L'actualité du
droit
Dilma Rousseff : «Ma destitution est un
coup d’Etat»
Samedi 28 mai 2016
Pas facile
de trouver une interview de Dilma
traduite en langue française. Voici donc
un document rare,
grâce à RT,
qui a publié cette interview le 19 mai.
RT : Vous êtes
désormais au palais Alvorada et d’une
certaine façon bannie dans votre propre
pays. Comment vous sentez-vous
moralement ?
Dilma : Je
suis assez positive. Je continue de me
battre non pas juste pour conserver mon
poste de présidente, mais surtout pour
la démocratie dans mon pays.
Honnêtement, je n’ai pas l’intention de
rester cloîtrée dans ma résidence
officielle – le palais Alvorada. Je veux
me rendre dans beaucoup de villes au
Brésil, discuter avec le peuple,
rencontrer beaucoup de gens. Cela va me
permettre de dire aux Brésiliens, et
peut-être même au monde entier, ce qu’il
se passe réellement dans ce pays, et que
nous allons nous battre contre ce que
nous considérons être une tentative de
coup d’Etat.
RT : Cela n’est-il pas,
dans le fond, un coup d’Etat fantôme,
«froid», puisque sans armes ? Selon
vous, dans quelle mesure cet acte vous
cible personnellement, et dans quelle
mesure cible-t-il non seulement le pays,
mais aussi ses alliés, notamment les
BRICS ?
Dilma : D’après
moi, c’est le processus
de destitution, de ma mise à
l’écart. La destitution est prévue par
la constitution de notre pays uniquement
si le Président enfreint la Constitution
et ne respecte pas les droits de
l’Homme. D’après moi et mes soutiens, il
s’agit là d’un
coup d’Etat puisque la Constitution
n’a pas été enfreinte. Ils me
poursuivent en justice pour mes actions,
pour des «crédits» supplémentaires
accordés au budget, mais tous les
présidents avant moi l’ont fait. Ça n’a
jamais été un crime et ça n’en devient
pas un maintenant. Il n’y a rien qui
permette de dire que c’est un crime.
Pour parler de crime, il faut que ce
terme soit défini par la loi. C’est
pourquoi mes soutiens et moi-même
considérons que cette destitution est un
coup d’Etat dans la mesure où la
Constitution précise très clairement les
conditions pour destituer le Président :
un abus de pouvoir, une violation à la
constitution ou aux droits de l’Homme.
Les actions prises en compte dans ce
procès n’ont strictement rien à voir
avec de tels crimes. En outre, le Brésil
est une république présidentielle. C’est
pourquoi le Président ne peut être
destitué pour des motivations
politiques, en raison du fait que l’on
ne fait pas confiance au Président de la
République.
Une initiative a été lancée
pour changer de programme politique –
qui comprend notamment la sphère sociale
et le développement économique – afin de
faire face à la crise que le Brésil a
connu ces dernières années et adopter un
nouveau programme, à l’évidence
néo-libéral. Ce programme prévoit, entre
autres, la réduction de nos programmes
sociaux à leur minimum, selon la
doctrine d’«intervention minimale de
l’Etat». Une doctrine qui va à
l’encontre de toutes les lois
brésiliennes sur les services publics,
notamment la santé, le droit au
logement, l’accès gratuit à une
éducation de qualité, le salaire
minimum, tout ce qui est garanti aux
plus démunis au Brésil. Ils veulent en
finir avec ces droits et en même temps
ils mènent une politique antinationale –
notamment en ce qui concerne les
ressources en pétrole du pays.
D’importantes réserves de pétrole ont
été découvertes au Brésil à 7 000 mètres
de profondeur sous des couches
antésalifères. Les ministres disaient
que l’accès à ces réserves était
impossible. Mais aujourd’hui on extrait
des millions de barils de pétrole par
jour de réserves se trouvant sous des
couches antésalifères. Ils ont
évidemment dit ça dans le but de changer
la législation pour garantir l’accès à
ces puits de pétrole à diverses
compagnies pétrolières internationales.
De plus, en ce qui concerne la politique
étrangère, nous – l’ancien président
Lula da Silva et moi-même – avons œuvré
pour le renforcement des relations avec
les autres pays d’Amérique latine,
d’Afrique, les BRICS, mais également
avec d’autres
pays en développement – en plus bien
sûr des relations avec les Etats-Unis et
l’Europe. Je pense que le
groupe des BRICS est l’une des alliances
multilatérales les plus importantes du
monde de ces 10 dernières années. Mais
le gouvernement par intérim actuel ne
partage ni notre vision des BRICS ni
l’importance que nous accordons à
l’Amérique latine. Ils parlent même de
fermer nos ambassades dans les pays
d’Afrique.
RT : Le nouveau
gouvernement du président par intérim,
que seuls 2% des Brésiliens soutiennent
et qui pourrait être destitué lui-même
au vu de certaines informations, est
constitué exclusivement d’hommes de race
blanche, dans un pays multiculturel,
avec des ministres qui font l’objet
d’enquêtes pour corruption… Jusqu’à quel
point ce gouvernement est-il légal ?
Dilma :Il
n’y a aucune légitimité tout d’abord à
cause du péché originel qui est le
processus de chantage. Le représentant
de la Chambre des députés [Eduardo
Cunha, désormais destitué de ses
fonctions], qui a initié ce processus,
est accusé de posséder des comptes à
l’étranger, de corruption, de
blanchiment d’argent. Evidemment, ce
processus répand la peste sur la
démocratie brésilienne et détruit tout
le dispositif gouvernemental que nous
avions. Je ne l’ai pas nommé
vice-président ou chef provisoire du
gouvernement pour qu’il forme un nouveau
gouvernement composé uniquement d’hommes
blancs, sans aucune femme ni de personne
d’origine africaine. Une autre
caractéristique de ce gouvernement est
qu’il adopte une mesure mais la change
le lendemain : étant donné que ce n’est
pas un gouvernement qui a été élu par le
peuple, il n’a pas de programme
législatif. Il n’a pas présenté son
programme lors des élections, n’a pas
participé aux débats. Ce programme n’a
pas été approuvé par la population.
C’est pourquoi le gouvernement raconte
n’importe quoi.
Il dit par exemple qu’il faut
détruire toute une partie du système
unique de santé publique brésilien. Ce
système garantit, selon la constitution
de 1988, la gratuité et l’universalité
des soins à la population. Le
gouvernement provisoire veut réduire
l’importance de ce système, en
transmettant une partie des services
apportés à la population au secteur
privé. Le gouvernement crée de tels
conflits pour observer la réaction de la
société et 24h plus tard change de
position. Mais il pourra difficilement
cacher que leur tendance, et en général
leur but, consiste à adopter un
programme aussi néo-libéral que possible
face à la situation actuelle au Brésil.
Je suis convaincue qu’une énorme partie
de la population brésilienne me soutient
RT : Y a-t-il une
chance que vous retrouviez votre poste
de présidente du Brésil ?
Dilma: Je
vais vous dire la chose suivante : je
vais me battre chaque jour, chaque
minute, chaque moment de ma vie pour que
cela arrive. Et je suis convaincue
qu’une énorme partie de la population
brésilienne me soutient.
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