France-Irak
Actualité
Vers des opérations US au sol en Irak et
en Syrie
Gilles Munier
Dimanche 1er novembre 2015
Selon le témoignage mardi du
secrétaire à la Défense Ashton Carter,
le Pentagone est en train de préparer
une nouvelle escalade des opérations
militaires américaines en Irak et en
Syrie, dont une « action directe au sol.
»
« Nous ne nous retiendrons pas de
soutenir des partenaires compétents lors
d’attaques opportunistes contre l’Isil
[acronyme pour Etat islamique en Irak et
en Syrie (Isis)] ou d’effectuer
directement de telles missions, soit par
des frappes aériennes soit par une
action directe menée au sol, » a dit
Carter au Comité des forces armées du
Sénat.
« Nous comptons intensifier notre
campagne aérienne, y compris avec des
avions supplémentaires américains et de
la coalition afin de toucher l’Isil par
un taux et une fréquence de frappes
supérieurs, » a dit Carter.
Faisant allusion à un raid mené la
semaine passée par les forces spéciales
américaines et la milice kurde pour
secourir des otages détenus par l’Isis,
Carter a dit, « Si notre mission en Irak
est d’entraîner, conseiller et assister
nos partenaires irakiens, dans des
situations telles que cette opération –
où nous disposons de renseignements
exploitables permettant d’engager une
action et des partenaires armés capables
– nous voulons soutenir nos partenaires.
»
Dans ce cas, les « renseignements
exploitables » se sont révélés erronés,
vu qu’aucun des otages kurdes recherchés
ne se trouvait sur le site et qu’un
grand nombre des « secourus » se sont
avérés être des membres d’Isis détenus
par la milice islamiste en tant
qu’espions présumés.
Carter a impliqué que les Etats-Unis
ne chercheraient pas à établir
immédiatement une zone d’exclusion
aérienne en Syrie comme demandé par un
grand nombre de gens au sein de l’establishment
politique et de l’appareil militaire et
du renseignement, mais il a confirmé
qu’une telle décision était envisagée
et, qu’en cas de mise en œuvre, elle
nécessiterait une occupation militaire
d’une sorte ou d’une autre sur le
terrain.
« Nous n’avons pas de concept
d’opération pour une zone d’exclusion
aérienne que nous serions prêts à
recommander, » a précisé Carter au
comité. Mais il s’est dit plus tard prêt
à discuter à huis clos avec les
sénateurs intéressés d’éventuels
scénarios de zone d’exclusion aérienne
et a dit qu’une telle zone n’était « pas
rayée de l’ordre du jour. »
Selon le Washington Post, le
gouvernement Obama pourrait dès cette
semaine autoriser les nouvelles
opérations au sol tant en Irak qu’en
Syrie. Le projet en a été élaboré sur
plusieurs mois par des chefs militaires
américains après une visite hautement
médiatisée d’Obama au Pentagone en
juillet, selon ce journal.
Parmi les opérations proposées par le
Pentagone, il y a le projet d’incorporer
des équipes des forces spéciales
américaines aux groupes syriens et
kurdes dans le nord de l’Irak et en
Syrie en préparation aux offensives
terrestres soutenues par les Etats-Unis
dans les deux régions. « Ces changements
représenteraient une escalade
significative du rôle joué par les
Etats-Unis en Irak et en Syrie, » a
indiqué le Washington Post.
Les déclarations de Carter et les
informations du Post
constituent une répudiation sans
équivoque de la promesse du gouvernement
Obama que les troupes américaines ne
participeraient pas au combat sur le
terrain dans le cadre de l’opération
Inherent Resolve, la nouvelle
intervention de l’armée américaine en
Irak autorisée par la Maison Blanche en
juin 2014.
Dans les remarques faites mardi,
Carter a été clair, les dispositions ont
été prises en grande partie en réponse à
l’intervention croissante de la Russie
dans la région. Il a reproché au
gouvernement russe de « redoubler
d’efforts dans les relations de longue
date qu’il entretient avec [le président
syrien] Assad, » et a mis en garde les
sénateurs contre un renforcement de
l’influence russe et iranienne sur le
régime mis en place par les Etats-Unis à
Bagdad.
« Pour être franc, » a dit Carter, «
[le premier ministre irakien] Abadi ne
détermine pas entièrement ce qui se
passe en Irak. »
Quant aux membres du Comité des
forces armées du Sénat des deux partis,
ils ont exprimé leur appui à des mesures
agressives pour mettre en place des
forces sunnites et kurdes comme
mandataires des Etats-Unis et rempart
contre un Irak dominé par la Russie et
l’Iran.
Dans des propos repris ces dernières
semaines par l’ensemble de l’establishment
politique américain, le sénateur
républicain Joni Ernst a dit que les
peshmergas kurdes « sont de grands
alliés pour nous, » et représentent «
l’unique force sur le terrain jouissant
d’une certaine dynamique. »
Ces louanges lancées aux milices
kurdes au Sénat ne faisaient que
souligner l’énorme crise et les
profondes contradictions qui pèsent sur
l’intervention américaine dans la
région. L’audience au sénat avait lieu
le jour même où le gouvernement turc,
allié de Washington à l’OTAN, admettait
avoir lancé des frappes contre les
combattants kurdes soutenus par les
Etats-Unis dans le nord de la Syrie.
Selon le New York Times, les
groupes kurdes attaqués par la Turquie,
dont des miliciens des Unités de
protection du peuple kurde (YPG) étaient
« certains des alliés les plus
importants au sein de la coalition menée
par les Etats-Unis en Syrie. »
Les frappes turques qui incluaient
des attaques contre deux villes
stratégiques le long de la frontière
turco-syrienne, avaient pour objectif
d’influencer la situation militaire pour
préparer l’établissement de « zones
d’exclusion aérienne » dans le nord de
la Syrie sous les auspices des forces
terrestres et aériennes turques, selon
des observations mardi du premier
ministre turc Ahmet Davutoglu.
« Si l’YPG se déplace vers l’ouest de
l’Euphrate, nous l’attaquerons, » a dit
le premier ministre turc lors d’une
apparition à la télévision.
Les frappes lancées mardi reflétaient
« une nouvelle détermination de la
Turquie d’étendre les opérations
militaires contre le groupe allié aux
Américain, » a écrit le Times.
Lors de conversations officieuses
mentionnées par le Wall Street
Journal, des responsables du
gouvernement Obama restés anonymes ont
admis qu’une partie au moins des quelque
50 tonnes d’aide militaire larguée par
les Etats-Unis dans le nord de la Syrie
avait fini entre les mains de l’YPG et
d’autres groupes kurdes effectivement en
guerre contre l’Etat turc.
« Le renforcement de
la coopération américaine avec l’YPG en
Syrie ouvre la voie à une réaction
miliaire de la Turquie qui craint que
des dirigeants kurdes enhardis
n’intensifient leurs demandes en faveur
d’un Etat indépendant dans les régions
dominées par les Kurdes, à cheval sur
des zones faisant partie de la Turquie,
de la Syrie, de l’Irak et de l’Iran, »
notait le Journal mardi.
Alors que des informations faisaient
état mardi d’une future participation de
l’Iran aux pourparlers politiques
engagés par les Etats-Unis et la Russie
au sujet de la Syrie, les Etats
anti-iraniens du Golfe ont indiqué leur
disposition à lancer leurs propres
incursions militaires contre du
gouvernement syrien.
Le ministre qatari des Affaires
étrangères avait dit la semaine passée à
CNN que le Qatar était susceptible de
lancer une intervention militaire en
Syrie, en collaboration éventuelle avec
la Turquie et l’Arabie saoudite, s’il
fallait « protéger le peuple syrien de
la brutalité du régime. »
Le facteur le plus important à
pousser le Moyen-Orient dans un bain de
sang et un chaos de plus en plus grands
est l’éruption volcanique du militarisme
américain. Washington a réagi à l’échec
de sa politique au Moyen-Orient par une
escalade militaire de plus. Le président
Obama, qu’on a vendu à l’opinion
publique américaine comme le candidat
qui mettrait fin à la guerre haïe en
Irak, est en train d’expédier des
troupes américaines pour des opérations
militaires sans limitation de durée, non
seulement en Afghanistan mais aussi en
Irak et en Syrie.
Photo : Opération US
en Irak
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