Entretien
Paris en colère
Témoignage d’un journaliste interpellé
Françoise Compoint
Photo: AFP
Lundi 27 janvier 2014
En continuation du sujet d’hier
(Jour de colère : sommes-nous en 1788
?), je vous présente le témoignage de
Louis-Benoît Greffe, jeune journaliste
breton travaillant pour Breizh-journal
et Networkvisio.com, arrêté le soir du
27 janvier tout comme deux autres
collègues de la presse indépendante.
Pourquoi ? Manifestement, parce que
faire correctement son travail,
c’est-à-dire le faire de manière
intégrale et impartiale, n’est plus
vraiment à l’honneur dans un monde
médiatique servilement loyaliste.
En effet, un bilan de 300 manifestants
raflés auxquels s’ajoutent de surcroît
trois journalistes envoyés pour une nuit
pleine de plaisirs au commissariat de
l’Evangile, cela fait un peu lourd quand
on sait que le mouvement de protestation
du samedi dernier avait été légalement
organisé et que les véritables fauteurs
de trouble – des nationalistes
ultra-radicaux en écharpes noirs ainsi
que des flics provocateurs infiltrés
parmi les manifestants – se sont
littéralement évaporés en passant, selon
le récit de M. Greffe, « à travers les
failles de la nasse ». Lorsque des gens
désarmés mécontents de la politique
désastreuse menée par Hollande et son
équipe sont arrêtés au motif d’avoir
«participé à un attroupement armé », on
croit plonger dans un scénario mêlant
ridicule et absurde. En tout cas, quels
que soient les termes employés par
l’Intérieur et les CRS, on s’aperçoit
qu’une lame de fond protestataire
éminente et en somme imminente secoue la
France et que, malgré les mesures
coercitives mises en œuvre, celle-ci est
bien loin de s’apaiser. Je vous laisse
le soin d’en juger par vous-mêmes.
La VdlR.
« Vous avez été présent lors de la manif
qui a eu lieu le 27 janvier à Paris. Ce
qui a paru frappant, c’est la composante
archi-hétéroclite des participants. Par
exemple, on a vu des dieudonnistes
côtoyer des Identitaires purs et durs.
Comment expliquez-vous ce rapprochement
entre des mouvances qui
traditionnellement sont assez éloignées
les unes des autres ?
Louis-Benoît
Greffe. Ce rapprochement
s’explique par deux réalités. D’une
part, le Jour de colère a été lancé par
des collectifs qui se sont développés
grâce au net. Ce sont des collectifs
clairement issus de la société civile,
peu quantifiables de façon classique.
Quand vous organisez un évènement
facebook, vous savez qu’entre ce qui y
est dit et ce que vous trouvez sur
place, il y a un écart tellement
important qu’il faut parfois diviser
l’info par mille. Or, dans le cas
présent, ce ne fut pas le cas puisqu’il
y a eu une grande implication des gens,
d’internet jusqu’au terrain même. Mais
il y a autre chose : le Jour de colère a
fait union autour d’un large mouvement
de contestation contre l’actuel
président dans une optique qui consiste
à dire que tous les problèmes viennent
de François Hollande et qui rapproche
des gens aussi divers que les
dieudonnistes ou les Identitaires. Autre
exemple : j’ai vu des mères de famille
au RSA qui en ont marre que la DDASS
leur pique leurs gosses et les place
dans des conditions qui ne sont pas tout
à fait glorieuses. Il y a également des
gens qui veulent quitter la sécurité
sociale parce qu’ils en ont assez de la
voir leur courir après en quémandant de
l’argent (…). Il y avait en outre tout
un tas d’associations, à savoir un
collectif qui lutte contre l’éolien
industriel (…).
La VdlR.
Vous êtes journaliste indépendant. Vous
avez été raflé comme deux autres de vos
collègues, eux aussi journalistes
indépendants. Est-ce que vous avez
l’impression d’avoir été raflé pour rien
?
Louis-Benoît
Greffe. Ah oui,
clairement. C’était réellement une
rafle. Après, tout dépend de ce que l’on
entend par « rien ». La réaction du
pouvoir est à la mesure de ce que les
participants du Jour de colère ont dit :
on va faire une deuxième, une troisième,
une quatrième manif de ce type, autant
qu’il en faut pour qu’Hollande parte.
Parce que les problèmes sont
essentiellement liés à Hollande et par
delà, au gouvernement et au mode de
gouvernement qui règnent actuellement
sur la France, car il s’agit bien d’une
gouvernance autiste qui règne en étant
déconnectée du peuple, fondée sur des
valeurs modernes alors donc que nous
sommes en train de changer d’époque et
que ces valeurs n’ont en pratique aucune
actualité. Très probablement, la rafle
en question n’avait d’autre objectif que
de casser la détermination des
militants. J’ai vu des gens avec moi en
cellules, des Français de Reims, de
Strasbourg, de Lille etc., baisser la
garde. Finalement, se sont-ils dits, ce
n’est pas la peine de faire 24 h, 48 h
de garde à vue pour ça, alors que
c’était bel et bien le but recherché,
c’est-à-dire faire comprendre à ces gens
qui sont jeunes que puisqu’ils ont
choisi de manifester, leur lundi sera
pourri, qu’ils rateront leurs cours,
leur travail, leurs rendez-vous, s’il le
faut on va même leur pourrir leur mardi
!
Il faut en outre noter
qu’une grande partie des gens qui
étaient là au Jour de colère n’étaient
pas là dimanche à la manif pour tous,
cette dernière étant plus catégorielle
car touchant exclusivement les valeurs
familiales, alors donc que les
revendications du samedi dernier sont
plus prégnantes, plus multilatérales,
réalité qui explique le sens de la
rafle. Premièrement, il y avait une
espèce de nasse qui se refermait sur 300
personnes qui en plus n’avaient pas
participé aux débordements, parce que
ceux qui l’ont fait ont en revanche
réussi à fuir (tant les policiers en
civil que des jeunes aux visages
masqués). Je vais vous donner juste un
exemple qui montre combien cette rafle
est idiote : on s’est retrouvés à
l’Evangile avec un touriste slovène qui
était sur la place pour admirer les
Invalides de l’autre côté. Il s’est
retrouvé pris dans la foulée sans
comprendre ce qui arrivait. Il est vrai
que les geôles de l’Evangile sont les
meilleures de France mais enfin,
imaginez un peu ses états d’âme ! ».
Commentaire de
l’auteur. Quand le pouvoir s’en
prend au peuple, c’est qu’il en a peur.
Le recours aux rafles les plus diverses
– celle du samedi est loin d’être la
première – en est une démonstration
éloquente. Seulement voilà : quand le
pouvoir craint ceux qui l’ont élu tout
en continuant à faire fi de son
mécontentement, on se demande s’il reste
légitime.
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Publié le 28 janvier 2014
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