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Algérie - « Courage fuyons » :
Le
trouble jeu du général Khaled Nezzar
Gilles Munier
Khaled Nezzar,
ex-ministre algérien de la Défense
Vendredi 2 août 2019
L’ancien
ministre de la Défense Khaled Nezzar
s’est « réfugié »
en Espagne,
craignant que les enquêtes lancées
contre son fils Lotfi –
qui l’a
rejoint – ne débouchent sur une
ISTN (Interdiction de Sortie du
Territoire) le concernant et,
in
fine, sur l’ouverture de dossiers
l’incriminant. Ces derniers ne manquent
pas…
Depuis le
déclenchement du Hirak, le
général à la retraite navigue à vue. Le
site « Algérie patriotique »,
porte-voix de son clan et brulot
éradicateur, a d’abord qualifié le
soulèvement populaire du 22 février de
manipulation des services secrets
marocains et français, puis a fermé
précipitamment boutique le 24 avril
suivant, redoutant les foudres d’Ahmed
Gaïd Salah, actuel chef d’Etat-major de
l’Armée Nationale populaire (ANP),
qu’il a décrit jadis, mais
sans oser le nommer, comme étant un
individu « fruste et mégalomane ».
A malin, malin
et demi
Quelques jours plus
tard, changement de tactique : Nezzar « révélait »
sur « Algérie patriotique »,
ressuscité tout aussi précipitamment sur
Internet, que Saïd Bouteflika, frère du
président de la République, lui avait
demandé des conseils pour mettre fin au
Hirak, et parlé d’instaurer un
Etat de siège et de limoger Gaïd Salah.
Pour enfoncer un
peu plus Saïd Bouteflika, incarcéré
pour « atteinte à l’autorité de
l’armée » « et « complot contre
l'autorité de l'État », et sans
doute pour complaire à Gaïd Salah,
Nezzar a confirmé ses dires devant le
Tribunal militaire de Blida.
Parallèlement, le site « Algérie
patriotique » s’est repositionné en
faveur du Hirak qu’il accusait
d’être une création de
l’étranger !
A malin, malin et
demi ! Ni le Hirak, ni Gaïd Salah
n’ont mordu à l’hameçon et le virage à
180° de Nezzar s’est terminé dans le
décor. Il ne lui restait plus qu’à fuir
en rase campagne.
Passons sur les
ennuis de Lotfi Nezzar qui doit
expliquer comment il a pu transférer
2 millions d’euros en Espagne alors
que la législation algérienne
l’interdit, et d’où vient l’argent.
Passons aussi sur la plainte de la
société américaine Chass qui
accuse le clan Nezzar d’escroquerie
(lire à ce sujet, l’enquête du
journaliste d’investigation Hichem Aboud
dans
Mon journal) : ce ne sont là que
broutilles par rapport à ce qui est
reproché nommément au général.
Une mafia
d’anciens
« déserteurs » de
l’Armée française
Il est bon de
rappeler que Khaled Nezzar est un ancien
sous-officier de l’Armée française qui
n’a rejoint l’Armée de Libération
Nationale (ALN) qu’en 1958,
c’est-à-dire 4 ans après le
déclenchement de la guerre. Il fait
partie des Déserteurs de l’Armée
Française (DAF) et passe en Algérie
– à tort ou à raison - pour avoir
été infiltré dans le FLN par
Roger Wybot, directeur de la DST.
Il a gagné ses galons d’officier
français grâce à la décision de
Robert Lacoste, gouverneur général
et ministre de l’Algérie, de
promouvoir un certain nombre de
militaires algériens.
Après la mort
mystérieuse de Houari Boumediene, les
DAF – surnommés Hizb al-França :
Parti de la France - ont quasiment pris
le pouvoir en Algérie. Avec Nezzar
devenu ministre de la Défense, ils sont
à l’origine de la déstabilisation du
pays et de la guerre civile provoquée
par l’annulation du processus électoral
en 1991 et par le renversement du
président Chadli Bendjedid en janvier
1992.
Aujourd’hui, les
fils du président Mohamed Boudiaf,
membre fondateur du FLN en 1954
et opposant historique au
« système », accusent Nezzar et le
général Toufik – ancien chef du DRS,
le service secret - d’avoir
commandité le meurtre de leur père en
juin 1992.
Massacres,
arrestations, tortures
S’il est jugé un
jour, Khaled Nezzar - alors chargé du
rétablissement de l’ordre - devra
d’abord répondre de sa responsabilité
dans les massacres, arrestations et
tortures dont furent victimes les
manifestants anti-système d’octobre
1988, un Hirak avant l’heure.
Bilan: 500 morts.
Dans son livre « La
mafia des généraux »,
malheureusement épuisé, Hichem Aboud
rapporte que Nezzar aurait même ordonné
à un tankiste de
tirer au canon sur la foule.
L’ordre, heureusement, n’a pas été
exécuté.
Nezzar devra aussi
répondre de la répression des
manifestants opposés au coup d’Etat de
1992, tous accusés d’être des partisans
du Front Islamique du Salut (FIS).
L’un d’eux, Lyes Laribi, réfugié en
France après 1 400 jours d’incarcération
dans le camp de concentration d’In M'guel,
au Sahara, puis à la prison militaire de
Blida, décrit dans son livre témoignage
- « Dans
les geôles de Nezzar » - les
sévices endurés par les prisonniers. Son
crime : avoir créé le premier syndicat
étudiant libre d'Algérie. Il n’avait
rien à voir avec le FIS.
(Nota : Le camp de
concentration de In M’guel est implanté
dans une connue pour être polluées par
les essais nucléaires français).
En 2001, Lyes
Laribi, auteur d’une « Histoire
des services secrets algériens »
que j’ai préfacé, a porté plainte, avec
d’autres, contre Nezzar pour « crime
contre l’humanité ». Les autorités
françaises ont exfiltré le général en
urgence absolue via l’aéroport du
Bourget…
Accusations
d’escroqueries et de crimes de guerre
En Espagne, Nezzar
n’est peut-être pas à l’abri d’une
demande d’extradition vers la Suisse où
le Tribunal Pénal Fédéral (TPF) a
ordonné, en juin 2018, la
réouverture de son dossier. A
Genève, il est sous le coup d’une
accusation de « crime de guerre »,
voire de « crime contre l’humanité ».
Le TPF estime que Nezzar ne
pouvait pas ne pas être conscient des
exactions commises par ses subordonnés
durant la décennie noire, lorsqu’il
était ministre de la Défense :
exécutions extrajudiciaires,
disparitions forcées et actes de
torture.
Pour mémoire, la
sale guerre contre le FIS, dite
décennie noire, s’est soldée par
150 000 morts ou plus, et entre 7 et
20 000
disparus. Tous ne sont évidemment
pas à imputer à l’ANP, mais il
faut bien constater que les plaintes
déposées incriminent tout
particulièrement certains officiers, et
notamment le général Toufik nommé et
promu par Nezzar.
Dans son témoignage
publié par « Algérie patriotique »,
Nezzar reconnait avoir demandé, « en
aparté », à Saïd Bouteflika, de
remettre une lettre à son frère pour le
prévenir que des commissions rogatoires
lancées par le TPF visaient
l’institution militaire algérienne.
Nezzar : Le
retour ?
Après avoir fait
annoncer que suite à une dégradation
subite de son état de santé, il était
hospitalisé à Madrid, Nezzar, 81
ans, s’est mis à diffuser des
tweets fielleux contre Gaïd Salah.
Le 26 juillet il a révélé avoir
connaissance « informations
crédibles… sur un projet d'arrestation
arbitraire, immotivé et inique » qui
l’empêchent de rentrer en Algérie. Puis,
changeant d’avis deux jours plus tard,
il s'est dit prêt, selon
Algérie Part, à retourner au
pays pour affronter les juges.
S’il ne s’agit pas
encore d’un faux-fuyant, c’est un peu
d’espoir pour les milliers de familles
qui réclament justice et réparation pour
les exactions commises sous son
autorité.
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