente l’exploitation de
ce type de gaz. Qu’est-ce que le gaz de
schiste ?
C’est du gaz naturel emprisonné
depuis des dizaines de millions d’années
dans la roche dite de schiste. Il est
qualifié de «non conventionnel» parce
qu’au contraire du gaz naturel, mieux
connu, qu’on trouve dans de vastes
réservoirs, celui-ci est coincé dans les
interstices de la roche, à des centaines
de mètres de profondeur, et éparpillé
dans des millions de petites bulles.
Donc très difficile à atteindre.
Pourquoi en parle-t-on
soudain autant ?
C’est en effet étrange quand on sait
que le gaz de schiste est connu depuis
plus de 150 ans. Des progrès
technologiques au tournant des années
2000 ont changé la donne, mais il
représente toujours un danger pour les
nappes d’eau et l’environnement.
Aux Etats-Unis, on s’est alors mis à
prospecter un peu partout avec un
résultat entre 2007 et 2009. En Algérie,
après la chute des prix du pétrole, le
pouvoir, qui ne s’est jamais préparé à
l’après-pétrole et qui s’est habitué à
une distribution abusive de cette rente,
pris de panique, sans réflexion et sans
concertation, est prêt à tous les
dérapages, pollution de la nappe,
création d’un nouveau foyer de tension
et aller jusqu’à mettre en danger
l’unité nationale.
Il ne s’agit pas de remettre en
question le principe d’exploiter du gaz
de schiste en Algérie. La question qui
se pose est «pourquoi maintenant». Ce
gaz appartient aux générations futures
qui l’exploiteront de la manière la plus
consciencieuse et prudente, selon les
procédés qui seront mis au point par des
scientifiques.
Ainsi, la science aura suffisamment
avancé, avec le temps, pour créer de
nouveaux procédés et équipements
technologiques en mesure de garantir une
exploitation énergétique respectueuse de
l’environnement algérien.
Le défi énergétique ne se gagnera pas
par la surproduction et le bradage de
notre sous-sol mais par une politique
efficace d’économie d’énergie et de
diversification des sources d’énergie.
Le défi énergétique se gagne en menant
un combat durable contre la
surconsommation, le gaspillage et les
déperditions.
De nombreux investissements dans le
domaine du bâtiment et de l’industrie
sont nécessaires pour réussir le défi
d’une telle mutation qui sera un moteur
de relance pour l’économie algérienne.
Quand un pays ne possède pas de
stratégie énergétique, comme c’est le
cas de l’Algérie, sa sécurité financière
et nationale est menacée. Un tel pays
devient forcément un pion au service de
la sécurité énergétique des autres
nations qui ont des comptes à rendre à
leur peuple périodiquement.
La preuve, la dernière loi sur les
hydrocarbures, une loi soigneusement
cachée à l’opinion nationale, a été
votée en catimini. La manière dont elle
a été validée donne l’impression qu’elle
répondait à un agenda imposée par des
puissances occidentales. Cette loi fut
en complète contradiction avec nos
besoins et nos intérêts, et ne servant
que les intérêts des multinationales
occidentales.
Les procédés d’extraction
sont-ils au point ?
L’Algérie n’a pas besoin d’une loi
sur les hydrocarbures pour permettre aux
multinationales de gagner plus et
exploiter plus, mais, notre pays a
besoin d’un modèle de référence qui
mette en pratique une stratégie
nationale en matière énergétique,
financière et sécuritaire sous forme de
loi d’orientation sur la politique
énergétique consacrant la
diversification, la rationalisation et
l’efficacité énergétiques.
Difficile à dire, parce que
l’engouement est récent et la plupart
des données proviennent de l’industrie
pétrolière américaine. Mais depuis
quelques années, des laboratoires
scientifiques en Europe et aux
Etats-Unis ont pris conscience des
risques de ces techniques et ont tiré la
sonnette d’alarme sur le danger de ces
procédés et surtout les conséquences
néfastes des produits chimiques
injectés.
A la base, le principe semble simple
: injecter, à très haute pression, des
tonnes d’eau dans la couche de schiste,
accompagnées de sable et de produits
chimiques, afin de fracturer la roche
(en anglais, fracking) et ainsi en
libérer le gaz. C’est cela que les
progrès techniques permettent de
réaliser à moindre coût.
Mais les inquiétudes viennent de la
possibilité que, en fracturant la roche,
une partie du gaz et des produits
chimiques ne s’échappent pas juste par
le puits du prospecteur, mais par une
fuite dans le sous-sol, atteignant ainsi
la nappe phréatique. C’est ce qui s’est
produit en Pennsylvanie, au Wyoming et
dans plusieurs autres sites entre 2008
et 2012 : puits contaminés, et une eau
devenue impropre à la consommation.
Plusieurs puits ont même explosé,
répandant du gaz et de l’eau contaminée.
Parmi les produits chimiques en question
: du carburant diesel, du benzène et des
solvants industriels.
La contamination de l’eau est
certaine Même le rapport optimiste de
l’IHS le reconnaît dans un langage
prudent : «L’eau a émergé comme étant le
problème environnemental le plus visible
du gaz de schiste.»
Les chercheurs de la Duke University
ont analysé l’eau de 68 puits privés
-qui fournissent de l’eau potable à
leurs propriétaires- dans le nord-est de
la Pennsylvanie et dans l’Etat de New
York. Les puits situés à un kilomètre
d’un puits de forage de gaz de schiste
contenaient 19 à 64 milligrammes de
méthane par litre, contre 1,1 mg/l pour
les puits situés au-delà de ce périmètre
d’un kilomètre, et cette augmentation de
méthane dans l’eau serait bien liée à
l’exploitation dans la roche profonde,
d’après des travaux publiés dans
Proceedings of the National Academy of
Sciences.
La ville de New York a réclamé un
moratoire sur l’extraction de gaz dans
la région où elle puise l’eau pour ses 5
millions d’habitants.
En réponse, le Sénat de l’Etat de New
York a voté le 3 août un moratoire sur
tout nouveau permis de forage.
L’exploitation du gaz de schiste est une
catastrophe en ce qui concerne
l’utilisation excessive d’eau et surtout
sa contamination est devenue certaine.
Les dérapages s’accumulent mais la
prise de conscience citoyenne est
proportionnelle à ces dérapages. Après
la Pennsylvanie, le Colorado et la
Virginie occidentale, c’est au tour du
Wyoming d’avoir son cas d’eau contaminée
à cause des forages, tandis que la ville
de New York fait grand cas de ce qu’elle
considère être des risques pour son eau
potable.
Cet élan de prise de conscience du
danger que représente l’exploitation du
gaz de schiste se propage en Europe.
Beaucoup de projets ont été abandonnés
et le cas le plus emblématique est sans
doute celui de la Pologne, où la
multinationale Chevron vient d’annoncer
l’arrêt de ses programmes d’exploitation
de ce type de gaz en Pologne et en
Roumanie. L’euphorie de milliards de
mètres cubes estimés par le département
américain de l’énergie est revue à la
baisse de moitié.
Les oppositions des citoyens à
l’exploitation de ce type de gaz, ainsi
que les contraintes réglementaires
imposées aux opérateurs en Europe ont
apporté leurs fruits. Après la France,
qui a interdit l’exploitation du gaz de
schiste, c’est au tour de l’Allemagne et
du Danemark, qui ont aussi imposé un
moratoire. Même l’Angleterre temporise
et privilégie le wait and see et les
administrations locales ont recommandé
de refuser les permis en mettant en
avant les nuisances occasionnées par les
camions transportant les matériaux. Les
députés anglais ont carrément interdit
les forages dans toutes les zones
protégées.
Les grandes compagnies de pétrole ont
décidé de réduire drastiquement leur
budget d’exploitation et de ne conserver
que les permis les plus rentables et là
où la réglementation n’est pas
contraignante, à ce sujet le directeur
général de Total explique : «Les
investissements dans le gaz de schiste
sont très flexibles et peuvent
facilement être stoppés.
Mieux vaut laisser le gaz sous terre,
quand les prix ne sont pas élevés.» José
Bové désigne Total comme une entreprise
criminelle du fait de songer à exploiter
le gaz de schiste en Algérie et dans une
région contenant le plus grande réserve
d’eau en Algérie, un pays en stress
hydrique et il poursuit : «Total pensait
pouvoir s’épanouir dans un pays du
Maghreb sous la protection d’un système
politique corrompu et répressif.» No
comment.
Le mythe de la fracturation
propre
Les compagnies gardent secrètes
certaines formulations en plaidant le
secret industriel et refusent de
communiquer l’intégralité de la
composition de certains produits de
fracturation, car des ingrédients dans
ces formulations étaient, selon elles,
la propriété de firmes leur ayant fourni
la substance et en tant que telles
protégées par le secret industriel.
A ce sujet L’EPA, agence pour la
protection de l’environnement des
Etats-Unis a publié un rapport
préparatoire à une étude, engagée depuis
mars 2010, pour évaluer les conséquences
potentielles de la fracturation
hydraulique sur les ressources en eaux
potables.
Ce rapport a conclu clairement que
«dans ces cas il apparaît que les
compagnies injectent des fluides qui
contiennent des substances chimiques
inconnues au sujet desquelles elles ne
peuvent avoir qu’une compréhension
limitée des risques potentiels qu’elles
posent pour la santé humaine et
l’environnement !» «Ce rapport américain
officiel montre clairement que la
fracturation hydraulique utilisée dans
l’extraction des gaz et pétrole de
schiste utilise de nombreux produits
chimiques dangereux.
C’est la réalité de cette technique
et de cette industrie : il n’existe pas
de fracturation hydraulique propre, un
mythe !», déclare François Veillerette,
porte-parole de générations futures,
association agréée impliquée dans les
questions de santé environnementale. «Le
gouvernement français, à la lumière de
ce rapport, doit officiellement et
définitivement abroger les projets
prévus sur le territoire national et
renoncer au recours à ces sources dans
le futur», ajoute-t-il.
Pour toutes ces raisons, nous lançons
un appel urgent à l’ensemble des
citoyens, aux universitaires et à la
société civile ainsi qu’aux acteurs
politiques pour faire pression sur les
responsables de cette catastrophe
nationale, à travers des pétitions et
marches, dans l’objectif d’arrêter toute
exploitation ou expérimentation de ce
type de gaz.
Il est urgent d’ouvrir un débat
sérieux pas seulement sur la
problématique du gaz de schiste, mais
sur la transition énergétique en vue de
préparer dans la concertation le nouveau
modèle économique créateur de croissance
et de richesse et surtout mettre ces
nappes d’eau au service de notre
sécurité alimentaire.
Les 70 milliards de dollars destinés
à l’achat de produits chimiques et
autres équipements pour l’exploitation
de gaz de schiste seront réorientés vers
une économie verte basée sur
l’industrialisation des énergies
renouvelables, la planification de la
formation, la préparation des PMI/PME…
Le défi algérien est lancé pour mettre
avec certitude notre pays sur la bonne
voie de développement, sinon on se
dirige droit vers le désastre.
Haider Bendrihem est un
ancien parlementaire algérien et un
consultant en énergie renouvelable
Photo :
Manifestation anti gaz de schiste à
Ouargla
*http://www.elwatan.com//contributions/pourquoi-le-gaz-de-schiste-est-une-mauvaise-solution-17-03-2015-289962_120.php
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© G. Munier/X.
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Publié le 18 mars 2015 avec
l'aimable autorisation de Gilles Munier
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