Nous devons
remercier le conducteur du tracteur
militaire qui est devenu fou dans les
rues de Kfar Qaddum l’autre jour, et
même lui décerner une citation à l’ordre
du mérite : il a fourni une image
incroyablement précise de la réalité
d’Israël, tant pour les Israéliens que
pour le monde extérieur.
Jetez un œil au
clip vidéo qui circule sur les
réseaux sociaux : voici ce qu’est
l’occupation. Voilà à quoi ça ressemble.
Voilà comment elle se comporte. Elle est
lourde, violente et débridée. Il est
difficile de penser à une image qui
reflète mieux la situation que ce
véhicule en acier se dirigeant
sauvagement dans les rues d’un village
palestinien, fonçant dans une foule qui
essaie de fuir pour sauver sa vie [les
images d’enfants brûlés par du phosphore
blanc, d’autres tués d’une balle dans la
tête ou de destructions d’immeubles avec
leurs habitants à l’intérieur viennent
également à l’esprit]. Peu importent les
réprobations dubitatives : ce tracteur
parle la langue de Tsahal, plus que
toute autre chose. Oubliez le
Coronavirus, c’est là la véritable
épidémie, avec des millions de porteurs
partout en Israël.
Qaddum est l’un des
derniers villages palestiniens
combattants. Les habitants s’y battent
tous les jours de la semaine pour la
réouverture d’une route de sortie qui a
été bloquée en raison de la colonie
illégale de Kedumim. Une vidéo de neuf
minutes prise par des résidents il y a
quelques jours montre des dizaines de
jeunes gens courageux et en colère
jetant des pierres sur des soldats, qui
leur tirent des gaz lacrymogènes dans
une chorégraphie de mort.
Deux enfants y ont reçu une balle dans
la tête ces derniers mois. Les
soldats tirent, les jeunes se retirent,
et c’est un combat du lance-pierre de
David contre les lance-grenades, avec
Jonathan Pollak du côté de la
résistance et des cris amers qui
s’élèvent en arrière-plan.
Et puis vient le
tracteur. Il accélère rapidement vers
les manifestants, le conducteur étant
assis en hauteur et protégé. Il ne peut
même pas discerner s’il écrase ou non
des gens. Et il ne semble pas que cela
le dérange. Ce ne sont pas des êtres
humains qui lui font face. Ce sont des
Palestiniens. Si quelqu’un glissait en
fuyant, il serait écrasé à mort et le
conducteur ne ressentirait rien.
Personne n’appellerait cela une attaque
par voiture-bélier. Le terrorisme n’est
commis que par des Palestiniens.
Aux yeux du
conducteur, il y a un troupeau devant
lui qui doit être déplacé. Même les
animaux ne doivent pas être repoussés de
cette manière, mais c’est Qaddum, c’est
l’occupation et c’est ainsi qu’elle
fonctionne. Il n’y a aucune raison de se
plaindre du conducteur, car il n’y a pas
d’autre moyen de maintenir l’occupation
et de maîtriser la résistance justifiée
qui s’est réveillée.
Ce tracteur n’est
pas un avion sophistiqué qui bombarde
Gaza ou un missile intelligent qui peut
exploser dans une chambre. Ce n’est
qu’un tracteur. Une machine destinée à
détruire des maisons et à évacuer les
gens des routes. Mais le conducteur est
sans aucun doute fier de son service
militaire. Quelqu’un doit faire ce
travail. Il y a quelques années, le type
qui occupait ce poste s’appelait Dubi
Kurdi. Son vrai nom était Moshe Nissim
mais le système de communication de
Tsahal dans le camp de Jénine lui a
donné le surnom de Dubi Kurdi. Oh, le
bon vieux temps qui reviendra ! Kurdi a
détruit le camp de réfugiés de Jénine.
Pendant 75 heures, il s’est assis dans
un bulldozer D-9 et, avec ses amis, a
effacé 530 maisons de réfugiés de la
surface de la terre. Il a dit qu’il
avait apprécié chaque instant, et qu’il
regrettait seulement de ne pas avoir été
autorisé à terminer son travail.
Le 31 mai 2002, au
plus fort de l’opération Bouclier
défensif (qui a tué 497 Palestiniens et
en a blessé 1447 selon l’ONU),
Yedioth Ahronoth a publié le récit
de Dubi Kurdi. La vengeance de son
tracteur reflétait l’esprit du temps. Le
même esprit existe aujourd’hui.
Peut-être s’est-il vanté en vain,
peut-être qu’il a parlé ouvertement.
Avec une bannière du club Beitar
Jérusalem sur son bulldozer, une
bouteille de whisky dans la boîte à
gants et une grande chanson dans son
cœur, Kurdi voulait aplatir une colline
et transformer le camp de réfugiés de
Jénine en stade Teddy (stade de football
à Jérusalem). Il a obtenu ce qu’il
voulait. Son unité a reçu une médaille.
« Pendant trois
jours, j’ai écrasé ces maisons encore et
encore. Je n’ai vu personne à
l’intérieur tandis que les maisons
s’effondraient, mais s’il y avait eu des
gens à l’intérieur, je ne m’en serais
pas soucié. Je suis sûr qu’il y avait
des gens qui sont morts à l’intérieur.
Mais c’était difficile à voir. Il y
avait beaucoup de poussière. J’ai eu
beaucoup de plaisir à voir toutes les
maisons qui s’étaient écroulées. Parce
que je savais qu’ils ne se soucient pas
de mourir ; perdre une maison les blesse
davantage. Détruisez une maison et vous
avez enterré 40 à 50 personnes pour les
générations à venir. J’en ai tiré
beaucoup de satisfaction. J’ai beaucoup
aimé. »
C’est l’héritage de
Tsahal. L’autre jour, nous avons vu que
cela n’avait pas changé.
Le porte-parole
de Tsahal annonce :
Continuez de tirer
sur les enfants palestiniens
Les soldats
israéliens tirent sur les enfants.
Parfois, ils les blessent et parfois ils
les tuent. Parfois, les enfants se
retrouvent en état de mort cérébrale,
parfois handicapés. Parfois, les enfants
ont lancé des pierres sur les soldats,
parfois des cocktails Molotov. Parfois,
par hasard, ils se retrouvent au milieu
d’une confrontation. Mais dans toutes
les situations, ils ne mettent presque
jamais la vie des soldats en danger.
Parfois, les
soldats tirent intentionnellement sur
les enfants, parfois par erreur.
Parfois, ils visent la tête des enfants
ou le haut du corps, et parfois ils
veulent tirer en l’air et se ratent,
touchant les enfants à la tête. C’est ce
qui arrive quand un corps est petit.
Parfois, les
soldats tirent avec l’intention de tuer,
parfois de punir. Parfois, ils utilisent
des balles réelles et parfois des balles
recouvertes de caoutchouc ; parfois ils
tirent à distance, parfois en embuscade,
parfois à courte portée. Parfois, ils
tirent par peur, par colère, par
frustration ou encore par sentiment de
n’avoir aucune autre option, ou par
perte de contrôle ; parfois, ils tirent
de sang-froid. Les soldats ne voient
jamais leurs victimes par la suite.
S’ils voyaient ce qu’ils ont causé, ils
pourraient arrêter de tirer.
Les soldats
israéliens sont autorisés à tirer sur
des enfants. Personne ne les punit pour
avoir tiré sur des enfants. Quand un
enfant palestinien est abattu, ce n’est
pas une histoire. Il n’y a pas de
différence entre le sang d’un petit
enfant palestinien et le sang d’un
adulte palestinien. Ils sont tous les
deux bon marché. Quand un enfant juif
est blessé, tout Israël tremble, mais
quand un enfant palestinien est blessé,
Israël baille d’indifférence. Israël
trouvera toujours, toujours une
justification pour ses soldats tirant
sur des enfants palestiniens. Il ne
trouvera jamais, jamais de justification
pour que des enfants lancent des pierres
sur des soldats qui lancent un raid sur
leur village.
Depuis six mois, un
garçon nommé Abd el-Rahman Shatawi est
en convalescence à l’hôpital de
rééducation de Beit Jala. Depuis 10
jours, un de ses proches, Mohammed
Shatawi, est à l’hôpital universitaire
Hadassah, Ein Karem, à Jérusalem. Tous
deux sont originaires du village de
Qaddum en Cisjordanie. Des soldats
israéliens leur ont tiré dessus, tous
les deux en pleine tête. Les soldats ont
tiré des balles réelles à grande
distance sur Abd el-Rahman alors qu’il
se tenait à l’entrée de la maison d’un
ami, et ils ont tiré une balle
recouverte de caoutchouc sur Mohammed
depuis le sommet d’une colline, tout en
essayant de se cacher d’eux sur cette
même colline. L’armée a déclaré qu’il
avait mis le feu à un pneu.
Abd el-Rahman a 10
ans et semble petit pour son âge.
Mohammed a 14 ans et semble plus âgé que
cela. Ce sont les enfants de la réalité
palestinienne, tous deux suspendus entre
la vie et la mort. Leur vie et celle de
leurs parents ont été détruites. Le père
d’Abd el-Rahman conduit son fils chez
lui de Beit Jala à Qaddum une fois par
semaine pour qu’il passe un week-end
dans le village, et le père de Mohammed
ne s’éloigne pas de la porte de l’unité
de soins neuro-intensifs de Hadassah Ein
Karem, où il est seul face à son fils et
son sort. Aucun de ces enfants n’aurait
dû être abattu. Aucun des deux n’aurait
dû être atteint d’une balle dans la
tête.
Après que Abd
el-Rahman a été abattu, le bureau du
porte-parole de l’armée a déclaré que «
lors de l’incident, un mineur
palestinien a été blessé ». Après que
Mohammed a été abattu, le porte-parole a
déclaré: « Une plainte concernant un
Palestinien blessé par une balle en
caoutchouc est connue de nos services. »
Le bureau connaît la plainte. Le
porte-parole de l’armée est la voix de
l’armée israélienne. Tsahal est une
armée populaire, c’est pourquoi son
porte-parole parle également pour
Israël.
Les porte-parole
publient leurs déclarations sanglantes
dans un nouvel immeuble de bureaux
à Ramat Aviv, près de Tel Aviv, où le
bureau a récemment déménagé. Ils
qualifient un garçon de 10 ans de «
mineur palestinien » et font remarquer
que « la plainte palestinienne est
connue » à propos d’un garçon qui lutte
pour sa vie parce que des soldats lui
ont tiré une balle dans la tête. La
déshumanisation des Palestiniens a
atteint les porte-parole de Tsahal. Même
les enfants ne suscitent plus de
sentiments humains tels que le chagrin
ou la miséricorde, certainement pas dans
Tsahal.
Le bureau du
porte-parole de Tsahal fait bien son
travail. Ses déclarations reflètent
l’esprit du temps et du lieu. Il n’y a
pas de place pour exprimer le moindre
regret d’avoir tiré des balles dans la
tête d’enfants, il n’y a pas de place
pour la pitié, des excuses, une enquête
ou une punition, et certainement pas
pour une quelconque compensation. Tirer
sur un enfant palestinien est considéré
comme moins grave que de tirer sur un
chien errant, pour lequel il y a encore
une chance pour que quelqu’un fasse une
enquête.
Le porte-parole de
Tsahal annonce : Continuez de tirer sur
les enfants palestiniens.
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