France-Irak
Actualité
Quel avenir pour Fallouja,
libérée après un mois de combats ?
Gilles Munier
Mardi 28 juin 2016
Gilles Munier,
secrétaire général de l'association
Amitiés franco-irakiennes, répond aux
questions de « L'Orient-Le Jour ».
Propos
recueillis par Louis Witter
(L’Orient-Le Jour -27/6/16)*
La présence et
l'action de milices chiites à Fallouja
cristallisaient les interrogations et
les inquiétudes. Quel a été leur rôle
dans la libération du centre-ville ?
Tout d'abord, il
faut souligner que les combats n'ont pas
totalement cessé à Fallouja. Ils ont
cessé à Ramadi, ville qui a été libérée
de l'État islamique (EI), mais les
combats continuent un peu à Fallouja. La
question se pose de savoir si les forces
qui ont chassé l'EI sont des libérateurs
ou des occupants chiites. Les Arabes
sunnites de Fallouja et des tribus
alentour perçoivent sans aucun doute
l'armée gouvernementale et les milices
comme des étrangers chez eux. Le
problème est qu'une partie des miliciens
chiites s'est engagée au sein même de
l'armée irakienne et parfois n'obéit
qu'à ses anciens chefs. Il y avait,
certes, des groupes chiites qui étaient
positionnés tout autour de Fallouja pour
empêcher l'EI de fuir ou de partir dans
d'autres directions, et ce sont les
Américains qui ont demandé à ces groupes
de ne pas participer directement à la
reprise du centre de la ville.
Aujourd'hui, le rôle des services
spéciaux irakiens, dont font partie des
ex-miliciens, est d'interroger, par
exemple, les dizaines de milliers de
réfugiés qui fuient la zone pour tenter
d'intercepter d'éventuels combattants de
l'EI qui se cacheraient parmi eux.
Au sein des
quelque 85 000 déplacés de la bataille
de Fallouja, selon l'Onu, peut-on
justement craindre la présence de
combattants de l'organisation de l'EI ?
Bien entendu. À
partir du moment où le rapport de force
se pose et où l'armée irakienne attaque
Fallouja, soutenue par les bombardements
américains sans qui les troupes
gouvernementales n'avanceraient pas, il
y a forcément des gens qui vont fuir les
zones de combats. Des combattants de
l'EI peuvent très bien se fondre dans
les civils et les réfugiés pour partir
ailleurs continuer à se battre, ce qui
permet dès lors une possible guérilla
contre les forces gouvernementales.
C'est pour ça qu'ils sont répartis dans
des camps pour pouvoir les interroger un
à un. Mais lors de ces interrogatoires
apparaissent certains problèmes
également. Des problèmes de voisins qui
se règlent par la dénonciation de qui a
collaboré avec l'EI... C'est ici que
malheureusement peuvent se régler les
vengeances entre habitants.
Politiquement,
qui va gérer le retour à la normale dans
la ville ? Quelles sont les alternatives
qui se présentent ?
Il s'agit d'un
problème épineux en plusieurs points. Il
est probable que les milices chiites,
comme à Ramadi ou Tikrit, entrent dans
les villes et s'adonnent à des pillages
dans les habitations abandonnées. Ce qui
fait que les rares habitants sunnites
qui reviendront, car beaucoup sont
placés dans des camps, ne voudront pas
forcément vivre sous une tutelle
gouvernementale ou chiite. On ne sait
pas quand les quartiers et immeubles
détruits seront reconstruits. Depuis dix
ans et le passage des Américains qui ont
quand même sérieusement détruit la ville
de Fallouja, tout n'a pas été
reconstruit. Cette reconstruction, si
reconstruction il y a, sera difficile
tant que le régime de Bagdad ne sera pas
plus démocratique. Il risque d'y avoir
pendant encore longtemps une guérilla
qui causera la destruction des villes
tant que les habitants de la région
d'al-Anbar ne pourront décider eux-mêmes
de la vie politique locale.
Cette victoire
est déterminante pour les forces
irakiennes et leurs alliés. Tous les
regards se tournent maintenant vers
Mossoul, le prochain grand enjeu
militaire de cette guerre. Ces forces
sont-elles en mesure de pouvoir libérer
cette ville ?
Militairement
parlant, la tâche s'annonce beaucoup
plus complexe que ça. Mossoul est une
ville bien plus vaste et qui compte bien
plus d'habitants que Fallouja. Les
forces irakiennes peuvent sûrement
réussir à en chasser l'EI avec l'aide
des bombardements américains. Mais l'EI
a détruit de nombreuses églises et de
nombreux temples yazidis, et s'est
comporté de manière abominable avec les
minorités religieuses de la région. Pour
reprendre Mossoul, les forces irakiennes
vont sûrement énormément bombarder. Mais
si on bombarde totalement la ville, on
détruira le passé précieux de Ninive, il
n'y aura plus que des miettes où les
islamistes combattront jusqu'au bout. Il
y aura très probablement des centaines
de milliers de civils en fuite qui
trouveront refuge au Kurdistan. Mais,
encore une fois, tant qu'aucune solution
politique ne sera trouvée, les villes
connaîtront toujours ces dissensions
religieuses et de nouveaux combats
pourront avoir lieu.
*Source :
L’Orient-Le Jour
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