Opinion
L'armée la plus morale du monde
Gideon Levy
Des
soldats des FDI en mission
opérationnelle en Cisjordanie. Photo :
AP
Dimanche 9 mars 2014
Les Forces de défense
israéliennes estiment que la force
brutale est la seule façon d’agir et les
Israéliens refusent de tenir compte des
mises en garde d’Amnesty International
et d’autres.
L’armée la plus morale du monde a
lancé un missile antichar sur une maison
où se cachait un jeune
Palestinien recherché. L’armée
la plus morale du monde a envoyé un
bulldozer sur la maison et l’a détruite.
L’armée la plus morale du monde a envoyé
des chiens pour fouiller les ruines.
L’armée la plus morale du monde a
utilisé une perceuse – qu’elle appelle
« casserole à pression » - un
engin passablement dégoûtant qu’elle a
inventé pour son propre usage.
Tout cela s’est passé jeudi dernier,
à Bir Zeit, en
Cisjordanie. Les soldats de
l’armée la plus morale du monde étaient
sur place très tôt, ce matin-là, pour
une « mission d’arrestation »,
semblable à toutes celles qui ont lieu
chaque nuit et dont vous entendez
rarement parler.
Cela implique semer la peur dans les
villages au beau milieu de la nuit,
faire irruption dans des maisons dont
les résidents – y compris les enfants –
dorment profondément. Cela implique des
perquisitions brutales, des
destructions. Parfois, comme ce fut le
cas jeudi dernier, cela se solde aussi
par la mort.
Et tout cela se passe à une époque où
les opérations de terreur sont très
limitées.
Parfois, ces opérations partent d’une
réelle nécessité opérationnelle, mais
parfois aussi comme une routine
d’entraînement destinée à préserver
l’allant des forces et comme une
démonstration du pouvoir souverain à
l’adresse des habitants.
Les Forces de défense israéliennes ont
également inventé un nom encourageant,
pour tout cela : « Tool of
Disruption », la « technique de
la perturbation », consistant à
faire violemment irruption au sein d’une
communauté civile dans le but d’y semer
la panique et la peur et de perturber
son existence, et la chose a déjà été
dénoncée devant un tribunal militaire
ainsi que par l’organisation Yesh Din
des droits de l’homme.
À Bir Zeit, il
s’agissait de trois jeunes hommes
membres du Front populaire de
libération de la Palestine, une
organisation qui n’est pas
particulièrement active.
Et quand bien même (comme se sont
empressés de le dire les correspondants
militaires, selon leur habitude) les
FDI ont prétendu que
les trois hommes « avaient
l’intention de commettre un attentat
terroriste dans un proche futur
"(car, bien sûr, l’armée la plus morale
du monde est aussi une armée qui lit
dans les intentions), on peut douter
qu’ils aient mérité la mort.
Mais les FDI ont tué
Muataz Washaha, qui a
refusé de se rendre, prétendant qu’il
avait un fusil – un assassinat
dirait-on, dans le feuilleton « SOS
Secours », et sans bombe à
retardement –, et Israël
a également accepté cette histoire avec
un bâillement blasé.
Voilà comment agit l’armée la plus
morale du monde et comment elle estime
devoir agir. Il n’y a pas d’autre façon
d’arrêter un jeune homme, à part le tuer
à l’aide d’un missile antichar et
détruire la maison de sa famille.
Par chance, si on peut dire, le même
jour, un avis professionnel et autorisé
était diffusé à propos de la moralité
réelle des FDI. En
effet, Amnesty International
a publié un rapport, intitulé
« Trigger Happy » (La
gâchette facile), dans lequel
l’organisation établit que les soldats
des FDI font preuve
d’un grossier mépris de la vie humaine,
mépris exprimé dans le meurtre de
dizaines de citoyens palestiniens, y
compris des enfants. L’organisation
déclare qu’il s’agit de meurtres
intentionnels et qu’il s’agit
probablement même de crimes de guerre.
Bien sûr, la chose n’est pas parvenue à
briser la croyance enthousiaste des
Israéliens en la haute moralité de leur
armée. « Allez donc voir en Syrie »,
est leur réponse habituelle.
Le ministre des Affaires étrangères et
les FDI ont expliqué qu’Amnesty
International souffrait d’une
« absence totale de compréhension
des missions et défis opérationnels ».
Et, en vérité, que comprend vraiment
Amnesty ? En fin de
semaine dernière, le régime militaire
qui gouverne au Myanmar
(Birmanie) a mis un terme aux
activités de l’organisation
Médecins Sans Frontières dans
ses frontières, pour des raisons
similaires. S’il le pouvait,
Israël mettrait lui aussi un
terme au travail d’Amnesty
et d’autres groupes similaires.
Mais un citoyen respectable n’a pas
besoin d’Amnesty International
pour savoir ce qui se passe. Il
y a deux jours à peine,
les FDI ont tué une
femme à la frontière de Gaza,
à Khan Yunis, après
avoir recouru à un protocole contre elle
– le « Protocole d’éloignement ».
Le meurtre de manifestants à proximité
de la clôture qui étouffe la bande de
Gaza est une routine –
qu’y a-t-il à rapporter ? C’est la même
chose que lorsqu’on tire sur les
pêcheurs.
En Cisjordanie aussi,
les protestataires, les lanceurs de
pierres, les enfants et les jeunes se
font tirer dessus et tuer.
Voilà comment l’enfant
Wajih al-Ramahi a
été abattu à Jalazun,
voici deux mois environ. Il y a quinze
jours, B’Tselem – le
Centre d’information israélien pour
les droits de l’homme des les
Territoires occupés publiait ses
conclusions d’autopsie : Ramahi
a été abattu dans le dos, à une
distance de 200 mètres.
Tel fut également le sort du jeune
Samir Awad, de
Budrus, et de dizaines d’autres
qui ont été tués alors qu’ils ne
mettaient personne en danger et ont donc
été abattus sans raison par d’effrayants
obsédés de la gâchette.
Personne n’a été traîné en justice pour
actions homicides. Quant à Awad,
tué dans le dos aussi dans une embuscade
et dont on a parlé de la mort à
l’époque, la procédure se couvre
lentement de poussière depuis plus d’un
an chez le procureur militaire.
Et tout ceci, de la part de l’armée la
plus morale du monde. Essayez un peu de
dire le contraire. Ou de prétendre que
les FDI sont la seconde
armée la plus morale du monde – disons,
après l’armée luxembourgeoise ?
Publié sur
Haaretz le 3 mars 2014. Traduction :
JM Flémal.
Gideon Levy est
journaliste au quotidien israélien
Haaretz.
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