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Irak

Voyage en Irak, mai 2016 [5/6] :
De la forteresse restaurée au mausolée transformé

François Belliot


© François Belliot

Vendredi 2 septembre 2016

Première partieDeuxième partie - Troisième partie - Quatrième partie

Un peu fatigués par la longue et dense journée de la veille, nous prenons la route pour une nouvelle visite archéologique : les restes d’une très ancienne église chrétienne et la ville-forteresse d’al-Ukhaidar, située à 48 km au sud-ouest de Kerbala.

Nous serons guidés dans ces deux visites par le directeur des sites archéologiques de Kerbala, M. Husseïn Yasser, que nous prenons chez lui au passage.

Pour la première fois depuis notre arrivée nous traversons une région de véritable désert. Les seuls signes de vie humaine que nous croisons sont de rares hameaux, disposés autour d’oasis, et de loin en loin, les inévitables points de contrôle gardés et fortifiés où nous devons montrer patte blanche.

L’un de nos interprètes est tout ému de nous montrer le village, que nous apercevons furtivement sur la droite de la route, dans lequel il a passé son enfance. C’est le premier contact que nous avions eu à Paris avec le SSIH (Saint Sanctuaire de l’Imam Husseïn), organisateur de notre voyage, au café le Train Bleu de la gare de Lyon. La famille dont il est issu était autrefois des bédouins nomades dont la principale richesse était le commerce des dromadaires. Elle s’est sédentarisée en ce lieu, sans pouvoir, apparemment, ôter à ses descendants le goût des voyages lointains.

Nous passons une première fois à côté de la forteresse d’al-Ukhaidar, située à 500 mètres à droite de la route, et c’est une première surprise de découvrir cette ville-forteresse d’aspect très imposant et extrêmement bien conservée, à première vue plantée au milieu de nulle part.

Mais nous allons d’abord, dix kilomètres plus loin, découvrir les ruines de l’église. Le site n’est pas visible depuis la route, et nous y accédons après un kilomètre de hors-piste.

N’était l’émotion que l’on ressent forcément en découvrant un site très ancien, témoin des premiers temps du christianisme (on nous indique la date du Vème siècle ap J.C.), surgissant de même au milieu de nulle part, l’aspect du site est des plus énigmatique. Aucun dessin, aucun symbole (pas même une croix), aucune inscription, aucune couleur ne signale l’identité du bâtiment. Seuls le chœur et le chevet encore debout permettent de reconnaître, il est vrai au premier coup d’œil, une église.


Au milieu de nulle part, en plein désert, une église des premiers temps du christianisme

L’archéologue nous fournit quelques explications sur la disposition des lieux à partir des rares indices existants, puis nous nous dirigeons vers une partie attenante au site que l’on nous présente comme une école, là encore à partir d’indices infimes. On nous montre en particulier des blocs de pierre circulaires d’une trentaine de kilos, hauts de quarante centimètres, qui, nous explique-t-on, servaient aux écoliers d’écritoires : preuve en serait la rainure circulaire d’une soixantaine de centimètres qui en creuse le pourtour, dont la couleur très sombre correspondrait à des traces de l’encre utilisée par les apprentis-scribes. Pour nous convaincre, l’un de nos accompagnateurs, bien aidé par ses compagnons, s’accroupit face à l’un de ces blocs et se met à mimer, avec une touillette, puis un stylo, enfin une brindille, l’écolier au travail. Nos hôtes mettent en scène, avec méticulosité et dans la bonne humeur, cette reconstitution qu’ils filment de leur côté.


Est-ce à cela que ressemblaient les écritoires dans les écoles chrétiennes du désert irakien,
il y a 1600 ans ? Peut-être…

La présence des ruines de cette église, près de 800 km à l’est de Jérusalem, et 100 km de Bagdad, nous rappelle que ce sont les peuples d’Orient qui ont été évangélisés en premier, et qu’il fut un temps ou des pays arabes étaient entièrement chrétiens, à l’instar de la Syrie au moment de la conquête ommeyyade en 635 ap JC. Avant l’invasion étasunienne en 2003, on comptait encore 600 000 arabes chrétiens à Bagdad, et 60 000 plus au nord dans la ville de Mossoul. Beaucoup ont fui la guerre et les persécutions, notamment dans la Syrie voisine. Suite à l’invasion de Daech en mi 2014, et les exactions commises en particulier contre eux, mais aussi contre les chiites et les yézidis, cet exode s’est depuis accéléré.

Il est près de midi, la chaleur encore plus insupportable qu’il y a deux jours, et cette fois il n’y a plus de zone ombragée où trouver refuge. Nous ne nous attardons pas et rebroussons chemin pour nous rendre à la ville-forteresse d’al-Ukhaidar.

Le site est gardé par deux hommes d’allure morose. J’essaye de m’imaginer ce que peut être leur quotidien : la constante canicule, la solitude, le silence (il n’y a même pas de mosquée, et donc pas d’appel à la prière), l’ennui : comme le guet assuré par ces innombrables soldats, chargés de garder des points de contrôle toute la journée, cette tâche, sans doute nécessaire, nous semble bien ingrate, et plus encore en un lieu aussi éloigné de toute civilisation.

Comme dans les « ruines » de Babylone deux jours plus tôt, nous sommes absolument les seuls « touristes ».

La ville forteresse d’al-Ukhaidar, inscrite au patrimoine de l’UNESCO depuis le 7 juillet 2000, est située sur une route commerciale importante à l’époque des caravanes, entre les villes de Halab (Syrie) et Bassorah (sud de l’Irak) : c’était une sorte de trait d’union entre le monde méditerranéen et le golfe persique.

La conception architecturale de cette forteresse est unique à la fois dans le monde arabe et dans le monde musulman. Aucune source ni aucune inscription sur le site ne mentionne la date exacte à laquelle cet ensemble monumental fut construit, et aucune investigation archéologique n’a été en mesure d’identifier précisément ses concepteurs et bâtisseurs. Sur le dépliant émanant du département des antiquités irakiennes qui nous a été fourni, on peut lire à ce propos : « Ceux qui prétendent qu’elle a été construite après l’Hégire[2] ne sont pas d’accord sur la date de sa construction, certains avancent qu’elle a été construite pendant la période omeyyade [661-750], d’autres disent qu’elle a été construite au tout début de la période abasside [750-1258] par « Isa bin Musa », le neveu du calife Abasside As-Saffah [le premier calife de la dynastie (750-754)]. Sa construction serait donc postérieure de moins d’un siècle à la bataille de Kerbala, en 680, au cours de laquelle l’imam Husseïn trouva la mort avec presque toute sa famille.

La ville-forteresse a la forme d’un carré de 176 mètres sur 146. Les murailles, hautes de 21 mètres et épaisses de 4,5 mètres, sont jalonnées de 48 tourelles, séparées à mi-hauteur par des couples d’arcs plein-cintre aveugles, au-dessus-desquels on devine, par les 236 meurtrières apparentes et régulièrement espacées, un couloir intérieur qui fait tout le tour de la forteresse.


L’unique porte d’accès de la ville-forteresse semble minuscule encastrée dans l’énorme mur d’enceinte

L’état de conservation quasi-parfaite dans lequel nous trouvons le site, s’explique par un énorme travail de restauration entrepris par les autorités irakiennes en 1975, dont l’ampleur n’est pas sans rappeler le site de Babylone par lequel nous sommes passés deux jours plus tôt (voir jour 3). La comparaison entre des photographies prises avant et après montre que des pans entiers des remparts et des bâtiments intérieurs ont été entièrement reconstruits. Ces ruines, toutefois, en bien meilleur état, donnaient beaucoup plus d’indices aux archéologues qui ont pu atteindre un haut niveau de fidélité dans sa restauration ; raison pour laquelle la forteresse d’al-Ukhaidar, contrairement au site de Babylone, a pu être inscrit sans peine au patrimoine mondial de l’UNESCO, à une époque où Saddam Husseïn était encore le maître de l’Irak.

Nous accédons à la porte principale après avoir marché deux cents mètres, pendant lesquels nous nous imprégnons à pas à pas de l’allure imposante de la forteresse.

La première chose qui nous frappe en entrant est le contraste entre la fournaise extérieure et la fraîcheur intérieure : comme nous le constaterons à maints autres détails, les constructeurs d’al-Ukhaidar ont parfaitement adapté l’édifice aux contraintes du désert.

Après avoir passé par un long sas à vocation défensive, nous pénétrons dans le « grand hall », une salle de 15,5 m sur 9, coiffée d’une voûte cylindrique légèrement en pointe. A l’extrémité sud, une porte voûtée, chapeautée par trois petites fenêtres archées qui laissent passer la lumière, ouvre l’accès à la partie centrale de la forteresse. Sur les côtés ouest et est du grand hall, quatre courtes colonnes massives supportent cinq arches. Le côté ouest est percé d’une entrée menant à une mosquée en plein air, le côté est d’un long couloir en escalier menant à l’étage supérieur.


Le « grand hall »


De longs escaliers permettent d’accéder au niveau supérieur.
Les effets d’ombre et de lumière, comme à Babylone, sont saisissants.

Je ne détaillerai pas plus avant l’ensemble des lieux et l’organisation de la « ville », que nous avons parcourus au pas de course. Nous nous retrouvons bientôt au premier niveau, à une douzaine de mètres de hauteur. De là nous pouvons avoir un coup d’œil d’ensemble sur l’intérieur du site, et ses différents « lieux de vie ».


Vue du site au niveau supérieur, en direction du sud-est.
A gauche, en contrebas, des arches de la cour d’honneur

Nous passons ensuite dans le couloir d’enceinte que nous avions deviné lors de l’approche de la forteresse, que nous trouvons très lumineux, malgré l’étroitesse des meurtrières qui le jalonnent : les bâtisseurs d’al-Ukhaïdar avaient une connaissance intuitive de la diffraction de la lumière, qui lorsqu’elle rencontre une fente d’une largeur définie, s’écarte en éventail : pénétrant à travers les étroites meurtrières, la lumière se projette sur toute la surface du mur, illuminant ainsi vivement tout le couloir.


Le couloir d’enceinte est vivement illuminé par la lumière qui se disperse en éventail
après avoir traversé les meurtrières

Ce n’est qu’après une demi-heure de progression que nous parvenons aux étages les plus élevés de la forteresse, en même temps que sur ses murailles, d’où nous avons une vue imprenable sur des kilomètres de désert, sauf en un point qui nous fait comprendre pourquoi un édifice aussi imposant a été construit dans un tel lieu : des reflets ondoyants et des tâches vertes signalent une rivière qui affleure sur quelques centaines de mètres.


Une vue d’ensemble de la forteresse depuis le sommet des remparts, depuis l’angle nord-est


A proximité de la forteresse, une oasis, source de vie

Nous comprenons du même coup le pourquoi de la construction de l’église 10 km plus à l’ouest, « au milieu de nulle part » : dans ces contrées arides rien ne peut être laissé au hasard ; 1500 ans plus tôt l’église et ses dépendances, d’une façon ou d’une autre, devaient bénéficier d’un accès aisé à ce point d’eau.


Vue du site au niveau 2, du même point de vue que celui de la photo pénultième

Nous demeurons une dizaine de minutes au sommet des remparts, où tous les membres de notre équipe multiplient les selfies pour immortaliser l’instant, puis nous redescendons et prenons le chemin du retour, non sans avoir auparavant allégé une glacière de force canettes de sodas et de bouteilles d’eau fraîche.

Le trajet se passe de nouveau sans encombre, et au bout d’une heure, nous sommes de retour à la « cité des visiteurs » de Kerbala. Nous faisons relâche le restant de l’après-midi, avant de nous rendre pour la dernière fois à Kerbala, où nous allons assister à une sorte de « meeting religieux » à l’intérieur du SSIH, et faire un crochet par le Salon du Livre annuel de Kerbala, qui déploie ses stands sur l’esplanade entre les deux sanctuaires.

En arrivant, nous nous rendons directement à l’intérieur du SSIH.

Dans le corridor d’entrée, nous avons l’agréable surprise de croiser un professeur de français de Kerbala. Il aurait dû nous accompagner depuis le début du séjour, mais nous sommes arrivés en pleine période d’examens, qui requièrent de lui une présence assidue dans son école. Il sera des nôtres pour le restant de la soirée.

La première fois que nous avions visité le mausolée, quatre jours plus tôt, il avait les apparences d’un lieu de culte, sans autre particularité notable. Nous découvrons les lieux transformés. A une extrémité de la vaste salle d’enceinte, une estrade avec pupitre et micro a été installée, où les orateurs se succèdent devant une quarantaine de micros en rangs serrés. Au-dessous du pupitre, une large mosaïque, composée de milliers de fleurs fraîches, sur laquelle est « écrite » une phrase en arabe, donnant sur un vaste espace carré de 20 mètres sur 20, dégagé et recouvert d’un damier de tapis, autour duquel sont assis, sur deux rangées, des sayyids et des chaykhs, avec leurs turbans noirs et blancs reconnaissables. Dans l’axe des orateurs, derrière cette première rangée, des centaines de sièges ont été disposés, en deux longs blocs séparés par une allée centrale, un peu comme dans une église ; les hommes d’un côté et les femmes de l’autre. Des dizaines de caméras de télévision, réparties un peu partout, filment l’événement. Une caméra panoramique, au bout de son long bras articulé, se déplace en tous sens, prenant parfois de la hauteur. Dans des coins de la salle d’enceinte improvisés en studios, des présentateurs télé rendent compte de l’événement. En plusieurs endroits de la façade intérieure, des écrans géants retransmettent en direct les gros plans sur les orateurs et les prises de la caméra panoramique, et des enceintes disposées tous les cinq mètres rendent audibles à tous leurs discours. Des ventilateurs brumisateurs, à côté d’extincteurs, fonctionnent en continu pour rafraîchir la foule. Dans l’autre moitié de la salle, qui n’a pas été modifiée, des hommes assis en tailleur discutent par petits groupes, certains prient, parfois en larmes, d’autres lisent des corans enluminés : nous sommes frappés par ce mélange de tradition et de modernité.


Nous découvrons les lieux transformés. A une extrémité de la vaste salle d’enceinte,
une estrade avec pupitre et micro a été installée…


…où les orateurs se succèdent devant une quarantaine de micros en rangs serrés.

En même temps que les uns, à gauche de l’entrée principale, assistent à la cérémonie d’ouverture du festival, et les autres, à droite, vaquent aux occupations ordinaires du lieu, c’est un flux incessant de fidèles dans la salle centrale, où repose le sarcophage de l’imam Husseïn. Comme nous l’avons observé le jour de notre arrivée, les fidèles se pressent, en une dense cohue auto réglée, autour de l’enceinte grillagée en argent qui en constitue le parement extérieur. Les mains empoignent ou caressent le grillage, les bouches l’embrassent, de petits enfants hissés à bout de bras par leur père sont mis en contact avec la dernière demeure du Saint. Dans le déambulatoire qui l’entoure, je croise un groupe de jeunes gens transportant, avec toutes les marques de l’affliction la plus vive, un cercueil vide symbolisant la dépouille de l’imam Husseïn.


Les mains empoignent ou caressent le grillage, les bouches l’embrassent,
de petits enfants hissés à bout de bras par leur père sont mis en contact avec la dernière demeure du Saint.

Nous sommes en train d’assister, nous explique-t-on, à la cérémonie d’ouverture (11 mai 2016) du douzième « Festival Culturel International », dont la date coïncide avec l’anniversaire de la naissance de l’imam Husseïn. On l’appelle ici Rabi’a al Chahada. Les personnalités assises au premier rang de l’assistance sont pour l’essentiel des personnalités religieuses non irakiennes qui se sont spécialement déplacées pour l’occasion. En l’occurrence les discours que nous avons entendus (et compris seulement par la suite) traitaient de l’anniversaire de l’imam Husseïn, de sa vie, et de sa personnalité. Le discours inaugural a été prononcé par le directeur du waqf chiite, Saïd al-Moussaoui, avec qui nous nous sommes entretenus la veille[3] dans ses locaux à Bagdad. Ont pris la parole ensuite les deux responsables du sanctuaire, puis un poème a été récité.

La phrase écrite dans la mosaïque florale en bas de l’estrade signifie : « la naissance des navires du salut ». Il s’agit d’une expression familière pour indiquer que les imams d’Ahlulbayt (les 12 imams du chiisme duodécimain+ Fatimah femme de Ali, le premier imam de la lignée) peuvent être considérés par les fidèles comme des navires providentiels dans un océan déchaîné, sur le pont desquels ils peuvent se hisser pour trouver leur salut[4].

Les micros et les caméras appartiennent à des chaînes de télévision irakiennes et de tout le monde chiite : 44 pays participent en effet à l’événement et la plupart de l’assistance est composée de non-Irakiens.


Gros plan sur la mosaïque florale en bas de l’estrade.

Cet événement coïncide avec le commencement du mois de chaaban. Le professeur de français nous explique que c’est le seul mois de l’année qui ne comprend aucune cérémonie religieuse empreinte de tristesse. L’atmosphère est donc particulièrement festive et détendue, ce que nous constatons en effet quand nous sortons de l’enceinte du SSIH. La coutume en cette occasion est d’offrir des cadeaux à tout venant. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises, des adultes et des enfants inconnus, lors de notre promenade dans les environs du sanctuaire, viendront spontanément nous offrir des sucreries, avec des regards emplis de l’amour du prochain.


Une des entrées du salon du livre de Kerbala, du côté du sancuritaire de l’imam Husseïn


Un stand de l’un des 180 exposants du salon du livre de Kerbala

Après avoir passé une bonne heure à l’intérieur du sanctuaire, nous en sortons pour partir à la découverte du « Salon du Livre de Kerbala ».

Le « salon du livre de Kerbala » s’étend sur toute la longueur de l’esplanade entre les deux mausolées (le mausolée de Husseïn et le mausolée abasside) : il consiste en une longue galerie couverte, le long de laquelle sont disposés les stands des 180 exposants qui ont reçu une accréditation âprement disputée[5]. Inauguré une semaine auparavant, le 5 mai, ce salon est organisé par les deux Sanctuaires (abasside et husseïnite), dans le cadre de Rabi’a al Chahada. Outre l’Irak, 13 pays participent à l’événement : Liban, Egypte, Jordanie, Emirats-Arabes-Unis, Syrie, Maroc, Koweït, Arabie Saoudite, Iran, Grande-Bretagne, Espagne, Canada, Italie. Les livres exposés relèvent des domaines les plus variés : sciences, culture, religion, informatique. Seule limitation, dixit le directeur du salon M. Seyed Mouyassar Al-Hakim : « des dispositions sont prises pour interdire l’exposition des livres qui touchent la souveraineté de l’Irak, suscitent le sectarisme, attaquent les icônes religieuses, ou traitent des aspects immoraux ».

La guerre contre Daech qui se déroule en toile de fond donne fatalement une coloration particulière à certaines parties du salon : c’est l’occasion de montrer aux visiteurs les faits d’armes de l’armée irakienne, plusieurs stands tenus par des militaires en treillis montrant sur grand écran des soldats en action ou fêtant des victoires. Nous sommes en particulier étonnés de découvrir un stand sur lequel sont exhibés, à des fins de dénonciation, tout l’attirail du parfait kamikaze, avec des ceintures d’explosifs, des télécommandes de déclenchement à distance, des boutons pour déclenchement manuel, et des détonateurs.


La panoplie du parfait kamikaze

La seule publication en français exposée et disponible à la vente est un ouvrage dont tout le monde a entendu parler en Europe, mais que personne n’a jamais lu. Il s’agit des célébrissimes Protocoles des Sages de Sion. Longtemps interdits en France et régulièrement invoqués comme l’abomination suprême dans les grands médias, ici ils ne suscitent pas la moindre polémique. Cela nous confirme que l’univers dans lequel nous évoluons depuis le début de notre séjour, à d’innombrables niveaux, est comme un univers inversé de la France et des « valeurs de la République ».

Dans l’allée centrale du Salon du Livre, nous questionnons le professeur de français sur son parcours et l’état de l’enseignement de la langue française en Irak : « L’enseignement du français est une tradition ancienne en Irak. Cela remonte à plus de quarante ans. Dans les années 80, a été fondée la faculté des langues à l’université de Bagdad, pour développer l’apprentissage de deux/trois langues étrangères, parmi lesquelles le français. La coopération à l’époque était si étroite entre l’Irak et la France que des stages de formation de six mois ont été mis en place pour permettre à des étudiants irakiens de maîtriser le français dans différents domaines. La situation s’est malheureusement dégradée en 2003 [date de l’invasion étasunienne]. A partir de là, nous avons commencé à manquer de professeurs compétents et d’étudiants de qualité : beaucoup de nos diplômés n’étaient même pas capables d’enseigner le français correctement. Encore aujourd’hui, 90 % d’entre eux ne sont même pas capables de construire un exposé cohérent de 100 mots, ou de s’exprimer à l’oral en continu pendant 3 minutes. » Concernant son parcours et sa situation actuelle : « J’ai appris le français à l’université de Bagdad, faculté de langues, département de langue française [il est âgé de 36 ans], j’enseigne le français depuis 8 ans dans le quartier d’Al Jamaya [à Kerbala]. Notre école s’appelle Al Thura [traduction : Les Cimes]. J’enseigne dans ce qui serait l’équivalent chez vous du lycée. Je n’ai pas plus de 40 étudiants par classe. Après cela peut descendre à 25 en fonction de la disponibilité des salles. Il y a au total 15 professeurs de français dans la ville de Kerbala. Dans l’établissement où j’enseigne nous sommes deux. Dans mes classes j’ai des adolescents de 13 à 18 ans. J’ai rarement l’occasion d’échanger en français. » Il nous rapporte, plus généralement, le désarroi des professeurs de français irakiens qui rêvent de pouvoir redonner aux lettres françaises en Irak leur lustre d’antan.

Nous terminons cette ultime journée kerbalaienne par une promenade sur l’esplanade entre les deux mausolées, si bondée que l’on ne peut s’y déplacer qu’avec lenteur. Dernière curiosité qui attire notre attention : un concours de poésie qui s’y déroule en plein air : sur une estrade, un poète muni d’un micro psalmodie un poème, dont une foule jeune et enthousiaste reprend en cœur les mots-clés à la rime et les refrains.


Concours de poésie en plein air, sur l’esplanade entre les deux mausolées.
Tout à gauche, sur une estrade, le poète muni d’un micro en train d’enflammer la foule
qui reprend en cœur les mots à la rime.


L’esplanade entre les deux sanctuaires est bondée.

Le lendemain, pour la dernière journée de notre séjour, nous nous rendrons dans la ville de Najaf, par laquelle nous étions arrivés le premier jour, pour y visiter une des plus anciennes traces de présence juive en Irak. Ensuite nous irons visiter le mausolée d’Ali, premier imam du chiisme duodécimain, et père des premier et deuxième imams, Hassan et Husseïn. Dans la soirée nous irons visiter un camp de réfugiés.

François Belliot le 31 août 2016

[1] François Belliot vient de publier aux éditions SIGEST, le second volume de ses chroniques sur la « Guerre en Syrie » sous-titré : « Quand médias et politiques instrumentalisent les massacres » : http://edsigest.blogspot.fr/2016/06/guerre-en-syrie-v2.html

[2] Le mot « Hégire » (Hijra en arabe : هجرة) désigne le moment ou Muhammad s’enfuit à Medine avec ses partisans. Evénement majeur puisque c’est en cette occasion qu’il passe d’un mode de société tribal, fondé sur les liens du sang, à à un mode de société universelle fondé sur une communauté de croyance. Le calendrier arabe commence à cette date.

[3] L’intégralité de cet entretien est consultable sur ce lien : http://observatoire-terrorisme.com/entretien-avec-le-waqf-chiite-de-bagdad-said-al-moussaoui-le-9-mai-2016/

[4] L’expression Ahl-ul-Bayt, littéralement « la famille de la maison », désigne les gens de la famille du prophète Muhammad, dont l’étendue peut varier selon la branche de l’Islam considérée. Dans le chiisme duodécimain, sont considérés comme faisant partie de Ahlulbayt : Ali (cousin et gendre de Muhammad , premier imam des chiites), Fatimah (la fille de Muhammad et l’épouse d’Ali), les fils d’Ali Hassan et Husseïn (deuxième et troisième imams, ainsi que les neufs imams suivants qui descendent en ligne directe de Ali). Dans le sunnisme Ahl-ul-bayt désigne un ensemble beaucoup plus vaste de personnes, incluant par exemple, toutes les autres épouses de Muhammad et leurs enfants et descendants, ainsi que certains de ses compagnons les plus proches qui se sont convertis à l’Islam.

[5] Je renvoie à un article de présentation du « média international » du « saint sanctuaire husseïnite » du 05/08/2016 intitulé « l’ouverture de la foire internationale du livre à Karbala » (auteur : Cheykhouna N’Diaye. On y lit la déclaration suivante du directeur de la foire, M. Seyed Mouyassar Al-Hakim : « En fait, nous avons reçu plus de 300 demandes de participations de la part des maisons d’édition, et nous en avons accepté plus de 180 d’une manière sélective (académique, universités, centres de recherche, centres des études, maisons édition des enfants, des institutions de la production audiovisuelle, maisons d’édition et de publication. Les Saints Sanctuaires en Irak et à l’extérieur participent à la foire également, de même que les Agences respectivement chargées des Affaires des Chiites et des Sunnites. »

A suivre…

 

Belliot

*« François Belliot vient de publier aux éditions SIGEST, le second volume de ses chroniques sur la « Guerre en Syrie » sous-titré : « Quand médias et politiques instrumentalisent les massacres » : http://edsigest.blogspot.fr/2016/06/guerre-en-syrie-v2.html »

 

 

   

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Source: Arrêt sur Info
http://arretsurinfo.ch/...

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