Entre le 6 et le 12 mai 2016, à
l’invitation du secrétaire général du
Saint Sanctuaire de l’imam Husseïn, nous
nous sommes rendus en Irak dans le cadre
d’un voyage professionnel.* Ce voyage
était organisé par le « Centre du média
international », dépendant du Saint
Sanctuaire de l’imam Husseïn, dirigé par
M. Sabah al-Talakani, qui nous a
accompagnés dans la plupart de nos
déplacements.**
Il s’agissait de montrer à des
journalistes européens un aperçu de la
situation en Irak, extrêmement déformée
selon nos hôtes par les médias
occidentaux. Nous sommes demeurés
l’essentiel de notre séjour dans la
partie chiite de l’Irak (Najaf, Koufa,
Kerbala, Hilla), et avons fait deux
incursions vers le nord, à Bagdad, et
dans la ville de Balad, chef-lieu de la
province de Salah-el-Din, où nous avons
pu nous entretenir avec des autorités
locales. A Bagdad nous avons pu nous
entretenir avec deux dignitaires
religieux, les responsables des
waqfs sunnite et chiite, des
institutions collectant les dons des
fidèles pour tout l’Irak.
Dans une veine plus touristique, on a
tenu à nous faire visiter les ruines de
Babylone, un château de Saddam Husseïn,
les ruines d’une église des premiers
temps du christianisme, et la forteresse
d’al-Ukhaidar.
Outre le documentaire en préparation,
il m’a semblé qu’une relation de notre
séjour sous la forme d’un récit de
voyage ne manquerait pas d’intéresser
nombre de lecteurs occidentaux,
spécialistes ou non spécialistes, qui ne
peuvent avoir qu’une mince idée de la
réalité d’un pays en situation de guerre
plus ou moins continue depuis 1980, et
qui a dû, très récemment en juin 2014,
repousser une offensive meurtrière de
grande envergure de l’organisation Etat
Islamique.
C’est également une excellente
occasion de faire découvrir un univers
radicalement différent du nôtre,
empreint d’une religiosité profonde, en
particulier dans la ville sainte de
Kerbala, à côté de laquelle nous étions
hébergés, et où nous nous sommes rendus
presque tous les jours.
Ce récit de voyage est divisé en six
parties, correspondant aux six journées
du séjour.
Voici la première…
Najaf et Kerbala
Par François Belliot*
Le jour est en train de se lever
lorsque nous arrivons vers notre
destination, l’aéroport de Najaf. Le
soleil rayonne au-dessus d’un océan de
nuages qui s’étalent, massifs, jusqu’à
l’horizon. En traversant la couche
nuageuse et en amorçant notre descente,
nous découvrons, au lieu du soleil
annoncé une pluie légère et inhabituelle
en cette période de l’année. Le paysage
est fait d’une grande quantité de
terrains cultivés, irrigués par des
canaux dont nous apercevons peu à peu
les lacis à mesure que nous nous
rapprochons du sol. Nous découvrons des
villages et hameaux, constitués souvent
d’une simple route le long de laquelle
sont bâties des fermes, avec leurs
champs s’étendant en arrière en longues
bandes de terrain parallèles.
L’aéroport Roissy Charles de Gaulle
et celui d’Ataturk d’Istanbul nous
avaient montré l’exemple de ce que sont
les aéroports internationaux modernes :
d’immenses complexes dans lesquels se
croisent des hommes de toutes
nationalités, complexes dont la vocation
première, le transit de passagers,
semble avoir cédé la place à celle de la
galerie commerciale géante, avec ses
myriades de restaurants, de boutiques de
luxe en tous genres, où toutes les
marques les plus connues sont
représentées. Si l’on omet que certaines
marques locales occupent naturellement
le devant de la scène, et sont absentes
ailleurs, ces vastes complexes
présentent des airs de parenté évidents,
que semble confirmer l’apparence des
touristes et voyageurs, dont les tenues
vestimentaires très semblables reflètent
la mondialisation uniformisatrice qui a
tendance à araser les différences. Si
jadis une certaine tenue vestimentaire
permettait de différencier les peuples,
aujourd’hui ce sont les marques, et une
mode répandue à l’échelle mondiale, une
industrie du spectacle mondialisée, qui
semble fixer l’identité des hommes :
l’homme moderne globalisé, au moins dans
son apparence, a pour nationalité
l’ensemble des marques qu’il arbore.
La composition et le faible taux de
remplissage de l’avion devant nous mener
d’Istanbul à Najaf nous donnent une
première idée de la différence profonde
à laquelle nous allons être confrontés.
Le contraste est évident quand on
entre dans la salle d’accueil de
l’aéroport de Najaf. Il est
« international » mais ses dimensions
sont des plus modestes : une salle
d’enregistrement + une salle de
réception des bagages.
Le premier coup d’oeil est
saisissant. Toutes les femmes sont
voilées de la tête au pied couvertes
d’un grand voile noir uniforme ne
présentant aucune variété, nommé
abaya, le visage seul étant
apparent. Les hommes pour certains en
pantalons et chemises, d’autres en
vêtements traditionnels.
Nombre d’entre elles rabattent avec
manie ce voile qui leur recouvre le
visage jusqu’au-dessus du front, alors
qu’il a tendance à glisser en arrière.
S’il n’existe pas, ou peu de tourisme
au sens où nous l’entendons en Europe,
en revanche il existe un intense
« tourisme religieux » : Najaf et
Kerbala, en tant que deux villes parmi
les plus saintes du chiisme, sont de
hauts lieux de pèlerinage pour les êtres
humains se réclamant du chiisme.
On nous apprend que les quelque deux
cents personnes, hommes et femmes qui
patientent avec nous dans la salle
d’enregistrement ne sont pas des gens de
la région mais des Iraniens venus en
pèlerinage.
Nous sommes ainsi confrontés d’emblée
au trait que nous constaterons en
maintes occasions au cours de ce séjour,
et qui fait la caractéristique
distinctive de cette région du monde, et
particulièrement l’axe de 80 km reliant
Najaf et Kerbala : tout ici respire la
religion et la spiritualité, ce que
résumera bien l’un de nos hôtes dans le
chemin nous menant vers Kerbala : « Ici
Dieu est vivant », formule simple
mais que l’on comprend intuitivement en
faisant la comparaison avec une ville
comme Paris, d’où toute expression
religieuse a disparu, si l’on excepte
les nombreuses magnifiques églises et
cathédrales, témoins muets et désertés
d’une époque où la religion catholique
marquait profondément l’existence des
Français.
La route Najaf/Kerbala confirme cette
impression de se trouver sur une autre
planète.
Le long de la route sont tendus, bien
en évidence, des drapeaux verts, noirs,
et rouges, dont on nous explique la
fonction : cette route constitue, à un
certain moment de l’année, le chemin de
pèlerinage emprunté par les chiites qui
viennent dans cette région du monde
commémorer le martyre de l’imam Husseïn
en l’an 61 de l’Hégire (680 ap J.C.). Le
parcours se fait nécessairement à pied
et les pèlerins peuvent éprouver
quelques difficultés en route : ces
drapeaux sont là pour signaler des lieux
dans lesquels ils pourront s’ils le
souhaitent se reposer et se restaurer
gratuitement. Ils signalent par ailleurs
les familles de descendants directs du
prophète Muhammad, les plus fortement
impliqués dans cette pratique
charitable.
Le terre-plein central entre les deux
axes offre un autre spectacle, beaucoup
plus édifiant. Cette route est jalonnée
d’un dispositif de lampadaires espacées
de 50 en 50 mètres. Sur chacun de ces
lampadaires, du début à la fin du
trajet, sans la moindre interruption,
sont accrochées des cadres contenant de
grands portraits de soldats pour la
plupart en treillis militaire et l’arme
au poing. Ils sont chacun associés à un
numéro. Comme nous nous enquerrons de
cette curiosité, on nous apprend que ce
sont des photographies de soldats
irakiens, de la région, engagés
volontaires qui ont été tués au combat
contre Daech. A mesure que nous
progressons l’accumulation de portraits
produit son effet ; jusqu’à ce que nous
arrivions à la fin du trajet et au
numéro 1200, en précisant que le chiffre
de soldats tués doit être multiplié par
deux puisque les panneaux comportent au
recto et au verso deux portraits
différents.
La fonction réelle de ces chiffres
est de marquer des points de rendez-vous
pour les pèlerins, qui peuvent ainsi se
retrouver facilement lors du grand
pèlerinage annuel, mais la combinaison
avec les portraits de soldats martyrs
est saisissante.
A chaque lampadaire est accroché
un portrait de martyr… pendant 80 km
Après avoir découvert le caractère
religieux des lieux, nous découvrons son
second aspect, plus sinistre : l’Irak,
et la région ne fait pas exception, est
un pays en guerre, ce que cette
édifiante galerie de portraits est là
pour rappeler. En outre ces morts sont
pour la plupart plus récentes,
puisqu’elles remontent à la mi 2014,
phase cruciale de l’expansion de
l’organisation EI en Irak et en Syrie.
C’est au prix de ces lourdes pertes, qui
traduisent une volonté véritable de
lutter contre Daech, que l’invasion à
l’époque a été repoussée.
Nous parvenons à une « cité des
visiteurs » : il s’agit d’un complexe
aux vagues allures de camp retranché,
qui comporte une mosquée, un restaurant,
et un ensemble de blocs d’habitation de
deux étages découpés en appartements.
Quatre nous sont attribués. Ils sont
vastes, avec salon, salle de bain,
cuisine, et chambre à coucher ; tout à
fait confortables, ils sont équipés de
deux ventilateurs, d’une climatisation,
d’une télévision, et nous disposons d’un
accès internet.
Après une sieste nous partons, dans
la soirée, à la découverte de la ville
de Kerbala et du mausolée de l’imam
Husseïn, le personnage le plus
fondamental de la religion chiite avec
son père l’imam Ali[1].
La ville est située à 3 km de notre lieu
d’hébergement.
La route que nous empruntons est très
fréquentée, et bordée de nombreuses
boutiques en tous genres vivement
illuminées : vendeurs d’eau,
boulangeries, épiceries, fruitiers,
coiffeurs, barbiers, cafés, magasins de
meubles, de chaussures, de vêtements, de
jouets, bijouteries, fleuristes. N’était
le caractère anarchique de l’urbanisme
et les checkpoints où nous devons
montrer patte blanche, la première
impression à l’approche de Kerbala est
celle d’une ville qui fonctionne
correctement, avec une vie économique
qui s’affiche sans crainte apparente.
Le Saint Sanctuaire de l’Imam Husseïn
(SSIH), quant à lui, fait l’objet de
mesures de sécurité draconiennes. Les
barrages, cassis, et points de contrôle
se multiplient à l’approche du lieu
saint, équivalent pour les chiites de la
basilique Saint-Pierre de Rome. Nous
terminons le chemin à pied, et après
avoir été fouillés une dernière fois,
nous nous retrouvons devant l’entrée du
sanctuaire de Husseïn, et là, après
quelques pas, nous entrons dans un autre
monde, absolument insoupçonnable depuis
les capitales et les campagnes
occidentales.
Les tenues vestimentaires tout
d’abord frappent : les femmes sont
toutes vêtues d’un abaya noir qui les
recouvre de la tête aux pieds, de même
facture que celui que nous avons vu dans
la matinée à l’aéroport de Najaf.
Beaucoup d’hommes de leur côté sont
en tenue traditionnelle, une djellaba
généralement blanche qui descend
jusqu’aux pieds. La plupart sont
chaussés de tongues, certains vont pieds
nus. On croise tout de même de nombreux
hommes habillés à l’occidentale, si l’on
peut appeler ainsi une tenue simple
composée d’un pantalon, d’une ceinture,
et d’une chemise.
Certains hommes arborent une tenue
vestimentaire plus recherchée, il s’agit
des Chaykhs et des Sayyids.
Les chaykhs sont des hommes qui se
sont distingués par leurs connaissances
théologiques, leur éloquence, et leur
capacité à transmettre la tradition. On
les reconnaît à l’imposant turban blanc
qu’ils enroulent autour de leur tête.
Les sayyids sont des descendants directs
du prophète Muhammad, et en vertu de
cette distinction sont autorisés à
arborer le même couvre-chef, noir en ce
qui les concerne. Les personnalités les
plus influentes du chiisme, l’ayatollah
Ali al Sistani, Moqtada al Sadr, et
Hassan Nasrallah, se trouvent dans cette
situation.
Hommes et femmes évoluent dans deux
univers séparés et associés.
A l’intérieur du mausolée, qui est
également une vaste mosquée, une moitié
est réservée aux hommes, l’autre aux
femmes. Les deux sexes y ont accès par
une entrée distincte et y disposent
d’espaces qui leur sont réservés,
quoiqu’ils se croisent dans les
déambulatoires intérieurs.
Outre la splendeur des lieux, une
caractéristique de tous les lieux saints
chiites par lesquels nous passerons, ce
lieu de culte est bondé au point qu’il
est par endroits difficile de se frayer
un passage. On est également saisi par
l’extrême ferveur de tous les fidèles et
pèlerins présents qui font leurs
prières, lisent des corans, déambulent
en procession devant le mausolée de
l’imam Husseïn dont ils vont toucher et
embrasser l’enceinte extérieure.
Nous comprenons plus nettement encore
la phrase : « Ici, Dieu est vivant… ».
Nombre d’hommes et de femmes ont le
visage en larmes, à tout le moins habité
par une affliction sincère et poignante.
Commémorent-ils la mort d’un proche ou
d’un personnage public récent ? Non, ils
sont en deuil de la figure centrale du
chiisme, l’imam Hussëin, assassiné en
même temps que toute sa famille dans des
circonstances atroces, 1300 ans plus
tôt, lors de la « bataille de Kerbala »[2].
C’est cette figure christique
dont ils célèbrent la mémoire et le
martyre qui occupe toutes leurs prières,
et avec une intensité telle qu’on a
l’impression que cet événement tragique
est survenu la veille.
On se prend alors à se demander à
quoi devaient ressembler les cathédrales
autrefois, avant la Révolution Française
de 1789, avant la loi de séparation des
Eglises et de l’État en 1905, avant la
réforme de Vatican 2 de 1962, avant mai
1968. On se prend à se demander si l’on
est plongé dans un univers radicalement
nouveau et étranger, ou si l’on accède,
comme dans un voyage dans le temps, à
notre monde tel qu’il était il y a 250
ans, quand la religion et les rites
catholiques réglaient la vie des
Français.
Nous avions eu, alors que nous nous
trouvions encore dans le véhicule menant
vers le centre de Kerbala, un premier
aperçu de cette piété chiite si
particulière, toute entière tournée vers
la commémoration du martyre de l’imam
Husseïn. Posant une question à notre
interprète, assis trois rangs à gauche
devant moi, je me demande s’il m’a bien
entendu quand nous nous rendons compte
qu’il est en train d’éclater en
sanglots. La seule perspective
d’approcher le lieu sacré enfermant les
restes de celui vers qui se tournent
tant de ses prières a déclenché en lui
cette réaction qui s’est prolongée à
l’abord du mausolée, où il s’est assis
pour fondre en larmes de longues
minutes.
Interloqués au départ, nous avons
vite compris que de telles scènes à
Kerbala, dans les environs et à
l’intérieur du sanctuaire (comme dans
tous les autres lieux saints par
lesquels nous passerons) sont si
communes que personne n’y prête la
moindre attention. Du reste ces accès
d’affliction profonde sont temporaires,
et après quelques minutes notre
interprète éploré reprenait ses esprits
et le fil de nos conversations comme si
de rien n’était.
Nous pénétrons dans le sanctuaire par
un haut portique frangé d’inscriptions
coraniques en blanc sur fond bleu,
chargé de dessins floraux et arabesques
jaunes et bleus. Y est encastrée
l’entrée proprement dite, chapeautée par
une haute voûte brisée tapissée de
moellons en creux, argentés et disposés
comme les cellules d’un nid d’abeilles,
autour d’un dessin circulaire arabesque
complexe de couleur jaune et bleue.
L’un
des dix portiques d’accès au Saint
Sanctuaire de l’imam Husseïn.
C’est le premier aperçu que nous avons
eu de l’édifice.
Après avoir franchi
un large couloir, et nous être
déchaussés comme le veut la coutume,
nous nous trouvons d’emblée dans la
salle principale. La décoration est
abondante et somptueuse. Pas un
centimètre carré du plafond et des
façades intérieures de 20 mètres de
hauteur n’a été oublié ; tout n’est que
dorures, argenteries, matériaux rares.
Tout le sol est recouvert de tapis
moelleux, et de gigantesques lustres
jettent sur tout l’ensemble une vive
lumière. Dans la surcharge la décoration
fait penser à la Galerie des Glaces du
château de Versailles ou à la basilique
Saint-Pierre de Rome.
Vue de l’intérieur du mausolée
Un peu intimidé par la ferveur
religieuse et le flux incessant de
pèlerins complètement habités, je n’ai
pas osé entrer dans le coeur du
bâtiment, où se trouve la tombe de
l’imam Husseïn. A quelques pas, on
perçoit tout de même les nuées de mains
qui caressent frénétiquement, en une
sorte de cohue auto régulée, le grillage
en argent derrière lequel sont
entreposés les restes du Saint. Un flux
incessant de fidèles entrant et sortant
d’un côté à l’autre.
Quand nous sortons du sanctuaire nous
nous retrouvons dans la rue qui fait le
tour complet du bâtiment, qu’il entoure
comme une ceinture vivante, et
nous voilà plongés dans l’atmosphère de
Kerbala. Au pied de toutes les façades
opposées, des échoppes, pour la plupart
minuscules, s’enfilent en série
continue. On trouve en particulier des
restaurateurs chez qui on peut manger
sur le pouce, des vendeurs de jus de
fruits frais, et de nombreuses boutiques
vendant des bagues, des chapelets, des
étendards religieux. Un peu comme à
Lourdes nous nous trouvons, en quelque
sorte, dans une ville « touristique »,
dont les pèlerins, qui viennent par
millions et parfois de fort loin,
veulent emporter un souvenir, qu’ils
trouvent dans les innombrables boutiques
des environs du sanctuaire.
Nous longeons également un bâtiment
qui, vivement décoré et illuminé,
ressemble beaucoup au sanctuaire de
l’imam Husseïn, dans lequel entre et
sort un flux continu de femmes en abaya :
il s’agit du mausolée al-Zaynabia, qui
tire son nom de la sœur de l’imam
Husseïn, Sayeda Zaynab (« la dame Zaynab).
Contrairement aux autres mausolées
chiites, celui-ci ne contient pas ses
restes, mais il aurait été érigé,
symboliquement, à l’endroit-même où, aux
dernières heures de la bataille de
Kerbala, Zaynab, n’entendant plus la
voix de son frère qui allait se faire
égorger, l’appela pour savoir s’il était
encore vivant. Le vrai mausolée de
Sayeda Zaynab se trouve dans l’est de
Damas, ou il a failli en mai 2013 être
détruit par les « rebelles » wahhabites,
copie conforme des soldats de Daech que
les Irakiens combattent depuis juin
2014.
Le mausolée de Sayeda Zaynab,
face à celui de son frère. On distingue
la rangée de ventilateurs qui, lorsque
la chaleur devient insupportable,
fonctionnent en continu tout en faisant
office de brumisateurs
Les emplettes commerciales ne
constituent pas l’objectif principal du
voyage, comme on s’en rend compte en
observant les processions de fidèles ou
les groupes de pèlerins qui s’arrêtent
en groupes, soudain, devant une des
portes du sanctuaire.
La forme de ces groupes et
processions est toujours la même. En
tête se trouve ce que j’appellerais « le
maître de religion », sans doute choisi
pour son érudition religieuse et son
aptitude à psalmodier le Coran et la
Geste d’Ali et de Husseïn. Aidé d’un
micro et d’une enceinte, il récite des
textes religieux qui facilitent la
communion des pèlerins avec l’esprit du
lieu et l’entrée dans l’espèce de transe
d’affliction que j’ai évoquée plus haut.
Au premier rang face à lui, les hommes,
derrière les femmes et les enfants.
Groupe de pèlerins transis par
la psalmodie de la Geste d’Ali et de
Husseïn
Nous avons été saisis
en particulier par une procession de
pèlerins iraniens qui faisaient le tour
du monument en procession, en exprimant
toutes les marques du désespoir le plus
profond, le visage empreint d’un
désespoir poignant, se battant de façon
répétitive la poitrine avec une main.
Dernier détail
marquant, que nous retrouverons dans
tous les lieux de culte chiites par la
suite, dans les environs immédiats du
sanctuaire, sont disposés, pour ceux qui
le souhaitent, quantité de tapis sur
lesquels n’importe qui peut aller
s’asseoir ou s’allonger confortablement,
pour se reposer ou bavarder. Nombreux
ceux qui sont profondément endormis,
comme protégés par l’atmosphère paisible
qui règne en ce lieu. Cela fait penser
au jardin du Luxembourg en été, sauf
que, rigueurs caloriques du climat
obligent, c’est plutôt à la tombée du
jour que toute cette vie se met en
place. Les tapis sont déroulés et
repliés au besoin par les fonctionnaires
du sanctuaire, qui dispensent aux
pèlerins par ailleurs toutes sortes de
services.
Tout
autour du sanctuaire, des tapis sont mis
à la disposition des pèlerins, qui ici
s’y reposent en famille. Vue du parvis
devant l’entrée principale du SSIH.
Derrière commence la galerie du salon du
livre de Kerbala que nous arpenterons
cinq jours plus tard.
Sur les coups de minuit nous
regagnons la cité des visiteurs. Nous
prenons connaissance du programme du
lendemain : une visite de la ville de
Balad au nord de Bagdad, dans la
province de Salah-el-Din, libérée il y a
quelques mois de Daech par des forces
conjointes chiites et sunnites.
François Belliot | 30 juillet
2016
A suivre…
[1] Ali
(600-661), (Abu al-Hassan, Ibn
al-Talib), est le fils d’Abi Talib,
oncle du prophète Muhammad, dont il est
le cousin et le gendre. Il est le
quatrième calife de l’Islam (656-661),
jusqu’à son assassinat par les
kharidjites. Il est considéré par les
chiites comme leur premier imam. Son
fils, Husseïn (626-680) (Abu Muhammad,
Ibn Ali ibn Abi Talib), tué lors de la
bataille de Kerbala avec toute sa
famille, est considéré par les chiites
comme leur troisième imam (son frère
Hassan étantle second). Cet éévénement
dramatique marque la division de l’Islam
en deux branches : le chiisme et le
sunnisme.
[2] « Comme
son nom l’indique, [Kerbala] est la cité
des malheurs (al-kerb) et des épreuves
(al-bala), où eut lieu la célèbre
bataille entre Al-Husseïn ibn-Ali et
l’armée du calife umeyyade Yazid. Elle
fut habitée par les chiites depuis qu’on
y a inhumé l’imam Al-Husseïn (après que
sa tête coupée fut apportée à Yazid à
Damas, on dit, d’ailleurs, qu’elle est
inhumée en Egypte) » (Ali Al-Babakhan,
L’Irak, 1970-1990, déportations des
chiites, p. 35). La « bataille de
Kerbala », le 10 octobre 680, opposa
l’armée du calife Yazid, composée de
30000 hommes à celle d’Al-Husseïn et
certains de ses partisans, composée de
72 hommes. Toute sa famille y fut
massacrée, à l’exception de sa sœur
Zaynab et l’un de ses fils, Ali Zayn al-Abidin,
qui deviendra le quatrième imam du
chiisme.
*Nous étions une équipe de quatre
personnes, deux journalistes, Maria
Poumier et moi, et deux preneurs de vue,
Gérard Lazare, et Smaïn Bedrouni.
*« François Belliot vient de publier
aux éditions SIGEST, le second
volume de ses chroniques sur la
« Guerre en Syrie » sous-titré :
« Quand médias et politiques
instrumentalisent les massacres » :
http://edsigest.blogspot.fr/2016/06/guerre-en-syrie-v2.html »
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