Antisémitisme ?
Critiquer la politique israélienne
n’a rien à voir avec l’antisémitisme
James J. Zogby
Lundi 5 novembre 2018 Par James J.
Zogby (revue de presse : lobelog –
extrait -6/10/18)*
J’ai été poussé à
écrire ce papier sur ce qui constitue et
ne constitue pas être antisémite suite à
l’article publié dans Ha’artez
sur la controverse suscitée par
l’attribution du prix Nobel 2018 de
chimie à George P. Smith. Selon
l’article, Smith est non seulement un
scientifique brillant dont le travail a
permis la mise au point de nouveaux
médicaments pouvant traiter le cancer et
une panoplie de maladies auto-immunes.
Smith est aussi un fervent défenseur des
droits des Palestiniens et un détracteur
de la politique israélienne.
L’article de
Ha’aretz note que Smith a
« longtemps été la cible de groupes pro
israéliens » et apparaît « sur le
très controversé site de la Canary
Mission » utilisé par les partisans
d’Israël pour harasser et faire taire
les opposants.
En cherchant dans
l’article les preuves du péché originel
de Smith, j’ai trouvé des citations dans
lesquelles il déclarait « qu’il ne
souhaitait pas que les juifs israéliens
soient expulsés » mais « la fin
du régime discriminatoire contre les
Palestiniens ». Plus loin,
Ha’aretz reprend des propos publiés
dans une tribune écrite par Smith dans
laquelle il condamne la politique
israélienne à Gaza et finit par exprimer
son soutien au Boycott, Divestment,
and Sanctions movement (BDS) qu’il
qualifie « d’un appel de la société
civile palestinienne à la conscience de
la communauté internationale pour
ostraciser le milieux des affaires et
les institutions israéliens jusqu’à ce
que le pays renonce à la violence faite
aux Palestiniens et que ces derniers, y
compris les exilés obtiennent les mêmes
droits que les juifs dans sur les terres
qu’ils partagent ».
J’ai lu tout cela
en le replaçant dans le contexte actuel
d’une campagne inquiétante, qui se
déroule aux Etats-Unis, visant à faire
taire toute critique à l’encontre
d’Israël ou de sa vision politique d’un
sionisme exclusif.
Elle est le fruit
d’un effort concerté et massivement
financé qui repose sur le site web
Canary Mission, qui publie les noms,
photos et informations d’étudiants et
professeurs pro-palestiniens, en les
traitants d’antisémites ou de
sympathisants terroristes. Leur but est
de nuire à leur carrière. La liste de la
Canary Mission sert aussi à
souiller et à dénigrer ces militants
ainsi qu’à dissuader les hommes
politiques de les rencontrer. La liste
sert aussi au gouvernement israélien
pour refuser l’entrée aux Palestiniens
d’origine américaine ou aux juifs
américains libéraux qui veulent voir
leur famille, étudier, enseigner ou
simplement visiter le pays.
Malgré tous les
efforts de la Canary Mission pour
garder secrets ses opérations,
dirigeants et sources de financement, de
récents articles publiés dans la presse
juive révèlent que le projet est soutenu
financièrement par des entités
philanthropiques juives-américaines
ayant pignon sur rue.
A cela d’ajoute la
campagne visant à criminaliser le
soutien porté au BDS ou à pénaliser les
partisans de mouvements exigeant
qu’Israël soit tenu responsable des
violations systématiques des droits des
Palestiniens. Celle-ci est financée
massivement par des gens comme Sheldon
Adelson, mais aussi, comme cela a été
révélé par un journal juif américain
réputé, par le gouvernement israélien à
hauteur de millions de dollars.
Ceci est sans
compter avec les propositions de loi en
discussion au Congrès dont l’objectif
est de criminaliser le boycott d’Israël,
ce qui viendrait s’ajouter aux lois
adoptés par 25 Etats aujourd’hui, qui
leur permettent de refuser le paiement
de salaires ainsi que l’attribution de
contrats et autres bénéfices aux
individus qui soutiennent le BDS.
…(…)… Tous ces
développements appellent à la
réflexion : tout d’abord l’antisémitisme
existe, il est laid et dangereux.
Ensuite, critiquer Israël n’équivaut pas
à être antisémite. Finalement,
l’amalgamation des deux réduit au
silence un débat qui est nécessaire et
nuit aux efforts d’éradication du
véritable antisémitisme, un fléau qui a
créé de grandes souffrances dans
l’histoire de l’humanité.
D’un côté, il y a
l’antisémitisme, qui est la haine des
Juifs, pris individuellement et en tant
que groupe. Cela consiste aussi en
l’attribution d’intentions négatives à
ces individus ou groupe parce qu’ils
sont juifs. De l’autre, critiquer la
politique d’Israël n’est pas un acte
antisémite. Lorsque Smith critique
Israël au sujet de massacres de
Palestiniens à la frontière de Gaza ou
son refus d’accorder aux Palestiniens
les mêmes droits et la même justice, il
n’attribue pas ce comportement au fait
qu’il soit juif. Il ne dit pas
«Israël opprime les Palestiniens en
raison du comportement des Juifs ».
Il ne dit pas non plus que tous les
Juifs, en tant que groupe, sont
responsables de ces actions, car ceci
serait antisémite. La seule raison pour
laquelle on vise Smith et d’autres comme
lui qui critiquent la politique de
l’Etat israélien (qui par ailleurs,
n’est pas soutenue par tous les
Israéliens ou Juifs dans le monde)
est la volonté de faire taire leur
voix.
L’idée que
critiquer Israël est un acte antisémite
(ce qu’on appelle « le nouvel
antisémitisme ») n’est pas nouvelle.
Elle a refait surface récemment,
renforcée par une campagne visant à
inclure dans la définition de
l’antisémitisme toute critique dirigée
contre Israël en particulier qui ne
serait pas applicable à d’autres pays.
Ceci n’est au mieux qu’un effort
désespéré de protéger Israël. Alors que
ses partisans soutiennent qu’ils ne
visent que ceux qui pointent du doigt
Israël, ce qu’ils cherchent à obtenir
c’est une stigmatisation d’Israël comme
étant le seul pays ne pouvant être
critiqué.
Il est clair que
dans beaucoup de cas, la lutte contre le
véritable antisémitisme recule devant
cette volonté effrénée de protéger
Israël. Par exemple, alors que certains
groupes pro-israéliens ont accusé Jeremy
Corbyn, le chef du Parti Travailliste
britannique de tolérer l’antisémitisme,
ils ont largement ignoré les virulences
antisémites des groupes d’extrême droite
qui opèrent sur la scène politique
anglaise. Ceci a conduit beaucoup de
travaillistes à conclure que Corbyn
avait été ciblé pour son soutien sans
faille aux droits des Palestiniens. La
même chose pourrait être dite des
relations de Benjamin Netanyahou avec
les leaders européens antisémites
d’extrême droite, en raison de leur fort
soutien à son gouvernement.
En résumé, on ne
cherche pas à combattre l’antisémitisme
mais à faire taire la critique, et ce
faisant, on assène un coup à la
critique méritée légitime et nécessaire
de la politique israélienne, à la
réputation de personnes telles que Smith
et des étudiants militants qui dénoncent
les injustices infligées aux
Palestiniens, et enfin à la lutte contre
ce fléau qu’est le véritable
antisémitisme.
James J. Zogby
est le président de l’Arab American
Institute.
*Source :
Loblog.com
Traduction et
Synthèse : Z.E pour
France-Irak Actualité
Pour info :
le
site de la Canary Mission
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