L'actualité du
droit
Les réfugiés palestiniens et le droit au
retour (I)
Gilles Devers
Vendredi 7 octobre 2016
Les réfugiés palestiniens disposent d’un
droit inaliénable : le droit au retour,
un droit réaffirmé avec constance par
l’ONU et tous les organismes compétents
depuis 1948.
Le
droit des réfugiés, lié à l’histoire de
toutes les guerres, est parfaitement
connu (I). S’agissant de la Palestine,
il faut revenir à la source,
c’est-à-dire au mandat de 1922 (II).
Depuis, le droit des réfugiés
palestiniens, affirmé avec constance,
est dans les faits, méprisé avec la même
constance (III).
I – Un
droit parfaitement connu
Les
règles sont nombreuses, et elles ont
pour source commune l’article 1° de la
Charte des Nations Unies qui proclame
« le respect du principe de l’égalité de
droit des peuples et de leur droit à
disposer d’eux-mêmes ». Elles
s’expriment dans le cadre du droit
international humanitaire (A), des doits
de l’homme (B) et le droit européen lui
a donné une consécration
jurisprudentielle (C).
A – Le droit
international humanitaire
Le
droit international humanitaire a défini
de manière certaine l’interdiction du
transfert des populations (1), la
protection des personnes déplacées (2),
le droit au retour (3) et le respect des
biens appartenant aux réfugiés (4).
1/
Interdiction du transfert des
populations
L’interdiction, pour un État, de
déporter ou de transférer une partie de
sa population civile dans un territoire
qu’il occupe est prévue par l’article 49
alinéa 6 de la IVe Convention de Genève.
Cette pratique est définie comme une
violation grave du droit international
humanitaire par le Protocole additionnel
I (art. 85, par. 4, al. a) et le Statut
de la Cour Pénale Internationale (art.
8, par. 2, al. b) viii) sanctionne comme
crime de guerre « le transfert,
direct ou indirect, par une puissance
occupante d’une partie de sa population
civile, dans le territoire qu’elle
occupe ».
L’ONU,
de manière régulière, a rappelé au
respect de ces règles.
Les
tentatives de modifier la composition
démographique d’un territoire occupé ont
notamment été condamnées par le Conseil
de sécurité de l’ONU, à propos de
l’ex-Yougoslavie. Notamment, par une
résolution 752 du 15 mai 1992, le
Conseil de sécurité a appelé toutes les
parties à renoncer aux expulsions
forcées du lieu où vivent les personnes
et condamné toute action visant à
changer la composition ethnique de la
population.
Pour
le rapporteur spécial des Nations Unies
sur les transferts de populations, «
l’implantation de colons » est un acte
illicite qui met en jeu la
responsabilité de l’État et la
responsabilité pénale des individus (Sous-Commission
de la lutte contre les mesures
discriminatoires et de la protection des
minorités, Rapporteur spécial sur les
transferts de population, y compris
l’implantation de colons et de colonies,
considérés sous l’angle des droits de
l’homme, rapport final, UN Doc. E/CN.4/Sub.2/1997/23,
27 Juin 1997, par. 16, 64–65).
La
XXIVe Conférence internationale de la
Croix-Rouge a affirmé que « les colonies
de peuplement installées dans les
territoires occupés sont incompatibles
avec les articles 27 et 49 de la IVe
Convention de Genève » (XXIVe
Conférence internationale de la
Croix-Rouge, Manille 7–14 Novembre 1981,
Res. III, par. 5).
En
1946, le Tribunal militaire
international de Nuremberg a conclu à la
culpabilité de deux des accusés pour
tentative de « germanisation » des
territoires occupés.
2/
Protection des personnes déplacées
Aux
termes de l’article 49 alinéa 3 de la
IV° Convention de Genève, une puissance
occupante qui procède à une évacuation
pour assurer la sécurité de la
population civile ou pour d’impérieuses
raisons militaires « devra faire en
sorte, dans toute la mesure du possible,
que les personnes protégées soient
accueillies dans des installations
convenables, que les déplacements soient
effectués dans des conditions
satisfaisantes de salubrité, d’hygiène,
de sécurité et d’alimentation et que les
membres d’une même famille ne soient pas
séparés les uns des autres ».
Selon
le Protocole additionnel II (art. 17,
par. 1), si des déplacements de la
population civile sont ordonnés pour
assurer la sécurité des personnes
civiles ou pour des raisons militaires
impératives, « toutes les mesures
possibles seront prises pour que la
population civile soit accueillie dans
des conditions satisfaisantes de
logement, de salubrité, d’hygiène, de
sécurité et d’alimentation » Sur un
autre plan, le Protocole additionnel II
(Art. 4, par. 3, al. b) exige que «
toutes les mesures appropriées soient
prises pour faciliter le regroupement
des familles momentanément séparées »
et le Conseil de sécurité a appelé au
respect de cette règle dans tous les
conflits armés (Conseil de sécurité,
Res. 361, 30 aout 1974,par. 4 ; Res.
752, 15 May 1992, par. 7; Res.
1040, 29 janvier 1996, préambule).
La
Convention relative aux droits de
l’enfant (art. 9, par. 1) ajoute que «
les États parties veillent à ce que
l’enfant ne soit pas séparé de ses
parents contre leur gré ».
3/
Droit au retour
La IV°
Convention de Genève (art. 49, al. 2)
dispose que les personnes qui ont été
évacuées doivent être ramenées dans leur
foyer aussitôt que les hostilités dans
ce secteur ont pris fin.
Le
Conseil de Sécurité de l’ONU,
l’Assemblée Générale des Nations Unies
et le Conseil des Droits de l’Homme ont
rappelé à de nombreuses reprises le
droit des réfugiés et des personnes
déplacées de regagner leur foyer
librement et dans la sécurité. De même,
doit être facilité le retour volontaire
et dans la sécurité, ainsi que la
réintégration des personnes déplacées.
Il existe maintes références pour les
conflits en Géorgie, en Afghanistan, en
Bosnie-Herzégovine, en Croatie, au
Libéria ou au Soudan.
Les
rapatriés ne doivent pas faire l’objet
de discrimination, et l’ensemble des
règles de droit international
humanitaire qui protègent les personnes
civiles s’appliquent aux civils déplacés
qui ont regagné leur lieu d’origine
(Comité exécutif du HCR, conclusion n°
18 (XXXI) : rapatriement librement
consenti, 16 Octobre 1980, par f).
4/
Le respect des biens appartenant aux
réfugiés
Le
droit de propriété des personnes
déplacées doit être respecté. La
propriété et les possessions laissées
par les personnes au moment de leur
départ doivent être protégées contre la
destruction, ainsi que les
appropriations, occupations ou
utilisations arbitraires et illégales.
Les
trois traités régionaux des droits de
l’homme garantissent ce droit :
-
Protocole additionnel à la
Convention européenne des droits de
l’homme, art. premier ;
-
Convention américaine relative aux
droits de l’homme (1969), art. 21,
par. 1 ;
-
Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples (1981), art.
14.
Outre
les lois et procédures spécifiques
destinées aux des personnes déplacées,
la législation de la totalité des pays
du monde garantit une forme de
protection contre la saisie arbitraire
ou illégale des biens, qui est
incontestablement un principe général de
droit.
La
question des droits de propriété des
personnes déplacées a suscité une
attention toute particulière dans les
conflits récents, avant tout dans le
contexte des conflits dans
l’ex-Yougoslavie, mais aussi en
Afghanistan, à Chypre, en Colombie, en
Géorgie et au Mozambique.
Dans
le contexte des conflits dans
l’ex-Yougoslavie, des traités et
d’autres instruments ont affirmé que les
déclarations et les engagements relatifs
aux droits de propriété faits sous la
contrainte sont nuls et non avenus.
L’accord sur les réfugiés et les
personnes déplacées annexé à l’accord de
paix de Dayton stipule :
« Tous
les réfugiés et personnes déplacées ont
le droit d’obtenir la restitution des
biens dont ils ont été privés au cours
des hostilités depuis 1991 ou d’être
indemnisés lorsque cela n’est pas
possible ».
En
vertu de cet accord, une commission
indépendante, chargée de statuer sur les
réclamations des réfugiés et personnes
déplacées concernant des biens fonciers,
a été instituée pour recevoir et se
prononcer « sur toutes les demandes
concernant des biens immeubles en
Bosnie-Herzégovine, lorsque lesdits
biens n’ont pas été volontairement cédés
ou n’ont pas fait l’objet d’une
quelconque transaction depuis le 1°
avril 1992, et que le demandeur ne jouit
pas de la propriété dudit bien ».
Le
Conseil de sécurité de l’ONU a notamment
adopté en 1995 une résolution dans
laquelle il demandait à la Croatie «
d’abroger toute disposition fixant un
délai avant l’expiration duquel les
réfugiés devraient rentrer en Croatie
afin de récupérer leurs biens ».
On
retrouve des dispositions de ce type
dans l’accord général de Paix signé pour
le Mozambique en 1992, avec l’article IV
(e) :
« Les
personnes réfugiées ou déplacées sont
garanties d’obtenir la restitution de
leurs biens encore existant ou du droit
d’agir en justice pour obtenir la
restitution de leur propriété ».
B – Les droits de
l’homme
La
première référence est l’article 13 de
la Déclaration universelle de Droits de
l’homme de 1948 :
« Toute personne a le droit de circuler
librement et de choisir sa résidence à
l’intérieur d’un Etat. Toute personne a
le droit de quitter tout pays, y compris
le sien et de revenir dans son pays. »
La
question du droit au retour ressort très
directement de l’article 12 du Pacte
International relatif aux Droits Civils
et Politiques de 1966, adopté par l’AGNU
le 16 décembre 1966, entré en fonction
le 23 mars 1976 et ratifié par Israël le
3 octobre 1991, qui énonce en son alinéa
4:
« Nul
ne peut être arbitrairement privé du
droit d'entrer dans son propre pays ».
Le
droit de retourner dans son pays est de
la plus haute importance pour les
réfugiés qui demandent leur rapatriement
librement consenti. Il implique
également l’interdiction de transferts
forcés de population ou d’expulsions
massives vers d’autres pays (Comité
des Droits de l’homme, Observation
générale, 27 mai 2008, HRI/GEN/1/rev. 9,
Vol. 1, par. 19).
Le
Comité pour l’Elimination de la
Discrimination Raciale a affirmé lors de
sa création en 1969 que son action
s’appliquerait « à ceux qui ont été
directement expulsés de leur pays » mais
aussi, à leur famille proche et à leurs
descendants, par respect de l’existence
« des liens intimes et durables avec la
région ».
Les
termes du paragraphe 4 de l’article 12
du Pacte ne font pas de distinction
entre les nationaux et les étrangers («
nul ne peut être ...»). Ainsi, pour le
Comité des Droits de l’Homme, les
personnes autorisées à exercer ce droit
ne peuvent être identifiées qu’en
interprétant l’expression « son propre
pays » (communication n° 538/1993,
Stewart c. Canada), et la signification
de ces termes est plus vaste que celle
du pays de sa nationalité. Elle n’est
pas limitée à la nationalité au sens
strict du terme, mais s’applique à :
« Toute personne qui, en raison de ses
liens particuliers avec un pays ou de
ses prétention à l’égard d’un pays, ne
peut être considérée dans ce même pays
comme un simple étranger » (Comité
des Droits de l’homme, Observation
générale, 27 mai 2008, HRI/GEN/1/rev. 9,
Vol. 1, par. 20).
Le
Comité des Droits de l’Homme poursuit :
« Tel
serait par exemple le cas de nationaux
d’un pays auxquels la nationalité aurait
été retirée en violation du droit
international et de personnes dont le
pays de nationalité aurait été intégré
ou assimilé à une autre entité nationale
dont elles se verraient refuser la
nationalité. Le libellé du paragraphe 4
de l’article 12 se prête en outre à une
interprétation plus large et pourrait
ainsi viser d’autres catégories de
résidents à long terme, y compris, mais
non pas uniquement, les apatrides privés
arbitrairement du droit d’acquérir la
nationalité de leur pays de résidence ».
En
aucun cas une personne ne peut être
privée arbitrairement du droit d’entrer
dans son propre pays. Pour le Comité, la
notion d’arbitraire est évoquée dans le
but de souligner qu’elle s’applique à
toutes les mesures prises par l’État, au
niveau législatif, administratif et
judiciaire :
« Les
États parties ne doivent pas, en privant
une personne de sa nationalité ou en
l’expulsant vers un autre pays, empêcher
arbitrairement celle-ci de retourner
dans son propre pays » (Comité des
Droits de l’Homme, Observation générale,
27 mai 2008, HRI/GEN/1/rev. 9, Vol. 1,
par. 20).
C – Le droit
européen
On
dispose de références jurisprudentielles
effectives grâce à la Cour Européenne
des Droits de l’Homme. Elle a conclu à
l’existence d’une violation du droit au
respect de la jouissance pacifique des
biens des personnes déplacées dans
l’affaire Loizidou c. Turquie du 18
décembre 1996, rendue à propos de
Chypre, avec une solution directement
transposable à la situation
palestinienne (CEDH, Loizidou c.
Turquie, 18 décembre 1996, Requête no15318/89).
Par la
résolution 541 (1983) le Conseil de
sécurité des Nations unies avait déclaré
la proclamation de l’institution de la
« République turque de Chypre du Nord »
juridiquement invalide car née d’un coup
de force et contraire au droit
international, et il avait exhorté tous
les Etats à ne pas reconnaître d’autre
Etat cypriote que la République de
Chypre.
La
CEDH était saisie par une ressortissante
cypriote, propriétaire de biens dans la
partie Nord, et elle avait de fait perdu
la possession de ses biens.
Après
avoir relevé que l’armée turque exerçait
en pratique un contrôle global sur cette
partie de l’île, et que de ce fait sa
responsabilité d’Etat de la Turquie
était engagée, et que la propriétaire
n’avait pas volontairement cédés ses
biens, la Cour en a tiré pour conclusion
qu’elle était demeurée propriétaire
légale. Pour la Cour :
« En
aucune manière, l’intervention turque
dans l’île en 1974 ne peut justifier la
négation totale des droits de propriété
de la requérante par le refus absolu et
continu de l’accès et une prétendue
expropriation sans réparation ».
Le
fait que les réfugiés cypriotes turcs
déplacés aient été relogés dans les
années qui suivirent l’intervention
turque dans l’île en 1974 « ne peut
justifier la négation totale des droits
de propriété par le refus absolu et
continu de l’accès et une prétendue
expropriation sans réparation ».
C’est
ce corpus juridique, reconnu
comme droit coutumier par le CICR, qui
s’applique aux réfugiés palestiniens,…
et qui reste inappliqué. Pour comprendre
ce déni de justice, il faut partir du
fait originaire qu’est le mandat sur la
Palestine de 1922.
A suivre
II
- La question originaire : Le mandat de
1922
Le sommaire de Gilles Devers
Le dossier droit au retour
Le dossier réfugiés
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