Chronique de
Palestine
Pas de #MeToo pour ces Palestiniennes
emprisonnées en Israël
Gideon Levy

Des manifestants palestiniens tenant des
affiches avec la photo de Khalida Jarrar,
lors de sa détention en avril 2015 -
Photo : Abbas
Momani
Samedi 18 janvier 2020 Ce ne sont pas
des femmes, ce sont des «terroristes»,
donc personne ne se soucie d’elles
lorsqu’elles sont victimes de mauvais
traitements et d’abus.
À une époque où
toute remarque sexiste adressée à une
femme peut conduire à une émeute, la
torture lors des interrogatoires ou les
incarcérations totalement injustes de
femmes ne fâchent personne. Lorsque des
carrières et des vies sont ruinées à
cause d’un baiser ou d’une accolade
inappropriés, la retenue des femmes
pendant des jours et des nuits dans des
positions contraintes et douloureuses,
la privation de sommeil et les
réclusions sont acceptables parce
qu’elles sont des «terroristes».
Le mouvement #MeToo
est allé loin, parfois trop loin et
parfois pas assez loin : il s’arrête à
la porte du camp Ofer et des
installations d’interrogatoire du
service de sécurité du Shin Bet. Là, ça
n’existe pas. Là, les femmes peuvent
être maltraitées au cœur du système
d’occupation. Personne ne protestera.
Un jour la semaine
dernière, la prisonnière Khalida Jarrar,
membre du Parlement palestinien
inexistant, a été amenée devant le si
déprimant tribunal militaire d’Ofer.
Elle n’a pas été torturée lors de ses
interrogatoires, mais des signes
d’épuisement étaient clairement
visibles. Menottée, dans un manteau
débraillé des services pénitentiaires
israéliens, son visage montrant la
fatigue de trois mois et demi de
détention et d’interrogatoires, cette
ancienne combattante des
détentions antérieures – la plupart
sans inculpation – a été accusée de
« détenir une position dans une
association illégale ».
La montagne de
communiqués du Shin Bet à la presse, aux
membres des médias, dans lesquels Jarrar
a même été accusée de la responsabilité
du meurtre en août de Rina Shnerb en
Cisjordanie, a « accouché d’une souris »
sous la forme d’une arrestation
politique pour « détenir une position »
dans une association.
Israël ne prend
même pas la peine de vouloir dissimuler
le fait qu’il détient des prisonniers
politiques, comme dans n’importe quel
régime despotique.
Jarrar a été
accusée d’être responsables de
« l’activité nationale et politique » du
Front populaire de libération de la
Palestine, un parti laïc de gauche,
dont l’occupant ne reconnaît pas le
droit d’exister – comme pour toute
organisation palestinienne – car ce sont
toutes des prétendues « organisations
terroristes ». Même ses procureurs
admettent que le seul péché de Jarrar
est son activité politique.
Seules trois femmes
israéliennes, qui méritent des
félicitations, sont venues à Ofer pour
montrer leur solidarité avec la
courageuse féministe palestinienne en
prison. #MeToo aussi? Des organisation
de femmes ? Pas ici…
Le sort de
l’étudiante en journalisme
Mais Abu Ghosh était encore pire.
Selon son père et ses avocats, elle a
été torturée lors de son interrogatoire.
Étudiante militante, elle est en
détention depuis environ six mois.
Les charges
retenues contre elle sont lourdes, mais
après en avoir pris connaissance, il est
clair que presque toutes sont ridicules.
L’accusation la plus grave, de « port
d’une arme, possession et fabrication
d’une arme », indique qu’elle a rempli
des bouteilles avec de l’essence dans
une station-service et y a introduit des
chiffons pour les utiliser comme
cocktails Molotov. C’est la grande
fabrique d’armes de Qalandiyah !
Les autres
accusations sont totalement politiques.
« Contact avec l’ennemi », par exemple,
fait référence à sa participation à une
conférence au Liban sur le retour des
réfugiés et à un entretien avec la
station de radio du Hezbollah. Ses
avocats demandent un procès dans le
cadre d’un procès, sur les violences
qui, selon Mays, ont été exercées sur
elle pendant son interrogatoire.
Son père a témoigné
qu’il a à peine reconnu sa fille la
première fois qu’il l’a vue après son
arrestation. C’était peu de temps après
qu’un autre détenu,
Samer Arbeed, ait été hospitalisé
dans un état critique après avoir été
torturé par ses interrogateurs, qui lui
ont cassé 16 côtes en 30 heures et ont
provoqué des lésions internes.
Les avocats d’Abou
Ghosh disent qu’elle a été interrogée
pendant des jours et des nuits, liée
dans les positions notoires de
« banane » et de « grenouille ». Ici
aussi, il n’y a pas de #MeToo. Il est
interdit de caresser une femme contre sa
volonté, comme il se doit, mais il est
normal de l’enchaîner dans des positions
douloureuses et de la maltraiter.
Les femmes du
mouvement féministe qui tirent à vue sur
des baisers forcés ne s’en prendront à
aucun des interrogateurs et des
tortionnaires. Les organisations
féminines resteront silencieuses : elles
sont trop occupées par leur lutte
héroïque pour mettre les jeunes femmes
dans des tanks afin qu’elles puissent
bombarder Gaza à leur guise, tout comme
les types, au nom de l’égalité des
sexes.
Mais il y a
actuellement quelques dizaines de
Palestiniennes dans la prison de Damon.
Certaines sont des détenus politiques,
d’autres ont été torturées lors des
interrogatoires. Pourquoi donc les
lionnes en colère de #MeToo ne se
soucient-elles pas de ces femmes ?
* Gidéon Lévy
: Né en 1955, à Tel-Aviv, est
journaliste israélien et membre de la
direction du quotidien Ha’aretz. Il vit
dans les territoires palestiniens sous
occupation.
16 janvier 2020
–
Haaretz – Traduction :
Chronique de Palestine
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