Opinion
Le binationalisme israélien, c'est une
vieille histoire
Gideon Levy

Des
militaires israéliens pointent leurs
armes au cours de heurts avec des
Palestiniens
dans la ville de Hébron, en Cisjordanie.
Vendredi 8 août 2014 / Photo : AP.
Dimanche 12 octobre 2014
Force est de l'admettre, Israël
est devenu un État binational voici 47
ans, lorsqu'il a occupé les territoires.
Tout ce qu'il reste à décider, c'est
s'il sera binational avec une démocratie
ou avec un régime d'apartheid.
C'est une arme de jugement dernier
que l’État binational. La gauche met en
garde contre elle comme s'il s'agissait
d'un désastre national, un
quasi-holocauste, alors que la droite ne
veut même pas y penser comme
possibilité. Et en être partisan ? Dieu
nous en préserve ! C'est tout juste si
cela existe. L’État juif est le père de
tous les consensus, la plus sainte des
vaches sacrées, la raison d'être, même
si personne ne sait ce qu'il est
exactement, même si le qualificatif de
« juif » indique effectivement
qu'il est nationaliste. Pour la
quasi-totalité des Israéliens, le terme
binational met un point final à
l'affaire. Et, désormais, le journaliste
israélien Rogel Alpher a rejoint le camp
des alarmistes (édition en hébreu, 2
octobre).
« Arrêtez toutes les horloges, coupez
les téléphones et faites face à la
réalité : Israël est en train de devenir
un État binational. Que comptez-vous
faire à ce propos ? » a demandé
Alpher. Ma ligne téléphonique n'a pas
été coupée, mes horloges n'ont pas été
arrêtées et j'ai essayé de faire face à
la réalité : L’État binational est déjà
présent, et depuis longtemps, encore, Il
est moins effrayant que ce qu'on en a
prétendu et il ne reste plus qu'à se
battre au sujet de ses caractéristiques.
Il est malaisé de croire à quel point la
machine de la négation et de la
répression est même parvenue à cela – à
dépeindre l’État binational tel qu'il
sera dans le futur. Quelque six millions
de Juifs et près de cinq millions de
Palestiniens (les Arabes israéliens et
les Palestiniens de Cisjordanie) vivent
sous un gouvernement, dans un État et
celui-ci n'est pas binational ?
Qu'est-ce qu'il est, alors ?
Mononational ?
Deux nations, un gouvernement – et il
n'est pas binational ? Depuis 47 ans, il
est totalement binational. Pas même
binational en devenir ni provisoirement
binational. Un État binational, et dans
tous ses objectifs et finalités.
S'il ressemble à un État binational,
qu'il se meut comme un État binational
et qu'il fait entendre sa voix comme un
État binational – dans ce cas, qu'est-ce
qu'il est ? Compte tenu de ce qu'Israël
n'a jamais – au grand jamais – eu
sérieusement l'intention d'abandonner
les territoires qu'il occupe, cet État
binational a déjà mis au monde deux
générations de citoyens et de sujets
binationaux.
Il est vrai qu'Israël n'a jamais osé
annexer officiellement tous les
territoires qu'il occupe ni voulu
étendre les droits civiques à ses
habitants non juifs. Mais cela n'en fait
pas un État moins binational, et la
prétention de dire que ce n'est que
temporaire a expiré depuis longtemps.
Vraiment, il y a un fossé révoltant
entre les droits des deux nations, mais
cela ne rend pas l’État moins
binational. Un Palestinien à Hébron et
un Juif à Tel-Aviv sont les sujets du
même gouvernement, même si ce
gouvernement est démocratique pour
l'habitant de Tel-Aviv et dictatorial
pour celui de Hébron, et même si le
premier gouvernement est civil et le
second militaire. La source de
l'autorité est la même : C'est le
gouvernement juif de Jérusalem qui
décide du sort des deux. L'Autorité
palestinienne a moins de liberté
d'action qu'un conseil régional.
Ainsi donc, qu'avons-nous, ici ? Un
État, deux nations. Depuis des années,
la gauche essaie de constituer une
alternative : deux États. Aujourd'hui,
alors qu'il est évident que la chance de
voir ceci se réaliser est enterré à
jamais – et peut-être même n'a-t-elle
jamais existé – tout ce que nous pouvons
faire, c'est nous préoccuper du
caractère de cet État, qui est
binational depuis deux générations et
qui pourtant n'a jamais été ni
égalitaire ni démocratique durant un
seul instant.
Tout débat supplémentaire à propos de
deux États n'est rien qu'une façon de
gâcher un peu plus de temps encore, afin
d'enraciner davantage cette occupation.
Avec plus d'un demi-million de colons et
une confiance à zéro, c'est une cause
perdue. Israéliens, Palestiniens et le
monde entier doivent en tirer leurs
conclusions.
La seule question qui se pose encore,
c'est se savoir quel genre d’État ce
sera : une démocratie binationale ou un
État binational à régime d'apartheid.
Tous ceux qui, dans le passé, ont
considéré le caractère de l’État juif
comme étant sacré – c'est-à-dire la
majorité écrasante des Israéliens –
doivent se demander où ils étaient quand
il y avait toujours la possibilité de
deux États. Mais, aujourd'hui que le
droit et les colons ont gagné, il n'est
pas pertinent de continuer à discuter de
la chose. Réellement, le solution à un
seul État, binational, démocratique et
égalitaire fait actuellement figure de
chimère ou de cauchemar. Mais quelle
autre alternative y a-t-il, précisément
?
Ainsi donc, arrêtez toutes les horloges,
coupez les téléphones et faites face à
la réalité : Et commencez à lutter pour
un État (binational) légitime.
Publié sur
Haaretz le 5 octobre 2014.

Gideon Levy est
journaliste au quotidien israélien
Haaretz.
Traduction pour le site
de la Plate-forme Charleroi-Palestine
: JM Flémal.
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