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Irak : Le peuple réclame
un changement
radical de régime
Gilles Munier
Manifestation
anti-régime place Tahrir, à Bagdad
Dimanche 3 novembre 2019
Le bilan des
victimes de la répression du régime à
Bagdad et dans les provinces
majoritairement chiites -
y compris
dans les villes saintes de Nadjaf et de
Kerbala - s’alourdit. Plusieurs
centaines de manifestants ont été tuées.
Les blessés se comptent par milliers.
Pour se protéger des snipers, les
Irakiens occupent le toit des immeubles.
Les tirs à balles réelles ne suffisant
pas à terroriser les protestataires, les
forces de sécurité utilisent à Bagdad –
selon Amnesty International
- des grenades lacrymogènes dites
« brise crâne » (inconnues
auparavant, fabriquées en Serbie et en
Bulgarie).
Le Premier ministre
Adel Abdel Mahdi, responsable de
ces massacres, serait prêt à
démissionner, si…. Mais, son départ plus
ou moins programmé ne satisfera pas les
revendications sociales et politiques
des Irakiens chiites qui, depuis au
moins 2010, sont sauvagement réprimés…
et vaccinés contre les promesses de
lendemains qui chantent, qu’elles soient
occidentales ou iraniennes.
Un peuple uni
contre la « cleptocratie »
Rappel nécessaire :
en juin 2010,
des manifestations ont fait deux
morts à Bassora. Nouri al-Maliki, alors
Premier ministre, a aussitôt promis de
régler les problèmes d’eau et
d’électricité en deux ans, s’il était
réélu. Il l’a été, mais la situation
s’est détériorée et le mécontentement a
gagné la capitale.
Le 25 février 2011,
baptisé « Journée
de la colère irakienne »,
environ 5000 Irakiens s’étaient
rassemblés place Tahrir, à Bagdad pour
réclamer de meilleures conditions de
vie, et condamner la corruption et
l’incurie des dirigeants. Paniqué, Al-Maliki
avait donné l’ordre de tirer pour
empêcher les protestataires de
pénétrer dans la Zone verte.
Bilan: 23 tués, plusieurs centaines de
blessés, selon le Washington Post.
Sur les banderoles, on pouvait lire en
arabe des slogans identiques à ceux
visant aujourd’hui Adel Abdel Mahdi :
«Maliki menteur », « A bas les
voleurs », « Où sont les milliards du
pétrole ? », « Non au sectarisme,
oui à l’unité ».
Des manifestations,
baptisées cette fois « Aube de la
libération », se sont
poursuivies tous les vendredis. Le 9
septembre 2011,
le journaliste chiite Hadi al-Mahdi,
un des organisateurs des « Journées
de la colère », fut abattu de deux
balles dans la tête à son domicile, avec
un revolver silencieux. Signe que le
mécontentement gagnait de plus en plus
la communauté chiite : Hadi al-Mahdi
était membre d’Al-Dawa, le parti
de Maliki. Il animait, sur une radio
privée, une émission où il s’en
prenait à la corruption et à
l'incompétence des hommes politiques
irakiens, quelles que soient leurs
tendances.
Fin juillet 2015,
de nouvelles manifestations d’ampleur
éclataient à Bagdad, Bassora, Nadjaf,
Nasiriya… Par
50° à l’ombre, comme en 2010, la
foule en colère criait : « Voleurs,
voleurs… » et accusait le régime de
corruption. Elle réclamait l’arrestation
des dirigeants ayant conduit la société
irakienne
au désastre. Le principal homme
politique visé : Nouri al-Maliki,
vice-Président de la République refusait
de démissionner.
Depuis les
résultats des élections législatives de
mai 2018, le
compte à rebours vers l’inconnu est
enclenché. Le bloc Sairoun dirigé
par Moqtada al-Sadr l’a emporté sur l’Alliance
Fateh de Hadi al-Amiri, chef de la
Brigade Badr et des Hachd al-Chaabi.
C’est du moins ce que les Etats-Unis ont
reconnu, sans être démentis par Téhéran.
Le taux de participation n’ayant été,
parait-il, que de 20%, c’est dire que
les 329 « heureux élus » ne
représentent pas grand monde.
Réviser le
système étatique
Avec une
constitution dictée par les Américains
et les Israéliens, dont un des objectifs
fixés par Joseph Biden – alors
vice-Président des USA - était
clairement de partitionner l’Irak en
trois régions, la situation du pays ne
pouvait aller que de mal en pis.
Résultat : l’Irak est aujourd’hui
ingouvernable.
Pour tenter de
sauver le pays du chaos, Barham Saleh,
Président kurde de la République,
soutenu notamment par le cheikh sunnite
Jamal al-Dhari, propose de
réviser le système étatique. Qaïs
al-Khazali, chef de la puissante milice
chiite Ligue des Vertueux (Asa’ib
Ahl al-Haq), n’y serait pas
défavorable. L’an dernier, il
appelait à transformer le
régime parlementaire en régime
présidentiel, afin de mettre fin au
« système des quotas
ethno-confessionnels et à la
corruption ».
Mais, qui peut
croire que la perspective de longs
débats parlementaires est suffisante
pour calmer les manifestants qui
réclament un changement radical de
régime ?
Moqtada al-Sadr :
l’éternel retour
Au sein du clergé
chiite, des religieux contestataires
font entendre leur voix. Parmi eux,
le célèbre
Marja irakien Kamal al-Haidari qui,
de Qom, encourage les manifestants à
poursuivre leur combat, ou le Grand
ayatollah Hassan al-Moussawi qui demande
à Ali Khamenei, Guide de la
Révolution iranienne, de « laisser
l’Irak tranquille » et
qui dénonce l’arrogance des milices
soutenues par Téhéran.
Le 29
octobre dernier, Moqtada al-Sadr a
rejoint symboliquement les milliers
d’Irakiens chiites qui manifestaient à
Nadjaf. Bon nombre d’entre eux lui
reprochent d’avoir laissé la bride sur
le cou d’Adel Abdel Mahdi après l’avoir
fait élire Premier ministre, et donc de
n’avoir pas insisté pour que ses
engagements de réformes et de lutte
contre la corruption soient tenus.
Moqtada al-Sadr a
plus d’un tour dans son sac. Il saura
leur répondre. Mais il ne faudrait pas
que,
comme en 2010, après avoir soutenu
les contestataires anti-Maliki, il
demande à ceux qui traitent Abdel Mahdi
de « roi des voleurs » d’arrêter
de manifester contre de nouvelles
promesses (sous prétexte, non-dit,
que cela met en péril le système
confessionnel). Cette fois, la
colère est trop grande, cela risque de
ne pas marcher.
Et ce n’est pas
parce que la contestation est ancrée
dans les provinces chiites qu’il faut
penser que les sunnites – turkmènes
ou kurdes – et les chrétiens n’en
partagent pas les objectifs. Au
contraire.
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