Ha'aretz
Haine de l’Occupation, pas des Juifs
Gideon Levy

Gideon
Levy
Dimanche 31 janvier 2016
Les attaquants
palestiniens choisissent la violence
comme moyen de résister à une violence
pernicieuse, celle de l’occupation
Gideon Levy – 27
janvier 2016 - Haaretz - Israel
La salle glauque
bouillait d’une colère rentrée, qui se
voyait pourtant sur les visages sombres
de dizaines d’hommes présents. C’était
une semaine de deuil dans le village
palestinien reculé d’al-Karmil dans les
collines au sud de Hebron, après le
meurtre de Roukaia Abou Aîd, une fille
qui n’avait même pas 14 ans. Elle a été
tuée par un garde qu’elle a tenté de
poignarder à l’entrée de la colonie d’Anatot.
Dans les media israéliens elle a été
désignée, sans sourciller, par « une
terroriste de 13 ans ». Le père en deuil
a d’abord refusé de nous parler. « De
quoi aurais-je à parler avec les
Israéliens qui ont tué ma fille ? ». Il
neigeait en chemin et le brouillard
régnait autour de la salle où se tenait
le deuil. À l’intérieur, fureur et
froid. Après quelques minutes,
l’atmosphère s’est un peu détendue et le
père, Aïd, a accepté de parler. Il a lié
l’acte de désespoir de sa fille à la
réalité de la vie sous occupation. «
Chaque petit enfant voit bien les crimes
» a-t-il dit.
En Israël ils ont
choisi d’adopter la version de la mère
de la fille, selon laquelle Roukaia
aurait quitté la maison avec un couteau
après une dispute avec sa sœur. En
Israël ils ont aimé cette explication
qui n’évoque ni l’occupation ni aucune
autre absurdité de ce genre. Une
querelle familiale. Nous n’avons pas eu
d’aide pour déplier les faits. Même
l’idée que toute Palestinienne sait que
si elle se risque simplement hors de
chez elle, un couteau à la main, elle
sera tuée par balles par des Israéliens,
cette idée ne choque personne ici.
Les dizaines de
Palestiniens, jeunes hommes et femmes
qui se sont résolus au cours des
derniers mois à tuer des Israéliens ne
l’ont pas fait « parce qu’ils sont juifs
» comme aime à le présenter la
propagande israélienne, avec une
référence insistante (en général) à
l’Holocauste et aux persécutions des
Juifs. Ils se donnent pour but de tuer
les conquérants. Ils choisissent la
violence comme moyen de résister à une
violence plus pernicieuse, celle de
l’occupation. Ils voulaient blesser des
Israéliens, des soldats et des colons en
particulier, à cause de l’occupation et
non parce qu’ils sont juifs. La judéité
n’a rien à voir là-dedans. Pour les
Palestiniens, il n’y a pas de différence
entre soldats selon qu’ils sont juifs,
druzes ou bédouins et un colon de la
tribu de Ménaché.
La tentative de
faire passer toute résistance
palestinienne violente comme de la
persécution de Juifs parce qu’ils sont
juifs est de toute évidence conçue pour
mobiliser la sympathie dans le monde
pour la victime, ultime, la seule et
l’unique, le Juif, tout en dissimulant
la vraie victime de l’histoire de
l’occupation israélienne. Le conquérant
comme victime et la seule victime de
cette situation, dans une distorsion
complète de la réalité. Il y a là aussi
des objectifs internes : les Israéliens
aiment avoir le rôle de victimes. Cela
les unit, cache les motivations
véritables des Palestiniens, estompe la
culpabilité et libère Israël de sa
responsabilité.
On n’a pas à
justifier le terrorisme palestinien pour
comprendre cela. Quasiment chaque visite
rendue à une famille palestinienne en
deuil livre le même tableau. Depuis des
années, je suis étonné de la façon dont
un journaliste israélien y est reçu,
sans que quiconque ne sache qui il est
ni ce qu’il représente, seulement
quelques heures après l’enterrement.
Comment un journaliste palestinien
serait-il reçu dans une maison en deuil
après une attaque terroriste
palestinienne ?
Les mots se
répètent : « Nous ne haïssons pas les
Juifs, nous haïssons l’occupation ».
Parfois, ils peuvent dire « nous
haïssons le gouvernement » et, dans des
cas extrêmes « nous haïssons les
sionistes ». Pas les Juifs. Oubliez
l’antisémitisme et la haine des Juifs.
Rappelez vous l’occupation. Dans la
plupart des cas, celle de 1967, parfois
celle de 1948, en particulier dans les
camps de réfugiés.
À l’idée que des
dizaines de Palestiniens se sont déjà
résolus à pratiquer spontanément des
attaques au couteau ou à la voiture
bélier, avec des centaines d’autres,
peut-être des milliers ou des dizaines
de milliers qui y pensent aussi, une
réflexion aurait dû se développer en
Israël. Pas celle d’une victime encore
attaquée mais la prise en considération
de ce qui amène des enfants désespérés
et des adultes à commettre ces actes,
tout en sachant que leurs chances de
s’en sortir sont maigres. Mais cela
pourrait soulever des questions que les
Israéliens évitent comme le feu. La
petite Roukaia voulait se suicider à
cause de sa sœur ou juste tuer des Juifs
parce qu’ils sont juifs. Il n’y a pas
d’autre explication possible.
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