Ha'aretz
2015 : L’année où le fascisme israélien
a affiché ses couleurs sans vergogne
Gideon Levy
Des
Palestiniens regardent une maison qui a
été démolie par l’armée israélienne,
dans le camp de réfugiés de Qalandia, à
la périphérie de la ville cisjordanienne
de Ramallah, le 16 novembre 2015 (AP)
Samedi 2 janvier 2016
Ce fut une année au cours de
laquelle il n’y eut même pas un semblant
de pourparlers de paix ni de processus
diplomatique. Mais c’est probablement
une bonne chose : On en avait plus
qu’assez des devinettes !
Jeudi soir a scellé la fin d’une
année plutôt exécrable. Il n’y a même
pas eu de guerres orientées sur le
changement, qui auraient laissé
Israël se débrouiller avec
soi-même. Il est des moments où le fait
de déclencher une guerre propre, dans le
style particulièrement entretenu et
affectionné par Israël, semblerait la
meilleure chose qui puisse arriver.
Devoir traiter avec soi-même ne fait
aucun bien à Israël. Quand il ne peut se
retrancher derrière son habituelle
« guerre inévitable », toutes ses
plaies et cicatrices ressortent de façon
bien plus visible.
Selon l’Indice
2015 de la Démocratie, publié le
mois dernier par l’Institut
israélien de la démocratie, les
Israéliens marquent des points. Telle
fut la réponse des trois quarts d’entre
eux, mieux encore que les deux tiers qui
s’étaient dit très contents en 2014.
Qu’est-ce qui s’est amélioré, cette
année ? Le top-modèle Bar Refaeli s’est
mariée (et s’est fait arrêter) ; la
chanteuse et musicienne Ninet Tayeb (et
le présentateur des infos Yonit Levi)
ont eu des bébés ; 80 pour 100 des
Israéliens croient que la situation du
pays est bonne ; 88 pour 100 des Juifs
estiment que ça baigne.
Mais voyez ce qu’il en a été du côté
arabe : 32 pour 100 seulement éprouvent
des affinités avec l’État, alors qu’ils
étaient encore 59 pour 100 l’année
d’avant – la dégringolade la plus
importante et la plus embarrassante de
l’année. Mais qui tient les comptes et
qui s’en soucie ?
Ce qui importe, c’est que 86 pour 100
des Juifs affirment qu’ils sont
sionistes, que 61 pour 100 appuient la
déclaration de loyauté comme condition
au droit de vote, que 60 pour 100 (avec
davantage de jeunes que de personnes
plus âgées) croient que l’État devrait
être autorisé à contrôler l’utilisation
d’Internet par les citoyens et qu’une
majorité croit que les organisations des
droits de l’homme sont une grave
nuisance.
Selon la numérologie, ce fut une
année particulière – 67 ans après la
fondation de l’Etat en 1948 ; 48 ans
après l’occupation qui a débuté en 1967.
Ils sont nombreux à se poser la
question : Cela va-t-il durer 50 années
de plus ? L’occupation va-t-elle durer
50 années de plus ? Il n’existe pas
d’autre pays dans lequel on se pose ce
genre de questions.
Jusqu’à présent, 24 Israéliens et 128
Palestiniens ont été tués dans
l’actuelle mini-Intifada. L’équilibre
démographique est préservé : plus de
cinq Palestiniens ont été tués pour
chaque Juif, bien que la croissance soit
nettement moindre par rapport aux
précédents succès. Cent Palestiniens
tués pour un Israélien, lors de
l’opération Plomb durci ; 37
Palestiniens pour un Israélien, lors de
l’opération Bordure protectrice. Mais
jamais auparavant il n’y avait eu
d’ordre officiel de tuer, comme ce fut
le cas cette année.
Ce fut une année au cours de laquelle
il n’y eut même pas un semblant de
pourparlers de paix ni de processus
diplomatique. Mais c’est probablement
une bonne chose : On en avait plus
qu’assez des devinettes ! Ce fut
également l’année qui vit les États-Unis
donner à Israël carte blanche pour agir
comme bon lui semblerait – et peut-être
plus encore que toute autre année. Les
manifestations les plus houleuses ont
été celles des gens d’origine
éthiopienne, et les parents des « sardines »
(les enfants des classes surpeuplées)
ont également fait entendre leurs voix.
Telle fut la limite supérieure des
protestations en Israël même.
Les élections de mars ont donné le
gouvernement le plus à droite de
l’histoire et une Knesset la plus
nationaliste de tous les temps et qui
légifère en ce sens. Ce fut une année
absolument libérée du moindre semblant
de honte. Il n’est plus nécessaire
d’expliquer pourquoi les organisations
de gauche doivent être
ultra-transparentes, au contraire des
groupes d’extrême droite; ni pourquoi,
en des temps où seule la droite est
violente, c’est la gauche qui se fait
taxer de trahison.
Ce fut l’année qui annonça le début
d’un fascisme israélien désormais dénué
du moindre faux semblant. On ne pouvait
pas en dire autant auparavant. Mais, un
an après l’opération Bordure
protectrice, une année au cours de
laquelle les citoyens ont eu peur de
protester, le fruit a mûri. La bataille
pour le régime a été abandonnée sans
même combattre. L’affaire bat toujours
son plein, mais les résultats sont
connus ; il ne reste plus personne pour
arrêter la descente.
Les Israéliens ont été préoccupés par
un tas de choses, cette année, depuis
l’affaire des bouteilles cautionnées
mettant en cause Sara Netanyahou,
jusqu’au suicide de l’ancien officier
supérieur de la police, Ephraim Bracha.
Des trente articles les plus lus sur le
site Internet de Haaretz
en hébreu, pas un seul n’avait trait à
l’occupation ou aux fissures dans la
démocratie israélienne. C’est autre
chose que la belle histoire récente du
garçonnet juif qui s’en était pris à une
conductrice de bus arabe (« T’as un
couteau ? ») ; pour finir, le gamin
lui avait fait un gros câlin : un
véritable dénouement hollywoodien !
Bel épilogue pour une sale année. Et
la prochaine s’annonce encore pire…
Publié le 31 décembre 2015 sur
Haaretz
Traduction : Jean-Marie Flémal
Gideon Levy
Gideon Levy est
un chroniqueur et membre du comité de
rédaction du journal Haaretz.
Il a rejoint Haaretz en 1982 et
a passé quatre ans comme vice-rédacteur
en chef du journal. Il a obtenu le
prix Euro-Med Journalist en 2008, le
prix Leipzig Freedom en 2001, le prix Israeli
Journalists’ Union en 1997, et le prix
de l’Association of Human Rights in
Israel en 1996. Il est l’auteur du livre
The Punishment of Gaza, qui a
été traduit en français : Gaza,
articles pour Haaretz, 2006-2009,
La Fabrique, 2009
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