Palestine
Silence, on tue : à Gaza, massacre d’une
famille entière comprenant 3 enfants et
2 nourrissons
Gidéon Levy
Mardi 19 novembre 2019 Source :
Haaretz, le 17 novembre 2019.
Traduction :
www.lecridespeuples.fr
Selon la version
officielle, le pilote de l’avion qui a
mené la frappe ne savait pas. Ses
commandants qui lui ont donné les ordres
ne savaient pas non plus. Le ministre de
la Défense et le Commandant-en-chef ne
savaient pas. Le commandant de l’armée
de l’air non plus. Les officiers de
renseignement qui déterminaient la cible
ne savaient pas. Le porte-parole de
l’armée qui a menti sans scrupules ne
savait pas non plus.
Aucun de nos héros
n’était au courant. Ceux qui savent
toujours tout, soudainement, ne savaient
rien. Ceux qui sont capables de
localiser le fils d’un homme recherché
dans une banlieue de Damas ne savaient
pas qu’une
famille pauvre dormait dans son
taudis misérable à Dir al-Balah, au sud
de Gaza.
Ceux qui servent
dans « l’armée la plus morale du monde »
et « les services de renseignement les
plus avancés du monde » ne savaient pas
que ce taudis précaire en tôle avait
depuis longtemps cessé de faire partie
de la prétendue « infrastructure du
Jihad Islamique », et il est peu
probable qu’elle ait jamais appartenu au
groupe armé. Ils ne savaient pas et ne
se sont pas donnés la peine de vérifier.
Après tout, quel est le pire qui pouvait
arriver ? La mort d’une poignée d’Arabushim ?
Insignifiant.
Le journaliste
Yaniv Kubovich a
révélé la vérité choquante vendredi
sur le site Internet de
Haaretz : la cible n’avait pas
été réexaminée depuis au moins un an
avant la frappe ; l’individu qui était
censé être ciblé n’avait jamais existé ;
et les renseignements étaient basés sur
de simples rumeurs. La bombe a quand
même été larguée. Le résultat : huit
corps dans des linceuls colorés, dont
certains horriblement minuscules, tous
alignés ; les membres d’une même famille
élargie, les Asoarkas, dont cinq enfants
– dont deux nourrissons.
Des Palestiniens
se rassemblent autour du cratère causé
par une frappe aérienne
israélienne à
Deir al-Balah, dans le sud de la bande
de Gaza, le 14 novembre 2019.
S’ils avaient été
citoyens israéliens, l’État aurait remué
ciel et terre pour venger le sang de ses
enfants, dont les noms et les visages
innocents auraient immédiatement acquis
une notoriété internationale, et le
monde entier aurait été bouleversé par
la cruauté du « terrorisme palestinien
». Mais Moad Mohamed Asoarka n’était
qu’un garçon palestinien de 7 ans qui a
vécu et est mort dans une baraque en
tôle, n’ayant ni présent ni avenir, et
dont la vie était aussi dénuée de valeur
et aussi courte que celle d’un papillon
; son assassin était un pilote révéré
pour son héroïsme.
C’était un véritable massacre. Mais
personne ne sera puni pour ça. « La
banque d’objectifs n’a pas été mise à
jour », ont déclaré des responsables de
l’armée. (Après que l’enquête de Yaniv
Kubovich ait été publiée, le
porte-parole de l’armée israélienne a
publié une autre déclaration : « Le
bâtiment a été confirmé comme cible
plusieurs jours avant l’attaque. ») Mais
ce massacre était pire que l’assassinat
ciblé de Salah Shehada, et il a été
accueilli par une indifférence encore
plus écœurante en Israël.
Le 22 juillet 2002,
un pilote de l’armée de l’air
israélienne a largué une bombe d’une
tonne sur un quartier résidentiel, tuant
16 personnes, dont un homme vraiment
recherché par Israël. Jeudi 14 novembre
2019, avant l’aube, un pilote a largué
une bombe beaucoup plus intelligente,
une JDAM, sur une cabane en tôle dans
laquelle aucun homme recherché ne se
cachait.
Il s’est avéré que
même l’homme prétendument recherché, et
nommé par un porte-parole de l’armée,
était un simple produit de son
imagination. Il n’y avait que des
femmes, des enfants et des innocents
endormis dans la crainte cette nuit à
Gaza. Dans les deux cas, les forces
armées israéliennes ont utilisé le même
mensonge : nous pensions que le bâtiment
était vide. « L’armée israélienne tente
toujours de comprendre ce que la famille
faisait sur le site », a réagi Tsahal
avec l’insolence et la froideur
laconique qui la caractérisent,
suggérant que la famille était en faute.
En effet, que faisaient-ils là, Wasim,
13 ans ; Mohand, 12 ans ; et les deux
bébés dont les noms n’ont pas été
annoncés ?
En 2002, le
lendemain du meurtre de Shehada et de 15
de ses voisins, et après que l’armée
israélienne ait continué à affirmer que
leurs maisons étaient des « cabanes
inoccupées », je me suis rendu sur
le site de l’attaque, le quartier de
Daraj, à Gaza ville. Il ne s’agissait
pas de « cabanes », mais d’immeubles
résidentiels, hauts de plusieurs étages,
tous densément peuplés, comme dans tous
les foyers de Gaza. Mohammed Matar, qui
travaillait en Israël depuis 30 ans,
était prostré par terre, les bras et les
yeux bandés, au milieu des ruines, à
côté de l’énorme cratère creusé par
l’explosion. Sa fille, sa belle-fille et
quatre de ses petits-enfants sont morts
dans l’explosion ; trois de ses enfants
ont été blessés. « Pourquoi nous ont-ils
fait ça ? » m’a-t-il demandé, sous le
choc. À l’époque, 27 des pilotes les
plus courageux de l’armée de l’air
israélienne ont signé la lettre dite des
pilotes, refusant de prendre part aux
opérations en Cisjordanie et dans la
bande de Gaza. Cette fois-ci, pas un
seul pilote n’a refusé de participer aux
frappes, et il est douteux que ce soit
le cas à l’avenir.
« Des êtres
humains. Ce sont des êtres humains. Il y
a eu une bataille ici, la bataille des
infirmières et des médecins contre la
mort », écrit le Dr. Mads Gilbert,
courageux médecin norvégien, qui se
précipite au secours des habitants de la
bande de Gaza chaque fois qu’elle est
bombardée, soignant les blessés avec un
dévouement infini. Gilbert a joint une
photo du bloc opératoire de l’hôpital
Shifa de la ville de Gaza : du sang sur
la table, du sang sur le sol, de la
literie trempée de sang partout. Jeudi,
le sang de la famille Asoarka a été
ajouté à celui de tous les autres, avec
leurs cris de douleur en direction
d’oreilles qui ne veulent pas écouter.
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