Opinion
Pour la France, c'est
officiel :
critiquer Israël est une forme
d’antisémitisme
Guillaume Weill-Raynal
©
Guillaume Weill-Raynal
Mardi 28 juin 2016
La semaine dernière,
lors d’une réunion de l’OSCE à Bucarest,
le préfet « DILCRA » Gilles Clavreul qui
représentait la France a « largement
poussé » en faveur d’une résolution
assimilant la critique de la politique
d’Israël à l’antisémitisme. Une thèse
désormais quasi-officielle.
Antisionisme = Antisémitisme.
Il y a quelques décennies, cette formule
pouvait paraitre audacieuse. Un paradoxe
émergent, une idée neuve, peut-être
séduisante, dans laquelle se
reconnaissaient quelques cercles
d’intellectuels initiés.
Cette idée est devenue
aujourd'hui un lieu commun, que répètent
en boucle et sans nuances, jusqu'à lui
faire perdre tout son sens, les
supporters les plus assidus et les plus
aveugles d’Israël, pour tenter de faire
taire la moindre critique à l’encontre
de la politique des gouvernements
israéliens qui se sont succédés à la
tête de l’Etat juif depuis quinze ans.
Le problème de cette formule
lapidaire réside moins dans son énoncé
que dans le flou de la définition du
premier terme : l’« antisionisme ». Car
si dénier aux juifs le droit à la
souveraineté nationale peut être
considéré éventuellement (mais
pas forcément) comme une forme
d’hostilité aux juifs en tant que tels,
et donc comme de l’antisémitisme, qu’en
est-il de la simple critique de la
politique d’Israël ? Cette question ne
devrait pas souffrir de difficulté. Et
pourtant, sur la base d’un obscur procès
d’intention, certains posent comme
présomption irréfragable que la moindre
critique de la politique d’Israël ne
serait en réalité que le masque d’une
haine anti-juive sournoise et
inavouable, relevant à ce titre de la
catégorie fourre-tout de
l’« antisionisme », et donc… de
l’antisémitisme.
En général, cette idée
s’exprime de manière plus subtile. « Bien
entendu, il est légitime de critiquer
Israël ! » s’écrient-ils la main sur
le cœur. A condition, précisent-t-ils,
de ne pas verser dans une critique
excessive qui viendrait….
« délégitimer » Israël. Vertigineuse
tautologie ! Car le critère qui pourrait
aider à distinguer la critique
légitime de la critique qui
délégitime demeure introuvable.
Finkielkraut avait proposé, il y a
quelques années, le critère de la
« satanisation », ce qui – faute
de plus de précision – ne faisait guère
avancer le débat. Après tout, peu
importe. Il suffit d’affirmer. Car il
s’agit en réalité d’un jeu qui, ignorant
toute argumentation, ne connait pas
d’autre règle que celle de la logomachie
péremptoire. Et ça marche ! Par essence,
ce qui est délégitimé n’a pas
vocation à exister, est voué à
disparaitre. La critique
délégitimante d’Israël vise donc à
sa destruction, à son
anéantissement. Et voilà ce qui fait,
Monsieur, qu’elle est antisémite… CQFD.
Cette rhétorique peut faire
sourire lorsqu’elle émane de milieux
communautaires, militants, ou
d’intellectuels-relais dévoués à leur
cause. Mais, plus inquiétant, depuis
plusieurs mois, la France la reprend à
son compte, par la voix de ses
représentants les plus officiels. En
janvier dernier, déjà, Manuel Valls
n’avait pas craint d’affirmer, lors
d’une réunion publique organisée par le
CRIF : « Les critiques de la
politique d’Israël se sont transformées
en un " antisionisme " dissimulant
presque systématiquement de
l’antisémitisme ».
Chose incroyable et inédite, un premier
ministre en exercice criminalisait par
voie de généralisation le simple
exercice par ses concitoyens de leur
liberté d’opinion et d’expression à
propos d'un Etat dont il est difficile
de nier qu'il viole allègrement et
depuis de nombreuses années le droit
international ! La semaine dernière, un
nouveau palier a été franchi. Car il ne
s’agit plus cette fois de propos
d’estrade tenue devant une assemblée
militante, mais de la position très
officielle de la France dans une réunion
internationale, en l’occurrence celle de
l’Organisation pour la Sécurité et la
Coopération en Europe (OSCE) qui
siégeait à Bucarest le 21 juin dernier.
La France y était représentée par le
préfet Gilles Clavreul, Délégué
interministériel à la lutte contre le
racisme et l’antisémitisme (DILCRA),
qui, au diapason de la « ligne Valls »
ci-dessus mentionnée, ne cesse depuis
des mois de multiplier à ce sujet des
interventions médiatiques aussi
polémiques que controversées.
Il n’existe pour le moment
aucune trace de cette réunion. Fort
heureusement, Gilles Clavreul était
l’invité deux jours après, jeudi 23
juin, à s’exprimer sur Radio J.
[1] Interviewé par le
journaliste Michel Zerbib, le préfet
DILCRA a expliqué que la réunion avait
précisément pour objet l’adoption d’une
définition « claire » (!) de
l’antisémitisme :
« Cette définition
de travail à laquelle la France a
pleinement souscrit est très
intéressante parce qu'elle pose
justement cette question là dans des
termes qui sont très clairs : il y est
dit que si la critique d’Israël -
comme n’importe quel autre Etat, et je
dirais même comme n’importe quel autre
Etat démocratique – est parfaitement
légitime et permise, en revanche,
lorsque cette critique se fait
démesurée, lorsqu’elle repose sur des
arguments fallacieux, sur des réalités
totalement falsifiées et transfigurées,
alors, on n’est plus dans le cadre de la
critique normale, et on est dans quelque
chose qui, oui, peut relever de
l’antisémitisme ».
Et de poursuivre :
« C'est très important que cela
soit dit. Je représentais la France à
cette réunion et j’ai fortement poussé,
avec d’autres pays, parce qu'on n’est
pas seuls du tout dans ce souhait-là
- notamment avec la présidence allemande
- pour que cette définition soit
adoptée au niveau des membres de l’OSCE.
C'est très important parce que ce sera
un appui très fort pour le débat
interne, justement, sur cette question
de la critique démesurée et systématique
d’Israël … qui ne porte pas sur les
actions du gouvernement israélien… ça,
effectivement, on peut critiquer… mais
sur son existence même »
Ainsi et de manière très
officielle, la France souhaite donc que
la critique « anormale » et
« démesurée » de la politique
israélienne soit considérée au niveau
international comme de l’antisémitisme,
afin d’appuyer « très fort » sur
le débat interne. Jusqu'à en faire un
délit réprimé par le code pénal ? Et
toujours, sans que soit apporté le
moindre critère objectif permettant
d’apprécier le caractère « anormal » et
« démesuré » de cette critique…
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