France-Irak
Actualité
La Norvège libère Mulla Krekar,
fondateur d’Ansar al-Islam
Gilles Munier
Photo:
D.R.
Dimanche 8 février 2015
Mulla Krekar, 58 ans, kurde
irakien fondateur de l’organisation
djihadiste Ansar al-Islam, a
été libéré le 25 janvier dernier en
Norvège où il était interné depuis deux
ans et 10 mois (1). Il a
aussitôt été assigné à résidence à
Kyrksaeteroera, village situé sur un
fjord à 500 kilomètres au nord d’Oslo.
Les autorités judiciaires
norvégiennes qui l’ont assigné à
résidence voudraient maintenant
l’extrader en Italie. Y
parviendront-elles? Son avocat a fait
appel de la décision « au nom des
droits de l’homme »…
Mulla Krekar espère retourner au
Kurdistan, mais comme son passeport ne
lui a pas été rendu, et que son nom–
ainsi qu’Ansar al-Islam - est sur
la liste noire des organisations
terroristes de l’ONU et du Département
d’Etat US, aucune compagnie aérienne ne
lui délivrera un billet.
A Erbil, capitale du Kurdistan
irakien, son frère a quand même pris
contact avec le gouvernement régional
pour négocier son retour. Massoud
Barzani et la famille Talabani n’y
tiennent pas. En revanche, les trois
principales organisations islamiques
kurdes – Mouvement islamique du
Kurdistan, Groupe islamique du Kurdistan
et Union islamique du Kurdistan - y
sont favorables. Muhammad Hakim,
porte-parole de la Société islamique
du Kurdistan (KIS), a déclaré qu’il
serait enchanté de voir Krekar
poursuivre sa lutte au sein de son parti
(2). Ses ennemis, nombreux au
PDK (Parti démocratique du
Kurdistan) et à l’UPK (Union
patriotique du Kurdistan),
craignent son charisme, tout en
reconnaissant en lui un intellectuel
musulman brillant, un poète féru
d’histoire du monde moderne et notamment
de celle du Proche-Orient.
Ben Laden, « joyau sur la
couronne de l’islam »
Mulla Krekar – de son vrai nom
Najmeddine Faraj Ahmad – ancien
opposant au régime baasiste irakien, a
le statut de réfugié en Norvège depuis
1991. Mais, cela ne l’a pas empêché de
retourner clandestinement en 2000 dans
le nord de l’Irak pour fonder Ansar
al-Islam qu’il a dirigé, selon ses
dires, jusqu’en 2002.
Krekar avait constitué un califat
dans les régions de Biara et Tawela,
deux villages de montagne proches de la
frontière avec l’Iran, au nord de
Halabja. Son organisation faisait partie
des réseaux d’Oussama Ben Laden dont il
a fait la connaissance en 1988 à
Peshawar, au Pakistan et qu’il décrit
comme « un homme bon, un bon
musulman opposé à l’administration Bush
», « un joyau sur le couronne de l’islam
».
Après le renversement de Saddam
Hussein, quand le djihadiste jordanien
Abou Moussab al-Zarqaoui - futur
chef d’Al-Qaïda au pays des deux fleuves
- s’est installé au nord de Halabja,
Mulla Krekar était rentré définitivement
à Oslo. Il y condamnait l’invasion
américaine, allant jusqu’à promettre la
mort à tous ceux qui collaboraient aves
les troupes d’occupation américaines en
Irak, y compris « les civils qui
leur offre un verre d’eau à boire »
(3).
Le PST (Politiets
Sikkerhetstjeneste - service secret
norvégien chargé de la sécurité
intérieure) le considèrent comme
une « menace pour la sécurité
nationale », mais la législation du
pays, très respectueuse du statut de
réfugié politique, ne devrait pas
permettre de l’expulser.
Allégeance au califat
Sous George W. Bush, la CIA
a tenté à plusieurs reprises d’enlever
Mulla Krebar. En février 2003, juste
avant l'invasion de l'Irak, Colin Powell
le présentait comme un lien
organisationnel entre Al-Qaïda
et Saddam Hussein.
Des agents secrets américains, venus
d’Italie – dont celui qui avait
kidnappé Hassan Mustafa Osama Nasr, un
religieux soupçonné à tort de terrorisme
transféré clandestinement dans un centre
de torture secret égyptien - ont
tenté de d’enlever Krekar à Oslo.
L’opération a échoué, un officiel
norvégien ayant prévenu Krekar, lui
donnant le temps d’ameuter les médias et
de réclamer une protection spéciale
(3).
Mulla Krekar était incarcéré à la
prison de Kongsvinger, un centre de
détention réservé aux étrangers, pour
avoir menacé, en juin 2010, la députée
conservatrice Erna Solberg, aujourd’hui
Premier ministre en déclarant que s’il
était assassiné, à la suite d’une «
déportation », « elle subirait le même
sort ». Surnommée « Solberg de
fer » - en référence à Margaret
Thatcher - est connue en Norvège
pour ses amitiés israéliennes. En 2008,
elle a refusé d’accorder l’asile à
Mordechaï Vanunu, l’ingénieur qui a
révélé l'existence du programme
nucléaire militaire israélien au
Sunday Times, en 1986.
On ne peut pas dire que l’Italie soit
le havre de paix convenant à Mulla
Krekar. La CIA et les services
secrets de l’OTAN y ont
toujours eu les mains libres, si ce
n’est plus. Il a promis aux habitants de
Kyrksaeteroera où on l’a assigné à
résidence, de leur apprendre la cuisine
kurde ! Mais, sa dernière apparition sur
Al-Jazeera n’est pas de nature
à améliorer son sort en Occident :
n’étant pas du genre à cacher ses
opinions, il y a déclaré son admiration
pour l’Etat islamique et accusé
ceux qui résistent au Califat d’être des
« lâches » au service des
Etats-Unis et de l’Iran (4).
Photo : Mulla Krekar
se recueillant dans la neige à sa sortie
de prison
(1)
Libération de Mullah Krekar de la prison
de Kongsvinger
(2)
Mixed feelings in Kurdistan as Norway
set to free radical Mulla Krekar
(Rudaw – 16/1/15)
(3)
The CIA and The Militant Who Eluded It
in Norway par Craig Whitlock
(Washington Post- 4/12/06)
(4)
Kurdish Islamic radical Mullah Krekar:
Only ISIS can fulfill Muslim ‘ambitions
and dreams (Ekud Daily – 5/2/15)
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 8 février 2015 avec
l'aimable autorisation de Gilles Munier
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