L'actualité du
droit
47 exécutions :
Notre amie l’Arabie Saoudite donne le
ton pour 2016
Gilles Devers
Lundi 4 janvier 2016
Après la so bad 2015,
vous souhaitiez une 2016 cool and
relax,… mais ça parait mal barré du
fait de notre alliée stratégique au
Moyen-Orient, la géniale et fraternelle
Arabie Saoudite, qui a attendu ce 2
janvier pour procéder à
l’exécution de 47 personnes, dont un
important responsable religieux chiite.
Le refrain de la «
guerre contre le terrorisme »
Du côté saoudien, c’est le
superbe discours de la guerre contre le
terrorisme… Comme l’ami Bush, comme
l’ami Hollande… « Nous sommes en guerre
contre le terrorisme et le pays se
défend. C’est une question de
souveraineté nationale, et le
gouvernement doit agir pour protéger le
peuple et garantir son unité. Nous avons
adapté nos lois à la guerre contre le
terrorisme, mais nos procédures sont
équitables et rien ne se fait sans
preuve »… Une partition universelle,...
et universellement bidon.
Parmi les 47 exécutions, on
trouve deux séries de faits bien
distincts, tous jugés par une cour
spécialisée dans les affaires de
terrorisme, créée en 2008.
Il y a tout d’abord une série
d’attentats revendiqués par Al-Qaida en
2003 et 2004, ayant causé 160 morts.
C’est la plus grande part des condamnés,
sans doute plus de 40, tous sunnites.
Parmi eux, Fares al-Shuwail, présenté
comme un leader religieux d’Al-Qaida en
Arabie Saoudite.
Le second groupe concerne des
faits de 2011 quand, poussée par le vent
du « printemps arabe », la minorité
chiite d’Arabie Saoudite, environ 2
millions de personnes vivant regroupées
dans l’Est, avait revendiqué l’égalité
des droits. Le responsable religieux de
la communauté, le
cheikh Nimr Baqer al-Nimr, soutenait
qu’à défaut, la solution serait le
regroupement avec Bahreïn. Dans tout ce
qui est publié de sérieux, on retrouve
l’activisme du cheikh, mais aucune
implication dans la violence de la part
de quelqu’un dont l’autorité religieuse
est incontestable, et qui faisait déjà
l’objet de tracasseries politiques par
le régime avant son arrestation en 2011.
Il a été
condamné en octobre 2014 pour
sédition, désobéissance au souverain et
port d’armes – mais pas d’usage d’armes
– à l’occasion d’un procès qualifié
d’expéditif par Amnesty
International : aucun des témoins
sur lesquels se fondait l’accusation
n’était présent lors du procès, et les
avocats n'avaient pas été prévenus à
temps.
Les 47 exécutions – 45
Saoudiens, un Égyptien et un Tchadien –
ont été pratiquées « au sabre ou par
balles, dans douze villes du Royaume »,
comme l’explique un communiqué du
ministère de l’Intérieur, qui dans notre
pays allié, et celui qui gère
l’exécution des peines. Décapité au
sabre...
Tiens, à propos… ça me rappelle
la proposition de Sarko pour que le
ministère de l’Intérieur devienne
compétent pour l’exécution des peines…
Parfois, je me demande si ces ahuris se
rendent compte de ce qu’ils disent…
Le bien-fondé de ces exécutions
a été expliqué lors d’une conférence de
presse tenue par le ministre de
l’Intérieur, le ministre de la Justice,
et le
Grand Mufti Sheikh Abdulaziz Al-Asheikh,
sans le visa duquel aucune condamnation
à mort ne peut être exécutée. Or, il a
étudié que tout était bien, et que les
terroristes avaient été condamnés en
fonction de ce qu’ils avaient fait, et
non pas en fonction de leurs convictions
religieuses ou politiques…
Là aussi, je retrouve le goût
suave de nos discours du genre : « Je
respecte la liberté de religion, mais il
faut quand même que ces gens se rendent
compte que… »
Le porte-parole du ministère de
l’intérieur, Mansour Al-Turki, a montré
son excellente maîtrise de la propagande
de la guerre contre le terrorisme : « Le
royaume condamne toutes les formes de
terrorisme et considère que ces actes
criminels sont les plus redoutables. Les
forces de sécurité ne limiteront aucun
effort dans le combat contre quiconque
est impliqué avec ces groupes
terroristes. En effet ces groupes sont
décidés à utiliser tous les moyens pour
tenter d’atteindre la sécurité et la
stabilité de l’Arabie Saoudite ».
Discours parfait. Je pense que
le jury, présidé par l’inénarrable
El Blanco, lui attribuera la note de
10 sur 10.
Qu’y a-t-il à
comprendre ?
Cette exécution n’a pas été
faite en catimini. Non, elle a
été présentée comme un acte fort de la
nouvelle présidence… et de ses
ramifications. Le nouveau chef d’Etat,
le roi Salmane, est perçu comme
faible, subissant le désaveu des
États-Unis et des Russes qui dealent
avec les Iraniens, et il trouve là une
occasion de faire consensus à
l’intérieur du pays… La population est
toujours d’accord pour soutenir la
glorieuse « guerre contre le
terrorisme ». En fait, le chef
d’orchestre parait être Mohammed ben Salmane,
le prince héritier, conseiller spécial
du roi, chef du cabinet royal et…
ministre de la Défense. On est déjà dans
la
guerre de succession.
Par ailleurs, l’Arabie Saoudite
explique qu’elle place cette action dans
le plan de « lutte contre le
terrorisme » qu’elle a engagée,
notamment en réunissant il y a peu de
temps à Riyad une coalition
internationale de 34 Etats, que
(presque) toute la presse internationale
avait saluée…
Vu d’ici, il est bien difficile
d’être affirmatif dans l’analyse des
défis que représente cette politique
autoritariste et guerrière,… sauf un
point : la volonté de masquer les grands
enjeux politiques et économiques de la
région derrière une grille de lecture
religieuse.
La ligne de fond est la
rivalité entre l’Arabie Saoudite et
l’Iran, et dès hier, Riyad a annoncé la
rupture de ses relations diplomatiques
avec Téhéran. De part et d’autre,
jusqu’en Irak, les déclarations sont
très vives, exacerbées, mais on ne voit
pas de risque d’une confrontation
directe entre les deux pays. L’Iran, qui
joue son retour sur la place
internationale, va tout faire pour
contenir et canaliser les passions
populaires. Les accords passés avec les
États-Unis et la Russie montrent que
l’Iran est prêt à tenir le rôle de place
forte dans la région, et l’Arabie
Saoudite, qui redoute ce retour d’un
Iran prospère, souhaiterait le pousser à
la faute.
Par ce geste fort, les
dirigeants saoudiens, qui à l’évidence
gênent les États-Unis, expliquent qu’ils
gardent deux objectifs décisifs, et
qu'ils s’organisent pour cela : la chute
de Bachar El-Assad – et donc la fin de
Daech n’est pas pour demain… – et
la reprise de Sanaa aux groupes
armés houthis… Le Yémen va être le lieu
d’une grande confrontation armée. Toutes
nos pensées à la population yéménite…
Non, grâce à notre allié
préféré, 2016 ne sera pas cool and
relax…
No comment
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