Plate-forme
Charleroi-Palestine
Ainsi, les voilà, les nouveaux héros
d’Israël ?
Gideon Levy

Le
commando dans l’hôpital d’Hébron
Mercredi 25 novembre 2015
Les récentes opérations militaires
d’Israël dans les hôpitaux palestiniens
constituent une violation flagrante de
la Convention de Genève. On se demande
même jusqu’où le pays va bien pouvoir
descendre.
Voici la nouvelle étape de notre
déclin : la prise d’assaut d’hôpitaux et
les enlèvements de patients dans leur
lit même. Les militaires déguisés
perpètrent un autre genre de crime de
guerre, manifestement contraire à la
Convention de Genève, et, admiratifs,
les Israéliens applaudissent. Des héros
qui triomphent de blessés et d’équipes
médicales. Au cours de week-end,
l’émission sur l’actu, « Uvda »
(Des faits), a salivé de façon
dégoûtante par admiration envers ces
actions.
Il n’est pas difficile d’imaginer ce
qui se passerait si un terroriste
palestinien faisait irruption dans un
hôpital israélien, enlevait un patient
de son lit et abattait en même temps le
cousin venu s’occuper de lui. Mais
quand l’unité
antiterrorisme de la police et le
service de sécurité du Shin Bet le font,
on les applaudit, ici. La prochaine fois
que les propagandistes israéliens se
plaindront de l’usage que font les
Palestiniens des hôpitaux, on devra leur
rappeler l’hôpital Makassed à
Jérusalem-Est, l’hôpital Al-Ahli à
Hébron et l’hôpital privé à Naplouse, où
nos héros déguisés ont effectué des
raids, se sont livrés à des
confiscations et ont perpétré des
enlèvements et des assassinats.
Le premier raid violent a eu lieu à
la fin du mois dernier à Jérusalem-Est.
À deux reprises, des dizaines de
policiers armés ont fait irruption dans
l’hôpital Makassed, ont cherché le
dossier médical d’un garçon de 15 ans
soupçonné d’avoir lancé une bombe
incendiaire.
L’intrusion à Naplouse s’est produite
une semaine plus tard. Tous ceux qui
n’en ont pas entendu parler on pu le
voir dans « Uvda », qui acclame
très volontiers des actions de ce genre
sans poser trop de questions à propos de
leur légalité, moralité ou nécessité. La
cible était un membre blessé de la
cellule qui a tué Eitam et Na’ama Henkin
au début d’octobre.
« Ce n’était pas une simple
opération », a expliqué « Uvda »,
comme s’il s’agissait du bombardement du
site d’un réacteur nucléaire en Iran.
Les policiers s’étaient déguisés en
civils accompagnant un homme blessé dans
une chaise roulante.
« Vous saviez dans quelle chambre
il était ? » a demandé l’honorable
journaliste à l’intrépide commandant. « Nous
le savions », a répondu le
guerrier. « Et quel lit ? » « Nous
le savions. » Chouette, on pouvait
y aller ! « Nous avions sorti nos
armes », a ajouté l’officier,
décrivant l’héroïsme d’Israël dans sa
guerre contre les infirmières et le
personnel médical. Pendant un instant,
on a eu l’impression que le but réel de
l’action était l’émission de télévision
– une action que le magazine de l’armée,
« Bamahane », aurait été
honteux de publier, même dans ses pires
jours.
Mais le record a été pulvérisé lors de
la prise d’assaut d’Al-Ahli. Cette
fois, c’est à l’aube que les forces ont
effectué leur raid, à la recherche d’un
suspect dans une histoire de coup de
couteau. Rambo s’était déguisé en mère
enceinte – quelle touche de génie ! Et
l’objectif était un autre homme blessé
qu’on a tiré de son lit. Dans la foulée,
comme on dit, ils ont tué le cousin de
l’homme qui, à ce moment, sortait de la
salle de bain pour tenter de les
attaquer, ont-ils ajouté. Ce qui
n’apparaît en aucun cas de façon
évidente.
« Les hôpitaux civils organisés
pour donner des soins aux blessés,
aux malades, aux infirmes et aux
femmes en couches ne pourront, en
aucune circonstance, être l’objet
d’attaques ; ils seront, en tout
temps, respectés et protégés par les
Parties au conflit. »
– Article 18, Convention de Genève,
dont Israël est un signataire. Et
l’Article 19 dit :
« La protection due aux hôpitaux
civils ne pourra cesser que s’il en
est fait usage pour commettre, en
dehors es devoirs humanitaires, des
actes nuisibles à l’ennemi. (…) Ne
sera pas considéré comme acte
nuisible [à l’ennemi] le fait que
des militaires blessés ou malades
sont traités dans ces hôpitaux
(…). »
C’est clair comme de l’eau roche,
mais pas en Israël, qui
pense que les traités et la législation
internationale sont très importants mais
ne s’appliquent pas à lui ; qu’il
constitue un cas spécial, celui d’un
pays qui combat pour son existence face
au diable qui se cache également dans
les hôpitaux. Mais c’est précisément la
raison pour laquelle ces traités ont été
formulés.
Il s’agit essentiellement d’actes de
vengeance, pour faire du show. Les
individus recherchés peuvent être
arrêtés après leur guérison sans pour
autant violer le principe de la
protection des hôpitaux et sans semer la
peur parmi des milliers de gens malades
et blessés. La prochaine chose que nous
savons, c’est qu’une nouvelle unité va
être créée pour combattre dans les
hôpitaux : peut-être y aura-t-il une
unité spécialisée en salle
d’accouchement, ou une autre qui se
spécialisera dans les raids contre les
USI (unités de soins intensifs) – il y a
plus d’infirmières, dans ces unités.
Au-delà du ridicule et de toute
considération morale, la question posée
par le médecin de Naplouse, le Dr Samir
Khayat, retentit : « Selon votre
point de vue, sont-ils des héros ? »
Oui, Dr Khayat, ce sont les héros
d’Israël.

Publié le 21 novembre 2015 sur
Haaretz
Traduction : Jean-Marie Flémal
Gideon
Levy est un chroniqueur et
membre du comité de rédaction du
journal Haaretz .
Il a rejoint Haaretz en
1982 et a passé quatre ans comme
vice-rédacteur en chef du journal.
Il a obtenu le prix Euro-Med
Journalist en 2008, le prix Leipzig
Freedom en 2001, le prix Israeli
Journalists’ Union en 1997, et le
prix de l’Association of Human
Rights in Israel en 1996. Son
nouveau livre, The Punishment
of Gaza , vient d’être publié par
Verso. Traduit en français :
Gaza, articles pour Haaretz,
2006-2009,
La Fabrique, 2009
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