FRANCE-IRAK
ACTUALITE
Situation en Algérie
L’analyse
dérangeante du général Dominique Delawarde
La
"révolution du sourire"
Lundi 25 mars 2019
Le général
Delawarde, ancien chef «situation-renseignement-guerre
électronique» à l’état-major
interarmées de planification
opérationnelle, a répondu à ses amis qui
lui ont demandé ce qu’il fallait penser
des événements survenus en Algérie ces
trois dernières semaines. Elle fera
couler beaucoup d'encre.
Pour avoir beaucoup
travaillé sur le dossier algérien
lorsque j’étais en fonction et pour ne
pas avoir cessé de le suivre depuis, je
vais tenter de vous donner mon analyse
de la manière la plus claire possible en
répondant à trois questions :
Pourquoi ? Quoi? Comment ?
Pourquoi ?
La réponse à cette
question se trouve, de mon point de vue,
dans un contexte géopolitique qui
dépasse largement les frontières de
l’Algérie. Pour simplifier à l’extrême,
le monde est aujourd’hui coupé en deux
camps qui s’opposent.
Il y a celui qui
s’accommode parfaitement d’une
organisation de la communauté
internationale telle qu’elle a été
conçue et construite au sortir de la
2ème guerre mondiale: FMI, OMC, Banque
Mondiale, dollar, et prééminence US
quasi absolue depuis 1990. Les
idéologues néoconservateurs de ce camp
dérivent aujourd’hui peu à peu vers un
objectif de «mondialisation heureuse
(pour eux) », unipolaire, sous
dominance occidentale (en fait, sous
dominance US-OTAN).
Minoritaire en
nombre d’États et en population
(quarante à cinquante États, un milliard
d’habitants) ce camp dispose, pour
quelques années encore, de la puissance
économique (plus de 60% du PIB mondial)
et, d’une supériorité militaire (OTAN
qu’il utilise sans modération). Un
quarteron d’États s’active, sur la scène
internationale (ou en coulisse), pour
mobiliser ce camp et faire valoir ses
intérêts : Les USA, le Royaume-Uni, la
France et Israël. L’influence majeure
est, dans les faits, exercée par un duo:
USA et Israël. Ce camp se regroupe sous
la bannière de la « coalition
occidentale » et s’autoproclame
souvent, à lui seul: «communauté
internationale».
De l’autre côté du
grand échiquier, un autre camp s’est
organisé peu à peu sous la houlette de
la Russie et de la Chine. Aujourd’hui,
ce camp monte rapidement en puissance
avec, entre autres, des organisations
internationales créées en ce début de
XXIème siècle: les BRICS et l’OCS pour
ne citer qu’elles. Il souhaite remettre
en cause l’ordre et les règles de la
gouvernance mondiale établis au sortir
de la guerre, au profit des occidentaux,
pour évoluer vers un monde multipolaire.
Il regroupe, autour de la Russie et de
la Chine, de grands pays tels l’Inde ou
le Pakistan (puissances nucléaires) et
surtout de nombreux «fans». Ce camp,
fans compris, est majoritaire tant en
nombre d’États qu’en population (une
centaine d’États et plus de quatre
milliards d’habitants) mais il est
encore à la traîne en terme de puissance
économique (moins de 40% du PIB
mondial).
L’Algérie est un
grand pays. Avec une superficie de 2,4
millions de km2, c’est à la
fois le plus grand pays d’Afrique, du
monde arabe et du bassin méditerranéen.
Sous la gouvernance de Bouteflika, elle
a su rester un pays indépendant,
contrairement à de nombreux pays arabes
qui, se sont, peu ou prou, rapprochés de
la coalition occidentale, en application
du proverbe: « Baise la main que tu
ne peux trancher».
Aux yeux de la «
coalition occidentale » précédemment
décrite, la gouvernance Bouteflika a
commis cinq « fautes impardonnables »
:
1 – Elle entretient
de trop bonnes relations avec la Russie,
pays dans lequel elle forme les
officiers de son armée depuis fort
longtemps et auquel elle achète beaucoup
de matériels militaires majeurs (dont
les fameux S 400).
2 – Elle entretient
de trop bonnes relations avec l’Iran,
ennemi désigné des USA et d’Israël, et,
par conséquent, pas vraiment ami de la
France et du Royaume-Uni… France et
Royaume-Uni, derrière des discours
hypocrites et trompeurs,
n’ont rien fait d’efficace pour remplir
leurs engagements dans l’accord sur le
nucléaire iranien.
3 – Contrairement à
la gouvernance de plusieurs pays arabes
(dont le docile Maroc, son voisin),
l’Algérie de Bouteflika a refusé de
rejoindre la grande coalition
saoudienne, soutenue par les
occidentaux, dans son intervention armée
au Yémen pour mater la révolution
populaire d’Ansar Allah. Cette
opération militaire visait, à
l’évidence, à contrer l’extension de
l’influence iranienne au Moyen-Orient,
et cela au profit de l’État hébreu.
4 – En outre,
depuis le début du conflit syrien la
gouvernance Bouteflika a entretenu de
bonnes relations avec celle de Bachar el
Assad en Syrie et refusé de participer à
la curée et au démembrement de ce pays
programmé par les occidentaux et
certains de leurs alliés arabes au
profit de l’État hébreu.
5 – Enfin,
l’Algérie de Bouteflika reste l’un des
derniers bastions arabes dans la défense
de la cause palestinienne. Chacun peut
comprendre que cette position indispose
l’État hébreu et son puissant allié US
qui peuvent y voir un obstacle sérieux
au « deal du siècle ».
La réponse à la
question : «Pourquoi les événements
sont-ils aujourd’hui ce qu’ils sont en
terre algérienne ?» tient, pour une
large part, dans les points évoqués
ci-dessus .
Quoi ?
Les indices ne
manquent pas dans la crise algérienne
qui font furieusement penser à une
opération de « Regime Change »
(changement de régime), dont les
occidentaux sont particulièrement
friands (révolutions colorées, Ukraine,
Libye, Printemps arabes, Syrie,
Venezuela, Brésil…..), qu’ils
réussissent parfois (Maïdan, Libye,
Brésil) et dont ils gardent jalousement
«les secrets de fabrication».
Il y a, bien-sûr,
les déclarations enflammées, à
l’attention du peuple algérien, de
l’inénarrable BHL qui constituent, à
elles toutes seules, un marqueur
indiscutable qu’une opération de «Regime
Change» est en cours. Il faut se
souvenir de son engagement constant et
toujours théâtral dans ce type
d’opération : Bosnie, Kosovo, Libye,
Maïdan, révolutions colorées, Syrie, et
même Venezuela dernièrement… etc.
Ses appels à la
révolution (chez les autres, pas chez
nous) relèvent désormais du grand
classique autant que du meilleur comique
troupier. Elles pourraient même devenir
contre-productives en révélant, à
l’avance, le dessous des cartes aux
observateurs les plus avertis.
Il y a aussi la
teneur des déclarations des grands
leaders de la coalition occidentale sur
cette affaire algérienne, qui montre
clairement, jour après jour, qu’ils
apprécieraient un changement de
gouvernance en Algérie et l’avènement
d’un nouveau pouvoir qui leur serait
plus favorable. A chacun de s’y référer
et d’interpréter les propos tenus.
Il y a, encore, la
lecture des journaux du quarteron
d’États dirigeant « la coalition
occidentale ». L’ampleur, la teneur
et le ton des réactions médiatiques sur
ce qui devient, peu à peu, la «crise
algérienne» et qui pourrait être baptisé
dans quelques jours: «le printemps
algérien», sont particulièrement
révélateurs. La lecture du New York
Times et du Washington Post
aux USA, du journal Le Monde et
des reportages de BFMTV en
France, des journaux israéliens,
Haaretz et Jerusalem post,
est édifiante et facile à décrypter pour
un bon spécialiste du renseignement.
Enfin, il y a la
méthode, les techniques et les moyens
utilisées pour organiser un chaos de
plus ou moins grande ampleur, préalable
indispensable à l’avènement d’un nouveau
régime. Ils constituent également de
précieux indices.
Comment ?
Comme dans toutes
les opérations de « Regime Change »,
il faut, pour réussir, respecter
plusieurs règles de base et disposer de
gros moyens financiers:
1 – Choisir le bon
moment pour déclencher l’opération.
Le bon moment,
c’est celui où le régime auquel on
s’attaque est fragilisé (crise
économique ou sociale, gouvernance usée
et affaiblie, population divisée). Une
échéance électorale peut constituer une
excellente opportunité permettant
d’éviter trop de dommages collatéraux
pouvant aller jusqu’à la guerre civile…
Tous les feux sont
au vert pour déclencher, en mars 2019,
ce type d’opération de « Regime
Change » en Algérie, avec quelques
espoirs de succès.
2 – Diaboliser le
camp à abattre, puis promouvoir celui
qu’on veut aider à triompher.
Ce sont les
techniques de base utilisées avec grand
succès par Cambridge Analytica
dans plus de 200 campagnes électorales
entre Septembre 2013 et Mars 2018. Ces
techniques sont toujours utilisées
aujourd’hui.
Dans le cas de
l’Algérie, l’incapacité physique de
Bouteflika à gouverner le pays est mise
en avant. On dénonce les résultats de sa
gouvernance, évidemment qualifiés de
désastreux (chômage, inégalité,
résultats économiques). On dénonce son
entourage et la corruption. On s’appuie
sur une diaspora algérienne nombreuse et
fortement influencée par les médias
mainstream occidentaux pour chauffer à
blanc l’opinion et la rue.
3 – Utiliser les
moyens modernes de communication et
d’échange entre les citoyens.
Facebook et
Twitter, outils sous contrôle
occidental, sont utilisés au maximum
pour manipuler et chauffer les foules et
pour organiser très rapidement de grands
rassemblements protestataires. Là
encore, il s’agit de méthodes
expérimentées avec succès par
Cambridge Analytica dans un passé
récent, notamment en Amérique du Sud.
Ceux qui contrôlent
ces opérations «numériques» ne résident
pas toujours dans le pays objet de
l’ingérence. L’opération peut être
contrôlée à partir du territoire d’un
pays occidental (généralement les USA).
Il suffit de disposer d’un groupe
d’individus de bon niveau maîtrisant
parfaitement la langue du pays objet de
l’ingérence. Ces individus existent
évidemment en grand nombre dans la
diaspora algérienne mais aussi dans la
diaspora séfarade. De telles actions
contrôlées à partir de l’étranger ont
déjà été observées dans les cas
tunisien, libyen et égyptien…
Ces opérations
numériques constituent un complément
utile et efficace à l’action des médias
traditionnels (TV et journaux mainstream)
qui agissent en meute, avec une belle
unanimité, ce qui n’a rien d’étonnant
lorsqu’on connaît la connivence de leurs
propriétaires et les règles de «la
guerre de l’information ».
4 – Corrompre un
maximum de politiques, d’organisations
d’influence, d’hommes importants dans
l’appareil d’état (Armée, Justice,
élus….)
Il s’agit
d’organiser d’abord le lâchage du régime
en place et dans un deuxième temps le
soutien du candidat à promouvoir :
encore une méthode éprouvée de «
Cambridge Analytica ». Elle
nécessite beaucoup d’argent, mais l’État
qui imprime le papier «dollar»
n’en manque pas.
L’argent et les
promesses de positions avantageuses dans
le nouveau régime viennent généralement
à bout des plus coriaces…
Pour savoir qui
aura gagné de la coalition occidentale
ou du camp «BRICS-OCS», il sera
très utile d’étudier le passé, les
soutiens et l’entourage de l’homme qui
émergera lorsque le régime en place aura
passé la main … Il sera très instructif
d’observer les premières mesures prises
par le nouveau pouvoir. Une
normalisation des relations avec le
Maroc et un rapprochement avec les pays
du Golfe constitueraient des indices
intéressants.
Je ne pense
évidemment pas qu’on aille jusqu’à une
normalisation des relations avec Israël,
à une visite officielle à Tel Aviv ou à
l’établissement d’une ambassade
d’Algérie à Jérusalem. Pour les non
initiés, ces trois derniers gestes ont
été observés dans le « Regime change
» brésilien et indiquent de manière
claire le rôle éminent joué par la
diaspora pro-israélienne au Brésil dans
l’affaire Bolsonaro. Ce rôle existe
aussi dans l’affaire vénézuélienne, si
l’on en croit les promesses enflammées
de Guaïdo de transférer son ambassade à
Jérusalem, s’il parvient à prendre le
pouvoir. Ce genre de promesses a
l’immense intérêt de désigner clairement
les sponsors financiers du président élu
brésilien et du « président
autoproclamé » du Venezuela et
d’expliquer le soutien de la «
coalition occidentale » à ces
individus.
En conclusion, vous
l’aurez compris, je ne crois pas à la
spontanéité de tous les événements qui
agitent aujourd’hui la rue algérienne.
Aucun des deux
grands camps qui s’opposent aujourd’hui
dans le monde ne peut être indifférent à
ce qui se passe en Algérie. L’ingérence
étrangère y est donc plus que probable.
Le contraire serait surprenant.
Ceux qui s’ingèrent
sont ceux qui y ont un intérêt et qui en
ont les moyens. Ils s’appuient très
habilement sur la triple opportunité qui
leur est offerte : l’usure du pouvoir en
place et de son chef , l’indéniable
crise économique et sociale imputée à la
gouvernance Bouteflika et l’échéance
électorale prévue par la Constitution.
Ils s’appuient aussi sur les moyens
techniques (réseaux sociaux), et les
moyens financiers et humains dont ils
disposent.
Bien sûr, les
tenants du clan « occidental »
vont hurler « au complotisme » à
la lecture de cette analyse. C’est une
technique désormais bien connue pour
discréditer les individus dont les
points de vue s’écartent des positions
officielles. Mais cela n’empêchera pas
ceux qui réfléchissent encore par eux
mêmes de se poser les bonnes questions.
Quant à savoir
comment va tourner cette affaire, je me
garderai bien d’émettre le moindre
pronostic. La rue algérienne n’a
probablement aucune idée de la
manipulation dont elle est l’objet. La
gouvernance en place et ses services de
renseignements disposent certainement
d’informations précises qui peuvent
constituer un facteur de force. Mais de
là à en déduire qui va l’emporter, c’est
encore impossible aujourd’hui. On ne
peut dire qu’une chose: « Bonne
chance l’Algérie »!
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