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Algérie : Un éradicateur forcené à la
tête du DRS
Gilles Munier
Photo:
D.R.
Lundi 14 septembre 2015
Abdelaziz Bouteflika, Président de la
République « en titre », a
limogé le général Mohamed Lamine Mediene,
dit Tewfik, 76 ans, chef du DRS
(Département du Renseignement et de la
Sécurité), le service secret
algérien.
Pour le remplacer, il a nommé le
général-major Athmane Tartag (1),
65 ans, dit « Bachir »,
dit aussi « Bombardier »,
ancien directeur de la DSI
(Direction de la Sécurité Intérieure).
Il avait été limogé en 2012 après
avoir remis aux instances judiciaires un
dossier sur la corruption sévissant à la
société pétrolière Sonatrach et
à la Sonelgaz, au sein duquel
Chakib Khelil, ministre de l’Energie, et
Saïd Bouteflika, son frère cadet,
étaient impliqués. On dit que le violent
accès de colère provoqué par la lecture
de l’enquête de la DSI serait à
l’origine de l’AVC (accident
vasculaire cérébral) du Président.
Dans un régime mafiocratique comme
celui d’Alger, il ne faut s’étonner de
rien. Tous les retournements sont
possibles, pourvu qu’ils soient «
donnant-donnant » : le général
Tartag a donc été récupéré… par Saïd
Bouteflika et nommé auprès d’Ahmed Gaïd
Salah, 85 ans, chef d’Etat- major et
vice-ministre de la Défense.
En mettant à la retraite le général
Mediene, « Monsieur frère »
espère qu’aucun dossier compromettant ne
viendra gêner son ambition d’être élu
Présidence de la République le jour où
Abdelaziz décédera, ou celui où le «
clan Boutef » proclamera qu’il
n’est plus apte à exercer ses fonctions.
Cela n’aurait rien d’extraordinaire car
Saïd Bouteflika aurait le soutien secret
de François Hollande (2) et
qu’à l’exception du premier tour des
législatives de décembre 1991 favorables
aux candidats du FIS (Front
Islamique du Salut), les scrutins
ont toujours été truqués.
Le général-major Athmane Tartag,
surnommé le « monstre de Ben-Aknoun
» par les familles de disparus des
années noires (entre 7 000 et 20 000
personnes), échappera-t-il au
procès qui pourrait lui être intenté
devant la Cour pénal internationale pour
crime de guerre, si le régime des
généraux s’effondre ? Il est en effet
connu en Algérie pour avoir dirigé, de
1990 à 2001, le Centre principal
militaire d'investigation (CPMI) de
Ben-Aknoun, près d’Alger, où était
pratiquée, à la chaîne, la torture
d’opposants militaires ou civiles
soupçonnés d’accointances avec le
FIS, et à leur liquidation quand
ils n’étaient pas « récupérables »
(3).
Photo : Le
général-major Athmane Tartag, nouveau
patron du DRS
(1) Le général-major Athmane
Tartag a été formé à Moscou, à l’école
du KGB.
(2) Le 5 juin 2015, François
Hollande a effectué une visite éclair à
Alger pour parler de « sécurité »
ou plus précisément de
l’après-Bouteflika. Avec qui sinon avec
« Monsieur Frère » et Ahmed
Gaïd Salah ?
(3) En 2000, le MAOL
(Mouvement Algériens des Officiers
Libres), composé d’officiers
dissidents, a diffusé sur internet un
rapport, cité par
Algérie Watch, sur les activités du
CPMI. On peut y lire, notamment
:
« À l’arrestation, le sujet est
introduit dans la voiture, sa tête est
placée entre ses jambes pour qu’il ne
reconnaisse pas la destination ; une
fois arrivé au centre, la voiture est
stationnée devant la porte de la bâtisse
qui sert de prison. Le sujet est
descendu de la voiture et conduit à
l’intérieur avec une cagoule qui est
enlevée une fois à l’intérieur. Il est
ensuite délesté de tous ses vêtements
sous des regards humiliants, pour mettre
une combinaison militaire aux odeurs
nauséabondes (du même modèle que celle
des mécaniciens, mais de couleur verte),
déjà utilisée par des dizaines de
victimes et entachée de sang.
Généralement, le nouvel arrivé est
accueilli par les cris et les supplices
d’un autre détenu interrogé dans une des
salles réservées à cet usage. C’est le
premier choc que reçoit la personne
arrêtée, qui est ensuite soumise aux
pires exactions. La suite des événements
dépend toutefois du sort réservé à la
personne arrêtée par les chefs du CMPI :
selon les cas, les hommes de Tartag
chargés de mener l’interrogatoire se
comportent différemment, et si le sujet
bénéficie d’une recommandation d’une
autorité supérieure, c’est Tartag en
personne qui s’en charge.
Si c’est la mort qui est réservée
à la victime, les séances de torture
commencent immédiatement par des coups,
et la combinaison n’est même pas
nécessaire. Le cas du commandant Mohamed
Abbassa, un officier de la Marine, est
un exemple typique : arrêté au siège du
ministère de la Défense nationale (MDN)
le matin du 5 janvier 1994, il a été
transporté au CPMI, où il est mort deux
jours plus tard. Depuis le premier jour,
ce fut Tartag en personne qui s’occupa
de son cas. Arrêté sous le motif de «
suspicion d’appartenance à une
entreprise terroriste » (son nom avait
surgi lors d’un précédent interrogatoire
avec un autre officier qui osait dire «
non »), c’est bien sûr des noms que
voulait lui arracher Tartag, aidé par un
autre officier du CPMI (le « lieutenant
Mohamed ») qui prenait plaisir à
torturer des officiers supérieurs,
gifles et coups de manche à balai pour
commencer. Il fut ensuite allongé tout
nu sur un sommier métallique et attaché
par des sangles et arrosé d’un seau
d’eau. Le lieutenant Mohamed lui mit les
électrodes aux pieds puis aux organes
génitaux, Tartag dirigeait l’opération
et demandait la collaboration sous peine
de poursuites de la séance de vérité.
À chaque fois que le courant
était branché, le lit en entier se
déplaçait. Et ce qui rendait Tartag plus
nerveux était le silence et la
résistance du commandant Abbassa. Et
dans les rares moments de répit, la
seule réponse de Abbassa était : « Vous
ne savez pas ce que vous faites à
l’Algérie, êtes-vous seulement
conscients ? » Le chalumeau, le manche à
balai, les bouteilles, les fourchettes,
toute la panoplie de la torture fut
employée par Tartag et son second, et à
chaque fois que le commandant Abbassa
perdait connaissance, Tartag devenait
encore plus furieux et le lieutenant
tortionnaire était presque dans un état
de transe. Au soir de la deuxième
journée, ce fut un corps méconnaissable,
enflé et brûlé, même aux yeux, qui
rendit l’âme en murmurant des mots à
peine audibles. La dépouille n’eut même
pas droit à un enterrement correct
Tout comme dans les autres
centres de torture, le supplicié qui
mourrait sur la table où qui était
exécutée sommairement par la suite était
jetée dans la rue.
Un nombre impressionnant d’hommes
a péri dans des conditions atrocement
semblables, et à chaque fois les corps
étaient jetés pendant la nuit dans la
rue comme des chiens que l’on abat ; ils
avaient quand même droit à une mention
dans les colonnes des journaux du régime
: « Un terroriste a été abattu durant la
nuit… »
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