Plate-forme
Charleroi-Palestine
La peine de mort illégale et sans procès
est soutenue par les acclamations des
masses israéliennes
Gideon Levy

Israa
Abed, 30 ans, mère de trois enfants,
exécutée à Afula, près de Nazareth
Mardi 13 octobre 2015
Les habitants d‘Israël regardent ces
images et la plupart sont enchantés de
voir les médias attiser leurs pulsions
animales.
Une vague d’exécutions extralégales
déferle sur le pays. C’est écœurant,
barbare et illégal – et la chose est
applaudie par les masses, attisée par
les médias et encouragée par les
autorités.
Ajoutez en outre à cette vague de
terreur la pire espèce de dégâts – la
société israélienne en train de perdre
son image. Cette société a connu des
périodes de sauvagerie avant cela, mais
aucune comme celle-ci, qui voit chaque
agresseur à l’arme blanche ou chaque
personne proférant des menaces à l’aide
d’un couteau, d’un tournevis ou d’un
épluche-légumes se faire exécuter, même
après avoir jeté son arme, alors que son
exécuteur se mue en héros de la nation.
Ceux qui voulaient la peine de mort
pour les terroristes en reçoivent
aujourd’hui une version plus infamante –
une peine de mort sans procès. Quatorze
Palestiniens ont été tués de cette façon
la semaine dernière et la plupart
n’auraient même pas risqué la peine de
mort dans un État de droit. La soif de
sang – et on ne se souvient pas de
précédents du même genre dans ce pays –
exige de plus en plus de sang.
Lors de certaines de ces agressions,
les forces de sécurité et les civils ont
agi de façon adéquate en neutralisant
les assaillants. Parfois, il n’y a
d’autre choix que de tirer et de tuer.
Mais, dans d’autres cas, il s’est bel et
bien agi d’une exécution et on ne peut
décrire la chose autrement. Les clips
vidéo le prouvent de façon irréfutable.
Il suffit de voir
l’exécution horrible d’Asra’a Abed à
Afula. Elle était là, un couteau
toujours à la main (1), entourée de
policiers armés et, plus près d’elle,
l’un d’entre eux léchait un esquimau,
jusqu’au moment où ils lui ont tiré
plusieurs balles à très courte distance,
au lieu de la maîtriser et de la
désarmer. Cela a tout du meurtre. Ces
policiers étaient trop lâches ou trop
assoiffés de vengeance et, pour cette
raison, ils méritent de passer en
jugement et non de recevoir une
citation.
Plus macabre encore, il y a
l’exécution de Fadi Alon à Jérusalem.
Après avoir jeté le couteau avec
lequel il avait poignardé et blessé un
jeune Juif (2), il avait essayé
d’échapper à la foule en colère en se
dirigeant vers les policiers, pendant
que la foule, dans un langage ordurier,
incitait ces mêmes policiers à
l’abattre. Répondant à la requête de
cette racaille, les policiers avaient
abattu le jeune homme, sans raison, puis
avaient traîné son cadavre sur la route.
L’élément grotesque a été fourni par
l’agression de Tel-Aviv. Un Palestinien
armé d’un tournevis, qui avait poignardé
et très légèrement blessé plusieurs
Israéliens, a été abattu et tué par un
officier des FDI. Le sous-lieutenant
Daniel devenait ainsi le héros du jour.
Les médias lui ont consacré des pages
entières, le saluant comme un
“combattant d’une unité de défense
aérienne qui a fait ce qu’on attendait
d’un combattant”. Le corps de
l’agresseur, que personne n’avait pris
soin de recouvrir, et le tournevis a
côté de lui, constituent la citation de
Daniel. « Acte d’héroïsme à la porte
de Kirya », clamaient les gros
titres. Voilà tes héros, Israël, ils
éliminent des jeunes désespérés
brandissant un tournevis, alors qu’on
pourrait et devrait les arrêter.
Les habitants d’Israël regardent ces
images et la plupart sont enchantés de
voir les médias attiser leurs pulsions
animales. Voilà la véritable excitation.
Adultes et enfants voient comment on
abat les Arabes comme des chiens au bord
de la route et ils apprennent la leçon.
De la sorte, l’une des principales
raisons de l’éruption de cette révolte
est démontrée – la déshumanisation des
Palestiniens, dont la vie et la mort
n’ont absolument aucune valeur, aux yeux
des Israéliens.
Personne ne rêve de tuer Yishai
Shlisel (3) ou le meurtrier de
l’adolescent Maor Almakayas à Kiryat Gat,
mais tuer un Palestinien attire les
applaudissements et les vivats de la
foule déchaînée. Et nous n’avons encore
rien dit des tirs sans raison contre les
manifestants à la frontière de Gaza,
tirs qui ont tué sept civils dont un
enfant. Pas plus que nous n’avons parlé
de la tentative de lynchage à Afula, ou
de l’agresseur juif au couteau, à Dimona
(4), que personne n’a pensé à exécuter
et dont il ne serait venu à personne non
plus l’idée de détruire la maison.
L’homme sortait de toute un contexte d’« angoisse »
et était donc pardonnable, comme si les
agresseurs palestiniens ne venaient pas
eux aussi d’un contexte d’« angoisse »,
mais dix fois plus profond.
L’un des avocats de cette barbarie,
Dan Margalit, en a fourni la
justification vendredi dernier. « Il
est à conseiller absolument d’abattre
tous les terroristes (…) Plus on en
abattra, moins il y en aura »,
a-t-il dit. À cette moralité de béotien,
qui ne passe même pas le test de la
réalité, on pourrait ajouter : plus on
abattra de violeurs, d’agresseurs, de
chauffards, de pervers sexuels, de
gauchistes et d’Arabes, moins nous en
aurons. Mort aux Arabes – il
est temps de se précipiter sur la
prochaine cible.
Publié le 11 octobre 2015 sur Haaretz
Traduction : JM Flémal
Gideon
Levy est un chroniqueur et
membre du comité de rédaction du journal
Haaretz.
Il a rejoint Haaretz en 1982 et
a passé quatre ans comme vice-rédacteur
en chef du journal. Il a obtenu le
prix Euro-Med Journalist en 2008, le
prix Leipzig Freedom en 2001, le prix Israeli
Journalists’ Union en 1997, et le prix
de l’Association of Human Rights in
Israel en 1996. Son nouveau livre, The
Punishment of Gaza, vient d’être
publié par Verso. Traduit en français :
Gaza, articles pour Haaretz,
2006-2009,
La Fabrique, 2009.
Le sommaire de Gideon Levy
Les dernières mises à jour

|