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France-Irak
Actualité
Terrorisme, Daech, djihadisme :
Ce que dit Jean-Pierre Chevènement
Gilles Munier
Mardi 24 novembre 2015
Extraits de
l’interview de Jean-Pierre Chevènement
sur Europe 1
(Blog de J-P
Chevènement – 23/11/15)*
- C'est un terrorisme qui se dit
djihadiste, et qui a frappé presque
tous les pays. Mais je pense que
plutôt que de parler d'une « guerre
contre la terreur » comme le faisait
George Bush, qui globalisait
excessivement le problème, il faut
toujours essayer de comprendre pour
essayer de résoudre politiquement
les problèmes.
- La France a réagi, à juste
titre, au Mali. Elle s'est engagée
en Irak puis en Syrie, mais
uniquement au niveau de son
aviation. Elle a, à mon avis,
outrepassée la résolution de l'ONU
qui concernait la protection des
populations civiles en Libye, avec
les résultats que l'on voit. Mais je
ne veux pas ramener le terrorisme
djihadiste aux erreurs qui ont pu
être commises de la part des
Américains ou de notre part.
- Pour comprendre les origines de
ce terrorisme djihadiste, il faut
bien voir que, dans le monde
musulman, il y avait eu une réponse
progressiste. Elle avait été plus ou
moins libérale ou socialiste, mais
elle a été discréditée. Et puis, il
y avait une réponse identitaire. Il
faut rappeler que les Frères
Musulmans ont été créé en 1928, et
cette réponse identitaire a pris le
dessus.
- Nous sommes en présence d'un
phénomène qu'il faut bien décrire,
car il faut connaître l'ennemi.
L'ennemi c'est une idéologie
fanatique, qui est au croisement :
1/ du salafisme, qui est une
variante obscurantiste de l'islam,
2/ d'une idéologie qui s'est
substituée à l'anti-impérialisme de
jadis, et qui fait de la lutte
contre les juifs et les croisés son
mot d'ordre. C'est à ce syncrétisme,
à cette jonction, que nous sommes
affrontés aujourd'hui.
- Cette idéologie les rend haineux
à l'égard de l'Occident en général,
de notre mode de vie aussi. Le fait
que les attentats du 13 novembre
aient frappé des gens qui pour se
divertir étaient au Stade de France,
ou au Bataclan, ou à la terrasse des
cafés, n'est pas tout à fait un
hasard. C'est notre jeunesse et
notre mode de vie qui ont été
ciblés. C'est aussi un
hyper-individualisme, auquel les
société très traditionnelles
réagissent négativement.
- C'est une guerre qui nous a été
déclarée par l’État Islamique. La
plupart des tueurs étaient passés
par la Syrie. Il faut les éradiquer,
oui, mais ce sera difficile, parce
que le terreau sur lequel se
développent les terroristes est
profond et large. Contrairement au
terrorisme que nous avons connu
autrefois, aujourd'hui nous avons
affaire à des gens qui bénéficient
de sympathies diffuses, de réseaux
diversifiés, mondialisés – c'est
aussi le produit de la
mondialisation, le produit
d'internet. C'est quelque chose qui
est beaucoup plus difficile à
combattre.
- La société française à sa
responsabilité, bien évidemment,
dans le terreau en lui-même qui a
fait prospérer le terrorisme... le
niveau élevé du chômage, les villes
ou quartiers ghettos, les
insuffisances qu'on remarque dans
différents domaines... mais enfin,
il ne faut pas voir que les
insuffisances. Mais je ne préconise
pas du tout une « culture de
l'excuse », au contraire : je pense
que même s'il y a des causes
sociales, quand même, beaucoup de
ces jeunes ont bénéficié d'un
système scolaire qui est encore très
performant, où il n'y a pas de
racisme, où ils ont été accueilli
par des enseignants qui de ce point
de vue là sont impeccables, et
auxquels il faut rendre hommage !
Ils bénéficient d'une protection
sociale parmi les plus avancées du
monde. Et évidemment, du point de
vue du logement, il y a une
concentration de populations issues
de l'immigration dans certains
quartiers. Cela est un problème.
L'action de l'ANRU, si elle est
développée, doit permettre de «
reconquérir » ces territoires, de ne
pas accepter cet espèce
d'enfermement communautaire que l'on
peut observer à l’œil nu. Mais pas
de culture de l'excuse, parce que la
raison du passage à l'acte est
toujours idéologique : celle que je
décrivais tout à l'heure. Il ne faut
pas de repentance, mais il faut
corriger les erreurs commises, et il
y en a eu beaucoup, dans beaucoup de
domaines.
- Face à Daesh, il y a un ordre de
priorité qui s'impose : il faut
d'abord éradiquer Daesh. Et je pense
que la France a fait des erreurs
d'appréciation, notamment a
sous-estimé les appuis dont Bachar
Al-Asad disposait encore dans la
société syrienne. Nous avons par
contre surestimé les rebelles
syriens.
- Nous aurions pu garder une
position de médiation, parce que
c'est cela qu'il faut faire
aujourd'hui.
- On peut toujours dire « Bachar
doit partir » mais s'il part, ce
qu'il reste de l’État syrien, avec
tous ses défauts caricaturaux,
s'effondre. Je pense qu'il faut
prendre le problème plus
intelligemment, séquencer le
problème, et c'est le mérite de
François Hollande d'avoir fait
évolué notre position sur le sujet.
- Hollande va rencontrer cette
semaine Cameron, Merkel, Obama,
Poutine et Erdogan. Il faut mettre
d'accord tous ces gens-là, qui n'ont
pas le même agenda, car dire qu'on
va faire une coalition, c'est bien,
mais il faut donner les objectifs
politiques.
- Pour éradiquer le terrorisme, il
faut l'isoler. C'est une loi
générale. Pour isoler le terrorisme
des populations, il faut mettre en
priorité les solutions politiques.
Les solutions militaires existent,
mais à-côté. Et il faut voir à quoi
servent les armes que l'on utilise.
Si on prend par exemple la première
et la deuxième guerre du Golfe,
elles ont abouti toutes les deux à
la destruction de l'Etat irakien. On
a donné les sunnites de l'ouest de
l'Irak à Daesh. C'était pas
l'objectif visé. Et on a installé
l'Iran comme puissance dominante de
la région. C'était pas non plus
l'objectif visé. Donc il faut avoir
une idée de ce que l'on veut faire.
Or, en l'occurrence, face à Daesh,
il faut rendre la Syrie et l'Irak
vivable, du point de vue de leurs
régimes politiques, pour leurs
populations.
- En Irak, Daesh est le produit de
la destruction de l'Etat irakien,
qui était un Etat difficile, pour un
pays composite, fragile.
Aujourd'hui, il faut arriver avec
l'aide des Russes et des Iraniens à
faire que le gouvernement irakien
donne leur place aux sunnites de
l'ouest irakien, là où sont des
villes comme Ramadi, Tikrit, etc. Il
y a cinq ou six millions de
sunnites, eh bien il faut qu'ils
puissent vivre avec la part qui leur
revient du pétrole, et puis leur
propre administration.
- Si cela leur est offert, Daesh
se dissoudra, et la lutte sera
aisée. C'est un point décisif !
- De la même manière, s'il y a un
gouvernement représentatif qui se
constitue en Syrie, avec pour
objectif d'aller vers des élections
sous le contrôle de l'ONU, les
populations de l'est de la Syrie
prendront toute leur distance vis à
vis de gens qui quand même ne sont
pas sympathiques !
- Je pense que si la perspective
politique est clairement dessinée,
l'action militaire sera plus facile.
Je ne pense pas que les actions
militaires ne sont jamais
nécessaires, mais aujourd'hui, vous
le voyez bien, les bombardements à
partir de l'air ne suffisent pas.
- S'il n'y a pas une liaison entre
les forces aériennes et au sol des
gens qui disent où il faut frapper,
cela ne marche pas ! C'est la raison
pour laquelle la coopération entre
l'armée russe et l'armée syrienne de
Bachar Al-Asad fonctionne. Alors que
les frappes françaises et
américaines sont guidées par des
gens qui sont des spécialistes du
renseignement, peut-être y a t-il
aussi quelques forces spéciales,
mais je n'en suis pas sûr.
- Je ne dis pas qu'il faut une
intervention terrestre, non. Je dis
que, dans l'état actuel des choses,
si une intervention terrestre était
décidée, il faut que l'arrière plan
politique soit clarifiée, et puis il
faut que les pays de la région
interviennent : la Turquie, l'Iran,
l'Egypte, la Jordanie et d'autres.
- Au moment des révolutions
arabes, nous avons été un peu pris
de court, nous, la France, en
Tunisie, en Egypte. Et c'est en
quelque sorte pour se racheter, pour
prendre le train en marche, que M.
Sarkozy, poussé par des notabilités
médiatiques – je pense à M. Bernard
Henri-Lévy – est intervenu en Libye,
a rompu les relations diplomatiques
avec la Syrie. Et l'argument du
dictateur, c'est toujours un mauvais
argument ! Il vaut mieux avoir un
Etat, même avec tous les défauts,
que le chaos, l'anarchie, ce que
nous voyons ! Et finalement le
terrorisme djihadiste qui a une base
territoriale à partir de laquelle il
peut nous frapper.
- Très vite en Syrie, c'est devenu
une guerre par procuration, entre
l'Iran d'un côté, les monarchies du
Golfe de l'autre, et puis la
Turquie. Dans cette affaire-là, nous
nous sommes trouvés aspirés dans un
camp, et je pense que nous avons
manqué à notre rôle de médiation. La
France doit être une puissance de
médiation. Entre qui ? Plus
généralement, entre l'Occident et
les pays émergents. C'est ce qui
manque depuis vingt ans ! Il faut
restaurer une gouvernance mondiale,
c'est fondamental si on veut
résoudre politiquement les deux
problèmes qui se posent, l'Irak et
la Syrie.
- On prête à de Gaulle ce que l'on
appelle la politique arabe de la
France, qui consistait simplement à
appuyer les facteurs de progrès dans
le monde arabo-musulman. C'est cela
le bon sens. Les Américains depuis
1945 ont un lien particulier avec
l'Arabie Saoudite. Et l'idéologie
wahhabite s'est développée avec les
chocs pétroliers, qui ont rendu ces
États pétroliers immensément riches,
et aujourd'hui on observe les
progrès du salafisme d'un bout à
l'autre du monde musulman.
- L'Europe n'a pas de vision. Au
plan international, elle n'existe
pas, sauf à travers les initiatives
de la France. Et je salue encore une
fois l'intervention au Mali, qui
était nécessaire. C'était justifié.
- J'ai toujours dit que c'était
faute de République que
l'intégration de certaines
populations se fait mal ou
insuffisamment, mais ce n'est pas la
faute de la République, c'est faute
de République, que ce soit en
matière de politique économique, de
lutte contre le chômage, que ce soit
dans l'école, qui doit transmettre
des connaissances et des valeurs,
que ce soit dans la politique
urbaine, dans la politique du
logement, où on accepte des
concentrations de populations issues
de l'immigration. Mais il faut
éviter la repentance, parce qu'il
n'y a pas de culture de l'excuse
pour le passage à l'acte des
terroristes se disant djihadiste. Je
crois que nous devons réagir face à
cela avec une certaine unité
nationale, et avec une attitude à la
Clemenceau. Du temps de Clemenceau,
le Parlement n'a jamais cessé de
fonctionner, ses commissions
investiguaient sur le terrain, et
même si Clemenceau donnait confiance
en la victoire, le pays restait une
démocratie vivante.
- La peur est mauvaise
conseillère. Évitons tout ce qui
nous conduirait à un engrenage de
haine, à une spirale de vengeance, à
ce que René Girard appelait la
violence mimétique. Je pense que
c'est un danger.
- Je reviens au principe de base :
pour éradiquer le terrorisme, il
faut l'isoler de la population, le
couper de la population. Donc il
faut faire confiance aux Français en
général pour ne pas favoriser les
amalgames stupides, et en même
temps, il faut faire confiance aux
Français nés des dernières vagues de
l'immigration, aux musulmans, pour
isoler ceux qui auraient des
parcours de radicalisation.
- Si nous voulons désamorcer la
bombe qu'est le Sahel en Afrique,
nous devons agir ensemble, avec les
pays maghrébins. La réponse aux
problèmes que je vois venir à long
terme est dans le co-développement.
Nous ne devons pas oublier le rôle
que doivent jouer ces pays du
Maghreb.
- J'ai toujours combattu la
suppression du service national. Une
pétition vient d'être lancée par une
parlementaire, Mme Marie-Françoise
Bechtel pour le rétablissement d'un
service national court, avec des
formules de volontariat service
long. Une trentaine de
parlementaires l'ont déjà signé, et
beaucoup de citoyens. Je pense qu'il
faut intégrer cela si on veut donner
une profondeur et une solidité à
notre défense à long terme.
- D'ors et déjà, il s'est passé un
événement capital suite à ces
monstrueux attentats : on s'est
rendu compte que l'on ne remplacera
pas la nation. Dans l'épreuve, on se
resserre autour de la nation, autour
d'une conception républicaine,
communauté de citoyen, on chante la
Marseillaise. La nation ouverte, qui
tend la main, qui parle au monde,
qui est fidèle à sa devise liberté
égalité et surtout fraternité.
- Je pense que Michel Onfray est
un philosophe qui a pointé certaines
responsabilités occidentales dans ce
qui se passe : les deux guerres du
Golfe, la destruction de l'Etat
irakien... mais cela ne doit pas
nous faire oublier les causes
endogènes : le développement du
wahhabisme, d'une idéologie
mortifère qui est à mon avis le cœur
de ce qu'est aujourd'hui l'ennemi.
Mais je voudrais dépasser tout cela
en disant qu'à mon avis il a voulu
dire qu'il fallait donné priorité à
la politique plutôt qu'au traitement
militaire, et pour moi la politique
passe avant le militaire, le
militaire doit être au service de la
politique.
- Dans les secousses que nous
vivons, il peut y avoir quelque
chose de positif pour l'intégration,
pour que l'on fasse aimer la France
et pour que la France continue.
Parce que tout le monde se resserre
autour de la France. C'est notre
patrimoine commun.
Photo : Jean-Pierre
Chevènement
Source : Blog de
Jean-Pierre Chevènement
http://www.chevenement.fr/Pour-eradiquer-le-terrorisme-il-faut-l-isoler_a1778.html
Interview sur Europe 1:
Europe 1 - Europe 1 soir (33.56 Mo)
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