L'actualité du
droit
L’arrêt Burkini : Une simplicité
biblique
Gilles Devers
Samedi 27 août 2016
Incroyable mais vrai : on peut
s’habiller comme on veut ! Je m’amusais
déjà des prochaines élections
municipales où le maire inclurait dans
son programme les choix vestimentaires
et les options de mode qu’il retient
pour les habitants de la commune… Cela
nous aurait fait un peu de distraction,
mais le Conseil d’État, par un arrêt des
plus classiques, met fin à cet
attristant délire des décideurs publics.
Les maires allumés, Valls, Sarko… et
tant d’autres peuvent aller se
rhabiller ! Intéressant à relever : à
l’audience, le ministère de l’Intérieur
a indiqué qu’il n’avait pas de point de
vue sur la question, et qu’il s’en
rapportait à la justice (Donc un drame
de l’amour entre Valls et Cazeneuve…).
Le plus drôle est quand même notre juste
et bon président de la République qui a
attendu hier pour dire que ces arrêtés
étaient valables mais qu’il fallait les
appliquer avec discernement. Quelle
bande de farceurs… et on en rirait bien
volontiers s’ils n’étaient pas à la
direction du pays.
Vous
trouverez ici
le texte de cette ordonnance du 26 août
2016, Nos 402742, 402777, Ligue
des droits de l'homme et Collectif
contre l'islamophobie en France.
La rédaction est d'une simplicité
biblique, et je vous propose juste le
petit commentaire ci-dessous.
1/ Le
cadre de la procédure, à savoir le
référé liberté
Le
Conseil d’État a été saisi dans le cadre
particulier du « référé-liberté », et ne
peut se prononcer que si l’autorité
municipale apportait une « atteinte
grave et manifestement illégale » à une
liberté fondamentale. Ainsi, si le
Conseil d’État s’est prononcé
favorablement, c’est qu’il n’y a pas
seulement une violation des droits, mais
une violation « grave et manifestement
illégale ».
« En
vertu de l’article L. 521-2 du code de
justice administrative, lorsqu’est
constituée une situation d’urgence
particulière, justifiant qu’il se
prononce dans de brefs délais, le juge
des référés peut ordonner toute mesure
nécessaire à la sauvegarde d’une liberté
fondamentale à laquelle une autorité
administrative aurait porté une atteinte
grave et manifestement illégale ».
2/ L’arrêté du
maire
On a
parlé de l’arrêté du maire et on a
beaucoup entendu le maire, mais il
n’était pas possible de connaître
exactement le texte de l’arrêté. Grâce à
la procédure, c’est fait et voilà
exactement ce que disait l’arrêté du 15
août 2016, en son article 4.3 :
« Sur
l’ensemble des secteurs de plage de la
commune, l’accès à la baignade est
interdit, du 15 juin au 15 septembre
inclus, à toute personne ne disposant
pas d’une tenue correcte, respectueuse
des bonnes mœurs et du principe de
laïcité, et respectant les règles
d’hygiène et de sécurité des baignades
adaptées au domaine public maritime. Le
port de vêtements, pendant la baignade,
ayant une connotation contraire aux
principes mentionnés ci-avant est
strictement interdit sur les plages de
la commune ».
Cette
formulation est un peu torturée, le
moins que l’on puisse dire, et le
Conseil d’État a fait préciser le sens
de la formule :
« Ainsi que l’ont confirmé les débats
qui ont eu lieu au cours de l’audience
publique, ces dispositions ont entendu
interdire le port de tenues qui
manifestent de manière ostensible une
appartenance religieuse lors de la
baignade et, en conséquence, sur les
plages qui donnent accès à celle-ci ».
3/ Les
pouvoirs du maire en matière de bon
ordre et de sécurité
Comme
nous ne sommes pas dans le Texas des
bons vieux westerns, le maire qui est
investi d'une mission pour le bon ordre
et la sécurité doit appliquer la loi, et
rien que la loi.
On
trouve deux textes de référence.
Le
premier, d’ordre général, est L. 2212-1
du code général des collectivités
territoriales. Le maire est chargé, sous
le contrôle administratif du préfet, de
la police municipale qui, selon
l’article L. 2212-2 de ce code, « a pour
objet d’assurer le bon ordre, la sûreté,
la sécurité et la salubrité publiques ».
L’autre spécifique traite de la
baignade, et c’est l’article L. 2213-23
: « Le maire exerce la police des
baignades et des activités nautiques
pratiquées à partir du rivage avec des
engins de plage et des engins non
immatriculés… Le maire réglemente
l’utilisation des aménagements réalisés
pour la pratique de ces activités. Il
pourvoit d’urgence à toutes les mesures
d’assistance et de secours. Le maire
délimite une ou plusieurs zones
surveillées dans les parties du littoral
présentant une garantie suffisante pour
la sécurité des baignades et des
activités mentionnées ci-dessus.
Il détermine des périodes de
surveillance… ».
Bon,
vous avez vu comme moi… ça ne donne pas
beaucoup de marge. C’est ce qu'explique
le Conseil d’État, car en plus il faut
concilier avec les libertés :
« Si
le maire est chargé par les dispositions
[ci-dessus] du maintien de l’ordre dans
la commune, il doit concilier
l’accomplissement de sa mission avec le
respect des libertés garanties par les
lois ».
Alors
comment résoudre ce problème ? Lisons le
Conseil d’Etat, qui n’innove rien et
tient au contraire un raisonnement très
classique, genre leçon de première année
administrée au maire (et à Valls et
Sarko)
« Il
en résulte que les mesures de police que
le maire d’une commune du littoral
édicte en vue de réglementer l’accès à
la plage et la pratique de la baignade
doivent être adaptées, nécessaires et
proportionnées au regard des seules
nécessités de l’ordre public, telles
qu’elles découlent des circonstances de
temps et de lieu, et compte tenu des
exigences qu’impliquent le bon accès au
rivage, la sécurité de la baignade ainsi
que l’hygiène et la décence sur la
plage. Il n’appartient pas au maire de
se fonder sur d’autres considérations et
les restrictions qu’il apporte aux
libertés doivent être justifiées par des
risques avérés d’atteinte à l’ordre
public ».
Ce
sont les derniers mots les plus
importants : les atteintes apportées aux
libertés doivent être justifiées par
rapport à des risques avérés d’atteinte
à l’ordre public. C'est ça, et rien
d'autre.
Donc,
Monsieur le Maire, tes conceptions
morales de bas étage, et tes
philosophies essoufflées sur la femme
qui est magique quand elle est topless
et soumise quand elle est pudique, tu
les gardes comme opinion personnelle,
mais ce n'est pas du droit, donc tu ne
les imposes pas aux autres. Pigé ?
4/
L’absence de risque de trouble à l’ordre
public
C’est
là encore le grand classicisme du
raisonnement juridictionnel en matière
de libertés publiques. Il se peut qu’un
comportement soit en lui-même un trouble
à l’ordre public, car constituant une
infraction, et dès lors on peut
interdire. Quand que le comportement
n’est pas en lui-même une infraction, ce
qui était le cas sur cette plage
enflammée par le diable, le maire peut
agir en fonction des risques de troubles
à l’ordre public. Il agit donc de
manière préventive, mais pour que son
action ne soit pas arbitraire, il doit
justifier d’un certain nombre d’éléments
tangibles qui rendent crédibles la
survenance d’un risque. Tout est donc
question de preuve, et la lecture de
l’ordonnance rendue par le Conseil
d’État est aussi intéressante que
navrante : le maire n’a apporté aucun
élément de preuve ! Que du pipeau !
« Il
ne résulte pas de l’instruction que des
risques de trouble à l’ordre public
aient résulté, sur les plages de la
commune de Villeneuve-Loubet, de la
tenue adoptée en vue de la baignade par
certaines personnes. S’il a été fait
état au cours de l’audience publique du
port sur les plages de la commune de
tenues de la nature de celles que
l’article 4.3 de l’arrêté litigieux
entend prohiber, aucun élément produit
devant le juge des référés ne permet de
retenir que de tels risques en auraient
résulté. En l’absence de tels risques,
l’émotion et les inquiétudes résultant
des attentats terroristes, et notamment
de celui commis à Nice le 14 juillet
dernier, ne sauraient suffire à
justifier légalement la mesure
d’interdiction contestée. Dans ces
conditions, le maire ne pouvait, sans
excéder ses pouvoirs de police, édicter
des dispositions qui interdisent l’accès
à la plage et la baignade alors qu’elles
ne reposent ni sur des risques avérés de
troubles à l’ordre public ni, par
ailleurs, sur des motifs d’hygiène ou de
décence ».
5/
Conclusion ?
« L’arrêté litigieux a ainsi porté une
atteinte grave et manifestement illégale
aux libertés fondamentales que sont la
liberté d’aller et venir, la liberté de
conscience et la liberté personnelle ».
Les
conséquences de l’application de telles
dispositions sont en l’espèce
constitutives d’une situation d’urgence
qui justifie que le juge des référés
fasse usage des pouvoirs qu’il tient de
l’article L. 521-2 du code de justice
administrative. Il y a donc lieu
d’annuler l’ordonnance du juge des
référés du tribunal administratif de
Nice du 22 août 2016 et d’ordonner la
suspension de l’exécution de l’article
4.3 de l’arrêté du maire de
Villeneuve-Loubet en date du 5 août
2016.
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