L'actualité du
droit
Défendre un terroriste ? Jamais !
Gilles Devers
Vendredi 29 avril 2016
Je ne suis pas exactement tombé
de la dernière pluie, et je ne connais
que trop la médiocrité dans laquelle
stagne le débat public en France,… avec
cette hystérie de l’instant présent, qui
ringardise toute réflexion un minimum
structurée. Mais ça ne m’empêche pas de
m’agacer devant ces débats débiles qui
deviennent cause n° 1 en cinq minutes.
Bon, je suis avocat. Donc
question intelligente : est-ce que tu
acceptes de défendre un violeur ? est-ce
que tu acceptes de défendre un
terroriste ?
Je devrais simplement répondre
« non », et « non, jamais », et hausser
les épaules, mais le caractère débile de
la question m’oblige à m'y arrêter cinq
minutes.
Un avocat ne défend pas une
personne, il défend ses droits. Toute
personne, vivante ou morte, agresseur ou
victime, a des droits, qui sont sans
doute ses droits, dans une
dimension subjective, mais qui surtout
sont nos droits, à tous, dans
une réalité objective. Défendre ces
droits-là, c’est un devoir, car c’est un
bien commun. Notre devoir de défenseur
est d'aller aussi loin qu'il est logique
dans la tension du procès, pour faire
entendre un point de vue minoritaire,
créer l'espace du doute, assumer
l'affrontement avec l'accusation, mais
c'est le juge qui tranchera.
- C'est un peu facile. Le mec
qui programme d'assassiner une centaine
d'innocents et moi, ce n'est pas le même
monde.
- Si tu acceptes qu’on
zigouille les droits d’un criminel, tu
retrouveras tôt ou tard, recyclée, la
même règle jouant contre toi. Le goût de
la liberté n'est pas un ennemi, c'est au
contraire ce qui fonde notre société.
Donc je dois défendre avec lucidité,
ténacité et acharnement les droits d'une
personne, quoi qu’elle ait fait, mais il
est hors de question de défendre la
personne. Ce serait une démarche
post-ado, juste bonne pour un plateau
télé de Canal+.
- Tu te facilites la vie...
- Pas du tout. Lors que je vais
aux assises comme avocat d'un violeur,
je n'ai que du rejet et du mépris pour
ce qu'il a fait, mais cela ne change
rien au fait que je dois être un
professionnel vaillant, pour défendre le
respect de nos règles de droit.
- Par exemple ?
- On t’accuse. Qui t'accuse ?
Au nom de quoi ? Quels sont tes droits ?
Comment est définie la qualification
légale ? Quelles sont les preuves et
comment sont-elles réunies ? Quelles
sont les garanties d’indépendance du
juge ? Quelles règles assurent que la
peine sera proportionnée aux faits ? Ça,
c’est la vie de tout le monde.
- Oui, mais quand tu entres en
jeu, tu défends bien la personne ?
- Mais rien du tout,... ou
alors je ne suis plus avocat. Ce qui
compte, ce n’est pas ma grande gueule,
ou mon art de la répartie, mais mon
aptitude à maîtriser la pratique
juridique, dans un esprit de défense. Je
suis un professionnel du droit, diplômé
de l’université, et comptable des
enseignements que j’ai reçus. En tant
qu’avocat, je ne suis en rien formé, ni
mandaté pour défendre une personne.
-Donc tu affirmes que tu ne vas
jamais défendre une personne ?
- Bien sûr que si. Je peux
défendre une personne, et cela m’arrive
souvent. Mais ce n’est pas en qualité
d’avocat. Ça peut être le cas pour un
membre de la famille, pour un ami, pour
une cause qui me tient à cœur. Je vais
défendre cette personne avec tout ce
qu’il y a en moi, et compte sur moi pour
me faire entendre. Je vais épouser sa
cause. Je prendrai un peu de distance,
car c’est indispensable, mais je serai
totalement et uniquement dans la
relation avec lui.
- Très bien...
- Mais cela n’a rien à voir la
fonction de l’avocat ! L’avocat défend
les droits d’une personne, et ces droits
sont notre patrimoine commun. Entre
défendre une personne et défendre ses
droits, il y a un monde.
- Alors tout est indifférent ?
- Arrête Charlie, tu
me gaves ! Savoir si je vais défendre le
terroriste ou la victime, va me faire
gamberger, c’est sûr,… mais c’est
secondaire. La seule question qui se
pose est de savoir si je vais être un
assez bon professionnel pour défendre la
meilleure application du droit.
- Car le droit, c’est notre
civilisation…
- T’as tout compris. Viens, on
va boire un coup.
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