France Irak
Actualité
Des accusations d’ingérences françaises
en Algérie, parlons-en…
Gilles Munier
Pendant la guerre
d'Algérie, la wilaya 3 (Kabylie),
dirigée par le colonel Amirouche
(photo),
a été la cible de l'opération
Bleuite
Lundi 16 mars 2020 Par Gilles
Munier (Eurasia - mars 2020) *
Les accusations
d’ingérences de la France dans les
affaires algériennes ne sont pas des
fantasmes conspirationnistes.
En 1992, à Alger, »
L’Hebdo libéré » posait, en
« Une », cinq questions demeurées
sans réponse à ce jour : Qui a
assassiné Boumèdiène ? – Qui a placé
Chadli ? – Qui a organisé le 4 octobre
1988 ? - Qui a exécuté Boudiaf ? - Qui a
fait exploser la bombe à l’aéroport
d’Alger ? ». Visée, en filigrane :
la France.
Nombreux sont les
Algériens qui croient à l’existence d’un
réseau clandestin appelé Hizb al
França (parti de la France), qui
conduit leur pays à sa perte. Ils n’ont
peut-être pas tout à fait tort, car
l’Algérie semble aujourd’hui « au
bord du gouffre ».
Cet avis est
partagé par les centaines de milliers
d’Algériens du Hirak (1) qui
manifestent tous les vendredis, depuis
un an, contre le « système » mis
en place au lendemain de l’indépendance.
Le 15 mars 2019, outre les « Macron
dégage ! » scandés en plein centre
d’Alger, on pouvait lire sur les
pancartes : « France, game over ! »,
et « Serviteurs de la France,
c’est terminé ! »…
« La Mecque
des révolutionnaires »
L’infiltration du
Front de Libération Nationale (FLN)
et de l’Armée de Libération
Nationale (ALN) par la DST (Défense
et Sécurité du Territoire - Roger
Wibot, son directeur, en parle dans ses
mémoires) - et par le SDECE
(Service de documentation extérieure et
de contre-espionnage, dirigé par
le général Grossin), a commencé
pendant la guerre d’Algérie.
Parmi les agents
infiltrés : des officiers et des
sous-officiers ayant déserté l’armée sur
ordre, des maquisards retournés par le
capitaine Léger, concepteur de ce qu’on
a appelé la Bleuite (2).
Après
l’indépendance, des ingérences
françaises flagrantes débutèrent sous le
président Houari Boumédiène, quand
l’Algérie était perçue comme « La
Mecque des révolutionnaires »,
autrement dit : un repaire de dangereux
terroristes. De 1973 et 1976, elles
prirent des formes violentes : attentats
contre des consulats d’Algérie en France
(4 morts à Marseille), contre les
bureaux de l’Amicale des Algériens en
Europe ou d’Air Algérie -
assassinats de dizaines de travailleurs
immigrés - livraisons d’armes au SOA
(Soldats de l’Opposition Algérienne),
une organisation qui projetait de créer
un maquis en Kabylie, et qui fit sauter
en janvier 1976 quatre bombes dont une
au siège du quotidien El Moudjahid.
Selon le général
Rachid Benyellès, ancien directeur de la
base militaire de Mers-el-Kébir,
certains assassinats d’opposants
reprochés à Boumédiène, seraient l’œuvre
d’anciens militaires français de l’OAS
(Organisation Armée Secrète)
spécialisés dans les opérations dites
homo (assassinats ciblés), afin
de discréditer le régime.
Il faut savoir
aussi que le procès du général Raoul
Salan – chef de l’OAS - a révélé que
Valéry Giscard d’Estaing, devenu
président de la République, et Michel
Poniatowski son ministre de l’Intérieur,
renseignaient l’organisation secrète…
Cinquième
colonne
Abdelhamid Brahimi,
ancien Premier ministre algérien
(1984-1988), a accusé quatorze
déserteurs de l’armée française
(acronyme DAF) d’avoir constitué une
cinquième colonne au service des
intérêts français (3).
Parmi ces DAF,
deux sortent du lot : Khaled Nezzar dit
« le parrain » et Larbi Belkheir,
surnommé « le cardinal ». Le
premier a rejoint l’ALN basée aux
frontières en 1958 (quatre ans après
le déclenchement de la guerre
d’indépendance), le second en
1960-61 (4).
Khaled Nezzar est
un sous-officier de l’armée française
promu officier par Robert Lacoste,
gouverneur de l’Algérie française. Nommé
ministre de la Défense en 1990 par le
président Chadli Bendjedid, il dirigera
en 1992 la répression sanguinaire du
soulèvement populaire provoqué par
l’arrêt du processus électoral qui
devait porter démocratiquement le
Front islamique du Salut (FIS) au
pouvoir. Puis, aidé par son ami Larbi
Belkheir, directeur du cabinet
présidentiel, il renversera Chadli !
Le président
François Mitterrand – effrayé par la
montée de l’islam, comme il l’avait été
par la fatwa de Khomeini appelant à
exporter sa révolution - donnera son
feu vert au putsch et enverra le général
Rondeau conseiller le régime d’Alger
pendant la décennie noire. Il fermera
les yeux sur les massacres de civils, la
torture et les milliers de disparitions,
comme il l’avait fait pendant la guerre
d’Algérie, en tant que ministre de
l’Intérieur puis de la Justice (5).
Assassinat du
président Boudiaf
C’est sous le
régime Chadli que Larbi Belkheir mis en
place le système prédateur récusé par
les manifestants du Hirak. Les
projets de développement industriel
lancés par Boumédiène furent mis au
rencart et remplacés par un modèle
économique basé sur la rente pétrolière.
Ce sont aussi
Belkheir et Nezzar qui proposeront à
Mohamed Boudiaf, co-fondateur du FLN
réfugié au Maroc, de prendre la tête du
Haut Comité d’Etat, organisme
créé pour remplacer le président Chadli.
Mais quand Boudiaf voudra s’attaquer à
la corruption générée par les
pétrodollars, et remettre en cause le
contrôle de la population par la police
politique : ils l’élimineront. En tout
cas, c’est ce dont les accuse Nacer
Boudiaf, fils du président assassiné en
juin 1992
Larbi Belkheir est
également à l’origine du retour
d’Abdelaziz Bouteflika - ancien
ministre des Affaires étrangères de
Boumédiène - sur la scène politique
algérienne. Mal lui en pris, car ce
dernier n’étant pas du genre à se
laisser manipuler, le limogea dès son
arrivée au pouvoir.
Corruption
généralisée
Bouteflika avait
tenté d’accéder au pouvoir suprême à la
mort du président Boumédiène dont il
estimait être le dauphin (6). Mais,
accusé par la Sécurité Militaire (SM)
d’avoir détourné sur un compte à Genève
des reliquats budgétaires des ambassades
d’Algérie (7), il avait dû se réfugier
aux Émirats Arabes Unis.
Sous son règne -
20 ans sans partage – il a certes
mis un terme à la guerre civile, mais
laissé l’économie du pays partir à
vau-l’eau.
La corruption s’est
généralisée. Comme chacun sait : pour
qu’il y ait corruption, il faut des
corrupteurs. La France en a été la
principale bénéficiaire. Elle a fermé
les yeux sur les transferts d’argent
sale, les achats d’immeubles et accordé
des bourses aux enfants des généraux et
des ministres. En retour des
rétro-commissions ont sans doute
alimenté les caisses de partis
politiques ou les poches de
personnalités amies. On imagine le champ
d’intervention offert aux manipulations
des services secrets.
Le 2 janvier 2020,
à sa sortie de la prison d’El Harrach où
il était incarcéré par Ahmed Gaïd Salah
– chef d’Etat-major décédé
opportunément après l’élection
présidentielle qu’il a imposée en
décembre dernier - le commandant
Lakhdar Bouregaâ, ancien moudjahid de la
wilaya d’Alger historique (8), a
déclaré : « la bleuite, c’est
fini ! ». Espérons-le car, comme en
1962, la France a choisi de soutenir
l’État-major de l’Armée Nationale
Populaire (ANP) face aux
contestataires du Hirak.
Une question
lancinante demeure dans les esprits de
ceux qui se préoccupent du devenir de
l’Algérie : existe-t-il dans les bureaux
secrets de l’ancienne puissance
coloniale un plan de reconquête de
l’Algérie, sous une forme ou une autre**
? Répondre par l’affirmative
équivaudrait à chercher à se
faire traiter de conspirationniste.
Notes :
(1) Le Hirak
est le nom du soulèvement populaire
déclenché de 22 février 2019 à la suite
de la décision d’Abdelaziz Bouteflika de
se représenter pour un cinquième mandat.
(2) La « Bleuite »
est une opération d’infiltration et
d’intoxication montée par les services
secrets français pendant la guerre
d’Algérie.
(3) Ancien officier
de l’ALN, formé au Proche-Orient. Il est
l’auteur de « Aux origines de la
tragédie algérienne ».
(4) Larbi Belkheir
est aujourd’hui décédé et Khaled Nezzar
en fuite en Espagne, accusé par un
tribunal suisse de crime contre
l’humanité.
(5) François
Mitterrand, Garde de Sceaux du 1er
février 1956 au 21mai 1957, fera
guillotiner 45 « fellaghas », nom
donné par l’armée française aux
moudjahidine.
(6) A la fin de la
guerre d’Algérie, le général de Gaulle
l’avait laissé se rendre au château
d’Aulnoy où étaient détenus des
dirigeants historiques du FLN. Le
colonel Boumédiène, chef de
l’État-major général (EMG) en
conflit avec le GPRA (Gouvernement
Provisoire de la République Algérienne) l’avait
chargé d’en rallier au moins un à sa
cause. Mohamed Boudiaf ayant refusé, ce
fut Ahmed Ben Bella.
(7) El Moudjahid
du 9 août 1983.
(8) Pendant la
guerre d’indépendance, le FLN
avait divisé l’Algérie en plusieurs
régions militaires (wilayas). En 1962,
Lakhdar Bouregaâ s’est opposé à la prise
du pouvoir par l’armée des frontières,
puis a participé à une tentative de coup
d’État contre le président Boumédiène.
*Article paru en
italien dans la revue
Eurasia.
**Nota: Pour une
seconde indépendance
Les ingérences
citées ici ne donnent qu'un aperçu
succinct du jeu de la France en Algérie.
Le sommaire de Gilles Munier
Le dossier
Algérie
Le dossier
Irak
Les dernières mises à jour
|