Politique
Haute trahison ou crétinerie ?
Le sabotage de la présence française en
Iran
François Asselineau & François-Xavier
Grison
Samedi 16 novembre 2013
En avril 2012, Peugeot s’est retiré
du marché iranien sous la pression de
son nouvel actionnaire General Motors et
de United against
nuclear Iran, un organisme piloté
par les services secrets américains,
britanniques, allemands et
israéliens[1]. Le constructeur au lion a
ainsi perdu un marché à l’export
rentable et en croissance qui aurait pu
l’aider à surmonter la conjoncture
européenne déprimée.
Le 26 juillet 2013, Carlos Tavares,
directeur général délégué de Renault,
annonçait que « le
Président Obama a donné l’ordre de
cesser l’activité en Iran »[2]. En
cause, le renforcement des sanctions de
Washington à l’égard de l’Iran et la
menace de rétorsion contre Nissan sur le
marché américain en cas de poursuite des
affaires iraniennes de Renault.
1) Le
retrait de Peugeot et de Renault
d’Iran, sur ordre des États-Unis et
sans contestation du gouvernement
français, est une nouvelle
manifestation de la soumission de la
France aux diktats américains.
1.1.-
L’abandon de l’industrie française
Le gouvernement français n’a pas
contesté le renforcement des sanctions
contre l’Iran décidées unilatéralement
par Washington, en dehors de tout cadre
légal international. Que le directeur
général délégué de Renault note, non
sans ironie et sans amertume, qu’il
reçoit ses ordres du Président américain
en dit long sur le renoncement des
autorités françaises à défendre les
intérêts et les emplois de l’industrie
tricolore.
L’abandon forcé du marché iranien par
les constructeurs automobiles français
est d’autant plus tragique :
- qu’il clôt une
présence vieille de 34 ans, établie
en 1978 lorsque Peugeot avait
racheté les actifs de Chrysler
Europe[3], et qui avait survécu à
l’avènement du régime islamique en
1979. Cette implantation historique
avait permis aux marques de PSA de
conquérir 30% du marché iranien[4].
Les firmes automobiles américaines
sont, pour leur part, absentes
d’Iran ;
- qu’il accentue
l’effondrement du commerce extérieur
français déjà très déficitaire[5].
Peugeot a exporté des pièces
détachées pour 450.000 véhicules en
Iran en 2011[6] et Renault pour
100.000 en 2012[7] ;
- qu’il contribue
à la destruction de l’emploi
automobile en France, déjà très
affecté par la baisse des ventes en
Europe[8].
Cette nouvelle marque de servilité à
l’égard de Washington est intervenu
quelques semaines seulement après que la
France eut refusé l’asile à Edward
Snowden, fermé son espace aérien sans
raison au Président bolivien Evo
Morales, et renoncé à toute action
contre les entreprises suspectées de
surveiller la population française pour
le compte des services de renseignement
américains.
En parallèle de cette servilité, les
signes de plus en plus préoccupants du
basculement des États-Unis dans un
régime dictatorial se multiplient. Ils
justifieraient qu’une puissance comme la
France dise « leur fait » aux Américains
au lieu de se confondre avec eux.
1.2 – Une
agressivité croissante de la France à
l’égard de l’Iran sur commande de
Washington
Les responsables politiques de droite
et de gauche n’ont cessé, depuis
l’élection de Nicolas Sarkozy, de
préparer les esprits à l’idée d’une
guerre avec l’Iran, suivant la voie
tracée par le gouvernement américain.
L’objectif a été de convaincre l’opinion
publique qu’il existe une « crise
iranienne » aiguë, et que tous les
moyens pacifiques de la résoudre
seraient épuisés.
- Nicolas Sarkozy
s’était ainsi employé à imiter la
rhétorique belliciste bushienne à
l’égard de l’Iran, peu après son
élection, lors de la conférence
annuelle des ambassadeurs de France
le 27 août 2007 en déclarant :
« Tout doit
être mis en œuvre pour convaincre
Téhéran de privilégier la
coopération sur l’isolement et sur
la confrontation. Personne n’a de
meilleure stratégie à proposer et,
si nous devions échouer, chacun
connaît l’alternative catastrophique
devant laquelle le monde serait
placé : la bombe iranienne ou le
bombardement de l’Iran ».
- Hubert Védrine
donnait crédit aux propos de Nicolas
Sarkozy dans un article du 28
septembre 2007 sur Télos[9] :
« ce qui est
établi c’est la volonté de l’Iran de
mener son programme nucléaire
au-delà de ce que lui autorise le
Traité de non-prolifération […] Dans
ce contexte, la phrase du président
Sarkozy, le 27 août 2007 devant les
ambassadeurs, est difficilement
contestable : « échapper à une
alternative catastrophique : la
bombe iranienne ou le bombardement
de l’Iran » ».
- Martial, Bernard
Kouchner avait indiqué lors d’une
interview télévisée le 16 septembre
2007 au sujet de l’Iran :
« il faut se
préparer au pire »,
« le pire, c’est
la guerre » et
« on se prépare
en essayant d’abord de mettre des
plans au point qui sont l’apanage
des états-majors »[10].
- Nullement en
reste, Michèle Alliot-Marie, sa
remplaçante au Quai d’Orsay,
affirmait le 12 décembre 2010 que
« la France
n’accepte pas que l’Iran
déstabilise » le Moyen-Orient et
le monde[11], et n’hésitait pas à
menacer l’Iran d’une escalade de
tensions : « si
les responsables iraniens ne lèvent
pas le doute sur leurs intentions,
toutes les sanctions d’ordre
économique devront être envisagées ».
- Alain Juppé,
pour sa part, précisait le 7 mars
2012 à l’AFP[12] :
-
« je suis un peu
sceptique parce que quand vous
regardez la farce qu’ont constituée
les élections en Iran, le succès de
ce qu’on appelle les conservateurs,
on finit par considérer (que le
président Mahmoud) Ahmadinejad est
un modéré ou un libéral » ;
-
« je crois que
l’Iran continue à tenir un double
langage, c’est la raison pour
laquelle il faut que nous restions
extrêmement fermes sur les sanctions
que nous avons prises, qui sont de
mon point de vue la meilleure
manière d’éviter une option
militaire qui pourrait avoir des
conséquences incalculables ».
Dans une tribune en date du 18 juin
2011[13], il appelait, à nouveau, à
durcir le ton envers l’Iran, au nom de
la démocratie et des droits de l’Homme
cette fois-ci, ne consacrant qu’une
petite ligne à la question du nucléaire
iranien. Il écrivait notamment :
-
« N’oublions pas
l’Iran, où les autorités iraniennes
refusent à leur population le droit
de manifester pacifiquement » ;
-
« Depuis deux
ans, la situation des droits de
l’homme ne cesse de s’y dégrader,
comme en témoigne la multiplication
des informations qui nous
parviennent sur les arrestations à
grande échelle, les mauvais
traitements et les tortures subis
par les détenus, le caractère
arbitraire des peines prononcées et
la multiplication des exécutions
capitales qui s’élèvent déjà à plus
de trois cents depuis le début de
l’année. » ;
-
« Le déni des
aspirations de la population
iranienne, et la poursuite d’un
programme nucléaire, sans objectif
civil crédible et en violation de la
légalité internationale, conduisent
à voir l’Iran mise au ban de la
communauté des nations. »
- Jean-Luc
Mélenchon[14] légitimait, quant à
lui, une frappe préventive contre
l’Iran sur France inter le 12
février 2012 :
« c’est la première fois qu’on voit
un pays dire : « si on a une bombe,
on ira taper sur Israël ». Personne
ne peut accepter une chose pareille,
que sur le plan international,
quelqu’un décide qu’il va détruire,
et à coup de bombes atomiques, son
voisin […] Moi j’ai pas peur de le
dire : un régime théocratique est
toujours un danger pour le reste de
l’humanité »[15].
Sur
France Inter le 12 février 2012,
Jean-Luc Mélenchon légitime toutes les
interventions militaires de Washington :
contre la Lybie, contre la Syrie et
contre l’Iran…
- Laurent Fabius lançait dans un
entretien au Monde le 9 mai
2013 que le nucléaire iranien
constituait « la plus grande
menace actuelle contre la paix »[16].
- François Hollande affirmait le 2
juin 2013 qu’« empêcher l’Iran
d’accéder à l’arme nucléaire »
relevait d’une « nécessité
urgente, impérieuse » et que
« c’est l’Europe qui se trouverait
éventuellement visée par la
détention de cette arme »[17],
suggérant que l’Iran pourrait
projeter de… bombarder la France
avec une arme nucléaire !
2) La
France n’a pas de raison objective
d’adopter une position agressive
vis-à-vis de l’Iran.
2.1 – Des arguments
empreints d’« un deux poids deux
mesures »
Qu’a donc fait l’Iran pour mériter la
vindicte unanime des dirigeants
français ?
Deux arguments sont utilisés par ces
derniers :
- Le premier argument consiste
à fustiger le régime politique
iranien,
Le régime iranien n’est sans doute
pas attrayant, mais il n’est pas le
seul, sur la surface du globe, à
restreindre les libertés individuelles
et l’expression démocratique, à exercer
une surveillance sur sa population, à
brider la liberté religieuse ou à
employer des méthodes de police
musclées. En effet :
- Le royaume d’Arabie saoudite est
une monarchie absolue où règne
l’arbitraire. Les principes de la
Déclaration universelle des droits
de l’homme de 1948 y sont
constamment bafoués, notamment la
liberté d’expression, l’égalité
entre les sexes et la liberté
religieuse.Toute manifestation ou
culte d’une autre religion que
l’Islam est interdit sous peine
d’apostasie, passible de la peine de
mort, ce qui est loin d’être le cas
en Iran où, par exemple, vit une
communauté juive depuis vingt-six
siècles. Le Deuxième livre des
Rois situe, en effet, en 622
avant J.C. l’exil de la minorité
juive de Babylone vers l’empire mède
par le roi Assurbanipal.
- Le royaume de Bahreïn, qui est
une dictature familiale de même
nature que l’Arabie saoudite, a
écrasé dans le sang un mouvement de
contestation de grande ampleur en
2011 et 2012. En février 2012, le
roi Hamad ben Issa Al Khalifa a
répondu aux manifestants par la
proclamation de la loi martiale et
une répression féroce. On estime que
plus de 80 manifestants sont morts,
soit au cours de heurts
avec la police, soit sous la torture
après leur arrestation, et
que le nombre d’arrestations a
atteint les 3.000, nombres
considérables pour un petit pays de
1,2 million d’habitants.[18]
Cette répression n’a pas suscité la
moindre réaction de la prétendue «
communauté internationale » –
comprendre : les États-Unis et
leurs vassaux européens.
Il est frappant de constater le
« deux poids deux mesures » avec lequel
sont traitées, dans les médias et par la
classe dirigeante française, les
situations politiques en Iran et dans
les deux pays cités ci-dessus. Il est
vrai que ces derniers, à la différence
de l’Iran, sont totalement soumis aux
intérêts américains, le royaume du
Bahreïn étant d’ailleurs le siège de la
Ve Flotte américaine dans le Golfe
persique.
De plus, les pays occidentaux
devraient considérer leurs propres
insuffisances avant de s’intéresser à
celles d’autrui. En effet :
- L’Union européenne dirigée par
une oligarchie qui méprise les
peuples et des institutions non
élues et illégitimes rejetées par
plusieurs référendums, bafoue les
principes élémentaires de la
démocratie ;
- L’état de droit connaît des
régressions majeures aux États-Unis,
comme en attestent les mesures
d’exception prises dans le cadre du
Patriot Act, les détentions
extrajudiciaires à Guantanamo et
dans les prisons secrètes de la CIA,
la torture en Irak et en
Afghanistan, les exécutions
sommaires au travers des drones
décidées par Barack Obama ou bien
encore le programme de surveillance
planétaire PRISM.
En outre, plusieurs observateurs
étrangers sérieux estimaient que, malgré
les violences meurtrières et les
manipulations électorales avérées,
Mahmoud Ahmadinejad avait probablement
gagné l’élection présidentielle du 12
juin 2009 :
- Les deux observateurs du
Washington Post situés en Iran,
Ken Ballen et Patrick Doherty,
estimaient dès le 15 juin 2009 que
« le résultat des élections en
Iran est peut-être le reflet de la
volonté du peuple iranien »
parce que le sondage qu’ils avaient
réalisé eux-mêmes trois semaines
avant les élections montrait que
Mahmoud Ahmadinejad « menait par
une marge de deux contre un, plus
que celle sortie des urnes »[19].
Ils soulignaient en particulier le
poids du vote favorable à Mahmoud
Ahmadinejad à l’extérieur des
grandes villes ;
- L’ancien agent de la CIA affecté
au Moyen-Orient, Robert Baer,
chroniqueur au Time, écrivait
dans un article paru le 16 juin
2009[20] :« Depuis de trop
nombreuses années, les médias
occidentaux regardent l’Iran par le
prisme étroit de la classe moyenne
iranienne libérale, une
intelligentsia acquise à internet et
à la musique américaine, qui parle
plus volontiers à la presse
occidentale, suffisamment riche pour
se payer des tickets pour Paris ou
Los Angeles » ;« Nous devons
considérer sérieusement la
possibilité qu’il y ait eu un
engouement pour une ligne
autoritaire, un mandat électoral
pour Ahmadinejad et ses
politiques. »
Les médias français ont occulté la
popularité bien réelle de Mahmoud
Ahmadinejad dans son pays à l’occasion
de cette élection, comme ils ont occulté
celle de Vladimir Poutine lors de
l’élection présidentielle russe de mars
2012, préférant se concentrer sur les
violences. Il est vrai que la France ne
sait plus ce qu’est un dirigeant
populaire, alors qu’elle connaît de
mieux en mieux les violences civiles.
- Le deuxième argument consiste
à affirmer que l’Iran souhaite non
seulement se doter de l’arme
atomique mais compte en plus s’en
servir.
Or l’Iran a indiqué à plusieurs
reprises depuis 2007 que son programme
nucléaire était à visée exclusivement
civile. Mais encore :
- l’Agence internationale pour
l’énergie atomique (AIEA), qui
conduit les inspections sur les
sites nucléaires iraniens, n’a pas
trouvé de preuves formelles que
l’Iran construirait une bombe
atomique, l’enrichissement de
matière radioactive, poursuivi par
l’Iran, ne constituant pas une
preuve suffisante ;
- la communauté des renseignements
américaine[21], qui rassemble 17
agences de renseignement aux
États-Unis et qui est probablement
mieux informée encore que l’AIEA, a
affirmé à plusieurs reprises, depuis
le rapport National Intelligence
Estimate de novembre 2007[22]
que l’Iran a stoppé un programme
nucléaire à visée militaire en 2003
et ne l’a pas réactivé depuis.Un
article du 24 février 2012 du New
York Times, rappelait que
plusieurs responsables américains
avaient publiquement repris ces
constats, David Petraeus, alors
directeur général de la CIA et Leon
Panetta, Secrétaire d’État à la
Défense[23], lui même ancien
directeur général de la CIA de 2009
à 2011. Ce dernier avait estimé lors
d’une interview sur CBS[24] le 8
janvier 2012[25] que l’Iran
« n’est pas en train de fabriquer la
bombe atomique ».
James Clapper, directeur du
renseignement américain, a présenté
au Sénat le 12 mars 2013 un rapport
sur l’état des menaces mondiales
dans lequel il est écrit[26] :« Nous
estimons que l’Iran est en train de
développer une capacité nucléaire
pour renforcer sa sécurité, son
prestige et son influence régionale,
et se donner la possibilité de
développer des armes nucléaires dans
le cas où une décision en ce sens
serait prise. Nous ne savons pas si
l’Iran décidera finalement de
construire des armes
nucléaires. »« Nous estimons que
l’Iran ne pourrait pas […] produire
une bombe nucléaire avant que cette
activité ne soit découverte. »
- François Nicoullaud, ambassadeur
de France à Téhéran de 2001 à 2005,
indiquait :
- à l’AFP et dans une tribune
publiée par l’Internaltional
Herald Tribune le 27 juillet
2013[27] qu’Hassan Rohani, élu
Président de la République
islamique d’Iran le 14 juin
2013, démocratiquement selon
toute vraisemblance et sans
violence, est la personne qui a
arrêté le programme clandestin
de fabrication d’une arme
nucléaire fin 2003, porté par
les pasdarans, puissants
« gardiens de la Révolution » ;
- dans un billet du 19 juin
2013 sur son blogue[28] que
Hassan Rohani a convaincu en
2003 le guide suprême Ali
Khamenei d’interrompre le
programme nucléaire militaire
« parce que l’ennemi principal
de l’Iran, Saddam Hussein, était
éliminé et que l’on savait enfin
qu’il n’y avait pas de programme
irakien d’armes de destruction
massive » ;
- dans un article du 10 mai
2013[29] relayé par Le Figaro
que « l’administration
américaine n’osera plus monter
de toutes pièces un dossier
comme celui qui a conduit à
l’invasion de l’Irak en 2003.
Pour bien marquer la différence
avec cette époque, la communauté
américaine du renseignement
rappelle chaque année depuis
2007, au grand chagrin des
néo-conservateurs désireux d’en
découdre avec l’Iran, que la
république islamique a
interrompu fin 2003 son
programme nucléaire clandestin
et n’a pas, depuis, pris la
décision de se doter de l’arme
atomique ».
Rien ne permet donc d’affirmer que
l’Iran viole le Traité sur la
non-prolifération des armes nucléaires
(TNP) qu’il a signé en 1968, ratifié en
1970[30], et auquel un protocole
additionnel contraignant a été ajouté en
2003 concernant l’Iran, avec l’accord de
celui-ci[31].
En d’autres termes, aucune base
légale du point de vue du droit
international ne pourrait légitimer une
intervention militaire en Iran. Du
reste, dans l’hypothèse du viol du TNP
par l’Iran, encore faudrait-il prouver
le bien-fondé d’une action militaire
internationale et faire voter cette
dernière au Conseil de sécurité de
l’ONU.
Pour leur part, Israël, qui ignore le
TNP, et la Corée du nord, qui s’en est
retirée, possèdent très
vraisemblablement des armes nucléaires
sans faire nullement l’objet des menaces
américaines qui visent l’Iran[32]. Il
s’agit d’un nouveau « deux poids, deux
mesures » qui, inévitablement, jette le
doute sur les intentions réelles des
avocats d’une intervention militaire en
Iran.
2.2 – Une vision tronquée de
la réalité
Toutes les informations qui précèdent
sont importantes à plusieurs égards.
Elles montrent que :
- le pays considéré comme
principal ennemi par l’Iran est
l’Irak, avant Israël. La guerre Iran
Irak, connue sous le nom de « Guerre
imposée » en Iran, entre 1980 et
1988 a été, en effet, d’une extrême
violence[33] avec : la mort de trois
cents mille à un million d’Iraniens;
l’emploi de gaz de combat par les
forces irakiennes contre la
population et l’armée iraniennes –
ce qui n’a pas ému le moins du monde
les Américains à l’époque – ; le
bombardement du site nucléaire
iranien de Bushehr par l’aviation
irakienne[34]. Ce qui peut expliquer
l’enfouissement systématique des
sites nucléaires iraniens
aujourd’hui.
- ce n’est pas une politique de
sanctions décidées par
l’« Occident » qui a mis fin au
programme nucléaire à visée
militaire, connu, de l’Iran mais la
suppression d’une menace extérieure.
Cela montre également que les
dirigeants iraniens agissent de
façon rationnelle ;
- le nouveau Président iranien
devrait, compte tenu de son
parcours, afficher une plus grande
transparence que son prédécesseur
sur le programme nucléaire. C’est
d’ailleurs ce que l’on observe
depuis le mois de septembre 2013.
Ainsi que l’indique l’AIEA dans son
dernier rapport en date du 22 mai
2013[35], des zones d’ombres
demeurent sur les applications
supposément civiles de ce programme
ainsi que sur certaines traces de
visées potentiellement militaires.
En particulier :
- les autorités iraniennes
refusent l’accès aux inspecteurs
du site de Parchin où se
trouverait, « selon des
informations que l’Agence a
reçues d’États membres »,
« une grande cuve de confinement
d’explosifs pour y mener des
expériences hydrodynamiques ».
Le rapport précise que :« la
cuve de confinement a été
installée sur le site de Parchin
en 2000. L’emplacement de la
cuve sur le site de Parchin n’a
été déterminé qu’en mars 2011,
et l’Agence en a informé l’Iran
en janvier 2012 […] les images
satellitaires dont dispose
l’Agence pour la période allant
de février 2005 à janvier 2012
ne révèlent quasiment aucune
activité dans le bâtiment
abritant la cuve de
confinement ».
- des indices existent que
l’Iran a pu conduire un
programme nucléaire à visée
militaire dont il n’est pas
possible de dire avec certitude
qu’il est terminé. La cuve
mentionnée plus haut ainsi que
ces indices ont pu servir dans
le cadre du programme militaire
clandestin stoppé en 2003 par
Hassan Rohani.
Cela étant, la prudence iranienne
peut provenir des risques de « fuites »
au sein de l’AIEA, qui est l’objet de
l’attention de tous les services de
renseignement. Il est compréhensible
qu’un pays divulgue difficilement à une
entité étrangère ses secrets
stratégiques. Que feraient la France ou
les États-Unis s’ils étaient sommés de
dévoiler leurs secrets nucléaires à
l’AIEA ?
- les États-Unis, leurs affiliés
et leurs médias tiennent un discours
alarmiste et agressif vis-à-vis de
l’Iran à leurs opinions publiques,
tout en sachant que rien ne permet
d’affirmer que l’Iran est en train
de fabriquer une bombe atomique.
Depuis plusieurs années, les médias
français ont pris le pli de la
rhétorique guerrière contre l’Iran,
présentant la situation comme critique,
se faisant régulièrement l’écho de
l’imminence d’une action israélienne et
de la mise au point d’une bombe atomique
par l’Iran ou suggérant que le régime
iranien est discrédité auprès de sa
population, donc qu’une intervention
militaire aurait une vertu libératrice.
Une tempête médiatique s’était
abattue sur Jacques Chirac lorsqu’il
avait confié à des journalistes le 29
janvier 2007[36] que si l’Iran possédait
l’arme atomique, ce ne serait « pas
tellement dangereux » et que
celle-ci « n’aura pas fait 200 mètres
dans l’atmosphère que Téhéran sera
rasée ».
Si l’on regarde les choses avec
objectivité, ces déclarations de Jacques
Chirac étaient peut-être discutables
mais elles ne justifiaient pas
l’atmosphère hystérique qui se déversa
alors dans les médias contre le chef de
l’État, lequel fut décrit comme ayant
commis un inconcevable « dérapage ».
Atmosphère qui témoigne du verrouillage
médiatique draconien qui, déjà, frappait
le dossier iranien.
Le comportement des médias français
contribue à la dégradation de l’image de
la France dans le monde musulman, qui
est globalement mauvaise comme le
montrait une enquête publiée le 25
juillet 2013[37].
3) En
s’en prenant à l’Iran sans raison
démontrée, les États-Unis et leurs
affiliés, dont la France, menacent
gravement la paix du monde.
3.1. – Un processus
accusatoire analogue à celui employé
contre l’Irak en 2003
Les arguments utilisés par les
dirigeants occidentaux pour légitimer
une action contre l’Iran sont les mêmes
que ceux allégués par les États-Unis
pour justifier leur agression contre
l’Irak en 2003, de même que le
processus : les pays désignés à l’avance
comme coupables doivent faire la preuve
de leur innocence, puisque l’accusateur
est incapable de prouver son accusation.
Exemple frappant de l’analogie entre
les situations irakienne et iranienne,
le Premier ministre israélien a présenté
à la tribune de l’ONU le 27 septembre
2012 un dessin montrant que l’Iran avait
réalisé 90% du chemin devant l’amener à
un armement nucléaire[38], rappelant
l’épisode du 3 février 2003 au cours
duquel Colin Powell, Secrétaire d’État
américain, avait brandi devant le
Conseil de sécurité une fiole censée
prouver l’existence d’armes de
destruction massive en Irak.
Les États-Unis ont commencé à
« pousser » publiquement le thème d’une
menace iranienne juste après les
attentats du 11 septembre 2001, mettant
l’Iran sur le même plan que l’Irak, et
lui réservant probablement, alors, un
même sort.
Lors du discours sur l’état de
l’Union du 29 janvier 2002, George
Walker Bush plaçait l’Iran sur « l’axe
du mal »[39] des pays développant des
armes de destruction massive et abritant
des structures terroristes. Il allait
même jusqu’à déclarer en juillet 2004
que l’Iran avait eu un rôle dans les
attentats du 11 septembre 2001[40],
accusation qui semble avoir été
abandonnée par la suite.
La réalité est que les Iraniens,
comme les Afghans, les Libyens ou les
Syriens, n’ont rien fait aux Français ni
aux Américains. Les invectives
occidentales contre l’Iran obéissent à
une logique étrangère à toute légitime
défense et se placent en dehors du droit
international.
Ce ne sont ni les caractéristiques
coercitives du régime politique iranien,
ni son programme nucléaire qui suscitent
l’ire des États-Unis, mais l’attitude
indépendante et insoumise de l’Iran
depuis la chute du Shah en 1979.
3.2. – Un projet de
soumission du Moyen-Orient aux intérêts
américains
Les États-Unis souhaitent neutraliser
l’Iran pour trois raisons :
- Établir leur hégémonie
politique au Moyen-Orient.
L’Iran est un pays plus unifié sur
les plans linguistique, religieux et
historique que ses voisins, même s’il
présente des lignes de fracture
nombreuses liées aux minorités ethniques
transfrontalières, Azéris, Kurdes,
Baloutches, Pashtounes, Tadjiks
notamment. Cette force fait de l’Iran un
bloc politique puissant, capable d’une
mobilisation totale démontrée par la
guerre avec l’Irak entre 1980 et 1988.
L’effondrement et l’état de partition
latente de l’Irak, consécutifs à
l’intervention américaine de 2003, ont
permis à l’Iran d’affirmer son influence
régionale et son indépendance. La
position de Washington dans l’actuel
conflit syrien vise à ébranler
l’influence iranienne, qui s’étend
désormais de Beyrouth, à Bagdad en
passant par Damas.
En outre, comme le montre le rapport
sur l’état des menaces mondiales,
présenté au Sénat à Washington le 12
mars 2013 par James Clapper, l’Iran est
perçu comme une puissance ayant les
moyens de s’opposer à la présence
américaine au Moyen-Orient :
« L’Iran a déjà le plus grand
stock de missiles balistiques dans le
Moyen-Orient et est en train d’augmenter
l’échelle, la portée et la
sophistication de son arsenal de
missiles balistiques. Le stock croissant
de missiles balistiques de l’Iran et sa
production domestique de missiles de
croisière contre les bateaux et le
développement de son premier missile de
croisière à longue portée continental
lui fournit des possibilités d’améliorer
sa projection de puissance. Téhéran
considère ses missiles conventionnels
comme faisant partie intégrante de sa
stratégie de dissuasion – et de réplique
si nécessaire – vis-à-vis de forces
armées, y compris des forces
américaines. »
- S’accorder un accès exclusif
aux ressources pétrolières et
gazières.
Non seulement très riche en
hydrocarbures avec les deuxièmes
réserves mondiales de pétrole et de gaz,
l’Iran contrôle en partie le détroit
d’Ormuz par lequel transitent les
ressources des pays du Golfe persique.
C’est pour prévenir la convoitise de
puissances étrangères que l’Iran s’est
engagé dans une politique d’indépendance
nationale.
Dick Cheney, lorsqu’il dirigeait
Halliburton Energy Services, avant
de devenir Vice-président des États-Unis
sous George Walker Bush entre 2001 et
2009, avait livré dans un propos
lapidaire le 23 juin 1998 au Cato
Institute la doctrine américaine
concernant les hydrocarbures ainsi que
son inspiration quasiment
messianique[41] :
« Le Bon Dieu n’a pas jugé bon de
mettre du pétrole et du gaz seulement
dans les pays démocratiques amis des
États-Unis. Nous devons parfois agir là
où, à tout prendre, on préfèrerait ne
pas aller. Mais nous allons là où sont
les affaires. »
- Provoquer et contenir la
Chine et la Russie.
Quatre trains de sanctions à
l’encontre de l’Iran ont été pris à
l’unanimité du Conseil de sécurité de
l’ONU, donc avec l’aval de la Chine et
de la Russie en décembre 2006, mars
2007, mars 2008 et juin 2010[42]. Deux
résolutions ultérieures les ont
prolongés. Ces sanctions sont cantonnées
à la problématique nucléaire et
interdisent par exemple, que l’Iran
puisse se fournir à l’étranger en
équipements sensibles dans ce domaine.
La Chine et la Russie ont donc refusé
de « durcir » les sanctions dans le sens
des mesures, très restrictives notamment
dans les domaines bancaires et
pétroliers, prises ultérieurement et
unilatéralement par les États-Unis et
leurs affiliés. Chine et Russie occupent
désormais une place prépondérante dans
les échanges de l’Iran avec le reste du
monde :
- La Chine est le premier
acheteur de pétrole iranien et
le premier partenaire commercial
de l’Iran ;
- La Russie a conclu des
contrats significatifs dans le
domaine de la défense avec
l’Iran, même si l’exécution de
ceux-ci n’apparaît pas
certaine[43] et doit construire
une deuxième centrale nucléaire
dans le pays, d’après une
annonce en date du 11 août
2013[44].
Chine et Russie étaient en outre
présentes à Téhéran :
- Le 9 août 2012, lors d’une
conférence internationale
consultative sur la Syrie
rassemblant des représentants de
29 États cumulant 3.528.129.000
habitants soient 50,9% de la
population mondiale[45] ;
- Le 29 mai 2013, lors d’une
autre conférence internationale
sur la Syrie[46].
L’Iran est également membre
observateur depuis 2005 de l’Organisation
de coopération de Shanghai,
organisation intergouvernementale
régionale asiatique dans laquelle Chine
et Russie jouent un rôle moteur, et dont
les réalisations concernent
essentiellement la sécurité, par exemple
des manœuvres militaires communes.
L’Iran a déposé une candidature pour
devenir membre à part entière le 24 mars
2008[47].
Neutraliser l’Iran permettrait donc
aux États-Unis de porter un coup d’arrêt
à l’influence grandissante de la Chine
et de la Russie au Moyen-Orient. Les
sanctions américaines, qui contrarient
Chine et Russie en particulier pour les
paiements bancaires, sont le prélude de
cette confrontation et permettent à
Washington d’engager un bras de fer avec
ces deux pays.
Les objectifs poursuivis par les
États-Unis dans le dossier iranien
traduisent un rêve impérialiste et
délirant de domination du monde, d’une
extrême dangerosité pour la paix.
4) La
France, une fois de plus, s’acharne
à détruire les liens singuliers
qu’elle entretenait avec le reste du
monde.
4.1. – Une relation ancienne
avec l’Iran
La France entretenait
traditionnellement une relation
singulière et privilégiée avec l’Iran,
caractérisée par la diffusion de la
culture et de la langue françaises dans
l’enseignement, la recherche, la
création artistique, l’élite
intellectuelle et politique[48].
La France est perçue depuis Saint
Louis par les Perses comme une puissance
« alternative » pouvant faire
contrepoids aux empires désireux de les
soumettre. Les premiers échanges
marchands et diplomatiques d’importance
entre les deux pays apparurent sous les
règnes de Louis XIII puis de Louis XIV.
Les relations franco-persanes se
développèrent particulièrement sous le
Second Empire : Napoléon III décida
d’ouvrir une légation française à
Téhéran en 1854, puis des consulats à
Rasht en 1864 et à Tabriz en 1866 .
Parallèlement, l’influence française en
Perse se renforça par l’envoi de
médecins personnels des shahs de la
dynastie Qadjar à la cour, d’enseignants
et de conseillers militaires.
Après la Première Guerre mondiale, la
France décida d’augmenter sa présence en
Perse en y multipliant les
réalisations : augmentation du nombre de
consulats, augmentation du nombre
d’enseignants français, notamment à la
faculté de Droit de l’Université de
Téhéran, fondation d’un lycée français
et d’une école d’agriculture, création
d’une première banque française à
Téhéran, ajout d’une section commerciale
à la légation française, mise en place
d’un service international de TSF pour
contrer les services britanniques et
allemands, publication d’un journal en
langue française en Iran, dont la langue
était alors de plus en plus parlée à la
Cour et comme langue diplomatique dans
tout le Proche-Orient.
Après la Deuxième Guerre mondiale,
c’est le général de Gaulle qui restaura
le prestige de la France auprès du shah
d’Iran. Le dirigeant de la France libre
s’était déjà arrêté à Téhéran en
novembre 1944, sur le chemin de Moscou,
afin d’assurer au nouveau monarque,
Mohammad Reza Shah (que personne n’avait
invité à la conférence de Téhéran
quelques mois auparavant) l’importance
que la France attachait à la continuité
monarchique en Iran. Devenu président de
la République en 1958, Charles de Gaulle
se rendit de nouveau en Iran à partir du
16 octobre1963 pour s’y entretenir avec
le Mohammed Reza Shah, éduqué dans une
école suisse de langue française, et
dont la troisième épouse, la jeune Farah
Diba avait effectué ses études
supérieures en France.
Le Journal
de Téhéran, daté du mercredi 16 octobre
1963, annonce en Une l’arrivée de
Charles de Gaulle,
président de la République française, à
Téhéran. Ce journal francophone n’existe
plus de nos jours…
Le dernier shah d’Iran sera
d’ailleurs le seul chef d’État que de
Gaulle, après son départ du pouvoir en
1969, accepta de recevoir à Colombey
avant de mourir. Dans les années 60, la
France était très présente en Iran,
notamment au point de vue culturel.
Le régime autocratique du shah et son
alignement de plus en plus manifeste sur
Washington conduisirent Paris à prendre
peu à peu ses distances avec Téhéran (le
président Pompidou n’envoya que son
Premier ministre Jacques Chaban-Delmas
aux célébrations de Persépolis en 1971
pour le 2500e
anniversaire de la monarchie perse, ce
qui fut jugé comme un affront).
Cependant, la France profita de la vive
augmentation du pouvoir d’achat de
l’Iran à la suite du premier choc
pétrolier survenu après la guerre du
Kippour de 1973 : Paris vendit à l’Iran
sa technologie nucléaire, par un contrat
signé en 1975 dans lequel Framatome se
voyait confier la construction de cinq
centrales nucléaires tandis que l’Iran
se voyait attribuer une participation
dans Eurodif SA, compagnie créée pour
fournir de l’uranium enrichi. La
révocation du contrat par le
gouvernement iranien de transition de
Bakhtiar en 1979 puis l’avènement de la
république islamique refroidirent les
relations franco-iraniennes.
4.2.- Le recul spectaculaire
de tous les intérêts tricolores en Iran
Ayant survécu à la révolution
islamique de 1979 et au soutien de la
France à l’agression irakienne contre
l’Iran l’année d’après, la relation
franco-iranienne s’est considérablement
réduite par la suite, du fait de
l’alignement de Paris sur Washington
dans le dossier nucléaire et, plus
largement, dans les affaires régionales.
La perspective politique « alternative »
que l’Iran avait sollicitée et trouvée
pendant des siècles auprès de la France
s’est effacée.
Les retraits de Peugeot et de Renault
interviennent après une série de reculs
spectaculaires des intérêts français en
Iran, sous pression américaine :
- Le pétrolier Total a annoncé son
départ d’Iran en septembre 2010,
avec trois autres firmes
européennes, sous la contrainte
américaine. C’est le Secrétaire
d’État adjoint américain, James
Steinberg, qui avait lui-même
annoncé ce retrait, dans ces
termes[49] :« J’ai le plaisir
d’annoncer que nous avons reçu des
engagements de quatre entreprises
énergétiques internationales qui
vont mettre fin à leurs
investissements et se refuser à
toute nouvelle activité dans le
secteur de l’énergie en Iran »Il
est à noter que le capital de Total
fin 2010 était possédé par des
investisseurs institutionnels
anglo-américains à 38%[50].
- L’essentiel des structures
d’apprentissage du français
entretenues par la France en Iran
ont été fermées, comme l’indiquait
François Nicoullaud dans un article
du 19 mars 2013 publié par Le
Monde : « nos échanges
universitaires et de recherche se
sont taris, et nous avons fermé
l’Institut français de Téhéran, où
des milliers d’Iraniens apprenaient
notre langue ».
Toute coopération dans le nucléaire,
le spatial ou la défense, domaines
d’excellence français, est empêchée. Les
« intérêts moraux » de la France, à
savoir son message de liberté et de
respect égal pour toutes les nations du
monde, sont par ailleurs piétinés.
Dans un article du 17 juin 2013
intitulé « Ce que les sanctions
contre l’Iran coûtent à la France »,
une journaliste du Monde
indiquait[51] :
« Quatrième partenaire commercial
de la République islamique dans les
années 2000, la France a chuté en 15ème
position depuis la mise en place de
sanctions européennes, onusiennes et
américaines contre un éventuel programme
nucléaire iranien à usage militaire. […]
Entre 2005 et aujourd’hui, les
exportations françaises en Iran se sont
effondrées, passant de 2 milliards
d’euros à 800 millions (-60%). »
4.3. – Éliminer la
concurrence en Iran de pays étrangers,
et surtout de la France : le véritable
objectif des sanctions américaines
Les sanctions imposées par
Washington, et répercutées par l’Union
européenne, sont un moyen de faire place
nette en Iran de la concurrence d’autres
pays. Ces sanctions apparaissent
pourtant contestables au regard des
règles de l’Organisation Mondiale du
Commerce (OMC), dans la mesure où
Washington s’accorde, de fait, un
pouvoir d’extraterritorialité en
frappant les intérêts d’entreprises
étrangères qui commerceraient avec
l’Iran.
Dans un article du 25 février 2013
publié par Al Jazeera[52], deux
universitaires américains indiquent
que :
« Les sanctions secondaires[53]
sont un château de cartes des points de
vue légal et politique. Elles violent
très clairement les engagements
américains pris dans le cadre de
l’Organisation Mondiale du Commerce, qui
s’ils permettent à ses membres de rompre
toutes relations commerciales avec les
États qu’ils considèrent comme des
menaces à leur sécurité nationale,
n’autorisent en aucun cas les sanctions
prises à l’encontre de membres de pays
tiers qui auraient commercé légalement.
Washington perdrait très certainement si
l’affaire venait à être portée devant la
Commission de Règlement des Différends
de l’OMC. » ;
« L’an dernier, l’Union
européenne, qui pendant des années avait
condamné la possibilité d’une
application extraterritoriale d’une loi
commerciale nationale et avait même
menacé de porter l’affaire devant la
Commission de Règlement des Différends
si Washington venait à sanctionner des
entreprises européennes en raison de
leurs liens d’affaires avec l’Iran,
s’est finalement rangée du côté des
États-Unis et a interdit par exemple
l’achat de pétrole iranien et a imposé
des restrictions économiques à
l’encontre de la République islamique
que l’on pourrait qualifier d’embargo. »
De fait, les sanctions américaines
sont appliquées de façon très variable
entre les pays :
- Plusieurs observateurs ont
noté que Washington ne
respecte pas ses propres
sanctions lorsque ses intérêts
sont en jeu. Dans l’article
du 17 juin 2013 du Monde :
- Sébastien Regnault
chercheur au CNRS relève que
les Américains « vendent
beaucoup de produits, comme
des ordinateurs
Apple, des
iPhones et du Coca-Cola,
mais c’est difficile à
chiffrer
puisque ça se fait sous le
manteau » ;
- Ali Ahani, ambassadeur
d’Iran en France note que
« les exportations
américaines ont augmenté de
50% ces deux dernières
années et les européennes
ont baissé de moitié depuis
leur embargo sur notre
pétrole ».
De fortes suspicions existent
également que les forces armées
américaines stationnées en Afghanistan
aient acheté du pétrole iranien[54].
De plus, un article du Figaro du 4
octobre 2013 indiquait que General
Motors noue des contacts depuis six mois
avec Iran Khodro, ancien partenaire de
PSA, afin d’expédier ses productions
vers l’Iran[55]. De nombreuses autres
entreprises américaines, japonaises,
allemandes et britanniques ont entrepris
de s’implanter sur le marché iranien.
Le Figaro,
daté du 4 octobre 2013, révèle que les
entreprises américaines font des
affaires juteuses en Iran, pendant que
les entreprises françaises se sont
sabordées à la demande de Washington et
du gouvernement français qui sombre une
fois de plus dans l’indignité et la
haute trahison de nos intérêts
nationaux.
De nombreuses entreprises
israéliennes poursuivent discrètement
leurs affaires avec l’Iran, comme le
rappelait un article du Point en
date du 10 février 2012[56]. Il était
notamment précisé que :« Deux cents
compagnies internationales opérant en
Israël entretiendraient de vastes liens
commerciaux avec l’Iran, y compris avec
son industrie énergétique, qui
représente la principale source de
revenus de la République islamique et
sert à financer le développement de son
programme nucléaire et de son
armement. »
Le Point,
daté du 10 février 2012, révèle que les
relations secrètes entre Israël et
l’Iran
totaliseraient des dizaines de millions
de dollars.
- Les États-Unis ont trouvé une
voie d’entente avec plusieurs pays
décidés à ne pas subir les sanctions
américaines et à se faire respecter
de Washington. Le Secrétaire
d’État américain annonçait le 5 juin
2013 que l’Inde, la Chine, la
Malaisie, la Corée du Sud,
Singapour, l’Afrique du Sud, le Sri
Lanka, la Turquie et Taïwan
bénéficieraient d’une dérogation
concernant l’embargo pétrolier
contre l’Iran[57].
En somme, l’Union européenne et le
gouvernement français appliquent avec
célérité les sanctions américaines, qui
sont pourtant :
- contournées par une série de
pays, dont les États-Unis eux-mêmes
et Israël ;
- inefficaces parce que
contournables ;
- dépourvues de toute
légitimité internationale ;
- probablement contraires aux
règles de l’OMC ;
- dévastatrices pour les
intérêts de la France.
C’est dire la mentalité de
« colonisé » qui s’est emparée de
l’élite dirigeante française, qui
n’hésite plus, désormais, à se rendre
coupable de haute trahison contre les
intérêts de son propres pays, au vu et
au su de tous. Le recul considérable des
intérêts français en Iran prouve que la
France est la cible privilégiée du
régime de sanctions américain.
4.4 – La France dissoute
dans l’Union européenne et l’OTAN
La France n’existe plus vraiment en
tant que telle dans le dossier iranien.
En effet Nicolas Sarkozy s’est employé à
la faire disparaître dans un processus
de négociation piloté par la Britannique
Catherine Ashton, « haute représentante
de l’Union européenne pour les affaires
étrangères et la politique de
sécurité ».
Cette décision :
- empêche la France de porter le
message de son choix. Qu’ont pu
penser les Iraniens d’une initiative
comme celle de Michel Rocard en mai
2012, demandée ou non par François
Hollande, puisque la France est, par
ailleurs, réduite au silence ?
- pousse les Iraniens à confondre
la France avec la Grande Bretagne,
puissance honnie qui leur a imposé
un régime quasiment colonial de la
fin du XIXème siècle à la
nationalisation de l’Anglo-Iranian
Oil Company (devenue BP pas la
suite) en mars 1951. Signe de la
détérioration de la relation
irano-britannique, l’ambassade de
Grande Bretagne en Iran est fermée
depuis novembre 2011[58].
Catherine Ashton, qui représente le
groupe des « 5+1 » (États-Unis, France,
Grande-Bretagne, Russie, Chine et
Allemagne)[59] dans les négociations
avec l’Iran, n’a obtenu aucun résultat
malgré plusieurs rencontres avec la
partie iranienne. Il est vrai qu’elle
n’a aucune chance d’aboutir en raison de
sa propre incompétence – de notoriété
publique – et des intérêts parfaitement
contradictoires des pays qu’elle est
censée représenter. Dès lors, que fait
la France dans un tel processus ?
Neutralisée sur le plan diplomatique,
la France se retrouve entraînée, en
raison de son appartenance à l’OTAN,
dans la stratégie de tension militaire
voulue par Washington. L’installation de
batteries de missiles antimissile
Patriot fin 2012 par l’OTAN en
Turquie, près de la frontière syrienne,
a suscité de vives réactions de la part
des autorités iraniennes qui y voient un
canon pointé vers elles[60].
Ce déploiement n’est pas sans
rappeler celui des missiles Jupiter en
novembre 1961, en Turquie, par les
Américains, retirés en avril 1963 après
la crise de Cuba qui avait failli
déclencher un conflit mondial.
De plus, la France, vassalisée au
sein de l’Union européenne et de l’OTAN,
est empêchée d’exercer une influence
auprès des foyers chiites de la région,
liés à l’Iran, par exemple au Liban, en
Syrie ou en Irak.
La décision, inutile en elle-même,
prise par l’Union européenne – donc
aussi par la France – le 22 juillet 2013
de placer l’aile militaire du Hezbollah
sur la liste des organisations
terroristes ne peut que tendre un peu
plus la situation au Liban et en Syrie.
Cette décision conforte l’anathème
général jeté par les Euro-américains sur
les chiites.
La France qui entretenait des
relations distinctes et originales avec
tout le Moyen-Orient, du fait de sa
politique indépendante, de la
francophonie et de son appui à
l’établissement de la liberté
religieuse, est ainsi purement gommée de
la scène.
4.5. -Le partenaire
occidental introuvable
L’attitude française est d’autant
plus tragique que l’Iran aurait besoin
d’une ouverture vers l’« Occident »,
autrement dit qu’il y a une « place à
prendre ».
La France pourrait remplir à nouveau,
vis-à-vis de l’Iran, le rôle qu’elle a
historiquement tenu plusieurs fois, et
cela pour trois raisons :
- L’Iran doit faire face à un
double encerclement géopolitique.
- La plupart de ses voisins
directs font partie de l’orbite
américaine, Pakistan, Afghanistan,
Irak, Turquie, mais également les
pays de la rive sud du Golfe
persique, Émirats arabes unis, Oman,
Bahreïn, Qatar, Arabie saoudite,
Koweït.Le Pakistan beaucoup plus
peuplé que son voisin persan, avec
183 millions d’habitants contre 77
millions, possède l’arme atomique,
tout comme Israël situé à mille cinq
cents kilomètres de Téhéran. De
plus, les États-Unis entretiennent
une présence militaire permanente à
l’abord direct de l’Iran, via leur
cinquième flotte basée au Bahreïn ;
- Les voisins de l’Iran sont
globalement tous à majorité sunnite,
alors que l’Iran est le grand pays
chiite. La tension entre les deux
branches principales de l’Islam est,
aujourd’hui, à son extrême, par
exemple en Irak, au Liban et en
Syrie où les affrontements
meurtriers entre les deux
communautés sont quotidiens.
L’Iran aurait besoin d’un partenaire
occidental à même de comprendre ces
menaces sur sa propre intégrité et sa
sécurité, et de jouer les intermédiaires
pour en atténuer les tensions.
- La relation, qui tend à une
exclusivité forcée, avec la Chine et
la Russie n’est pas satisfaisante
pour l’Iran.
L’Iran court le risque d’un
enfermement dans une relation exclusive
avec la Chine et la Russie, qui
pourraient être tentées d’exercer une
forme de prédation sur elle, notamment
sur ses ressources naturelles.
De plus, les relations entre la
Russie et l’Iran sont marquées par[61] :
- la perte des territoires
perses du Caucase au profit de
la Russie impériale au cours du
XIXème siècle, avec les traités
de Golestan (1813)[62], de
Turkmanchai (1828)[63] et d’Akhal
(1881)[64] ;
- la tutelle coloniale exercée
par la Russie sur l’Iran à la
suite de la convention
anglo-russe de 1907 qui partagea
l’Iran en deux zones d’influence
étrangères ;
- l’occupation soviétique de
l’Iran pendant la Seconde Guerre
mondiale ;
- le soutien de Moscou à
l’Irak lors de la guerre Iran
Irak ;
- une compétition dans le
domaine énergétique, – Russie et
Iran possédant respectivement
les première et deuxième
réserves mondiales de gaz
naturel -, et dans le contrôle
de la mer Caspienne.
Historiquement, la Russie s’est donc
révélée être, pour l’Iran, davantage une
menace qu’un allié.
- Le nouveau Président iranien
fait preuve d’une attitude plus
ouverte envers l’« Occident » que
son prédécesseur.
Le nouveau Président iranien, Hassan
Rohani, francophone, réputé avoir donné
un coup d’arrêt au programme nucléaire
militaire de l’Iran en 2003, et désireux
– d’après ses déclarations – d’apaiser
les tensions avec le « camp
occidental », devrait être un
interlocuteur privilégié pour la France.
Cette dernière, cependant, a
entrepris de ne rien faire de ces
circonstances favorables :
- En décidant, comme annoncé le 25
juillet 2013, de ne pas envoyer
l’ambassadeur de France assister à
la cérémonie d’investiture d’Hassan
Rohani mais un diplomate de rang
inférieur[65] ;
- En refusant par principe la
présence de l’Iran à la conférence
en préparation sur la Syrie dite
« Genève-2 », peu avant l’élection
d’Hassan Rohani et même après[66].
Cependant, un retournement
spectaculaire de la diplomatie française
n’est pas à exclure, à l’instar de celui
qu’elle a déjà opéré en acceptant le
principe d’un « Genève-2 » porté par les
Américains et les Russes, alors qu’elle
demandait le départ préalable de Bachar
el-Assad. Ce camouflet avait déjà
gravement entamé la crédibilité de la
France[67].
Il faut noter que l’ONU[68] et la
Russie[69] sont favorables à la présence
de l’Iran à la conférence « Genève-2 ».
Le vice-ministre iranien des Affaires
étrangères a indiqué, de plus, avoir
reçu une invitation « verbale » à cette
conférence[70].
Les médias sont soupçonnés d’avoir
voulu discréditer le plus rapidement
possible le nouveau Président iranien en
rapportant ses propos sur Israël[71] de
façon déformée, dans le but de le
rapprocher de son prédécesseur, habitué
des escalades verbales et des outrances
inacceptables vis-à-vis de l’État
hébreu.
Conclusion : la France dindon de la
farce euro-atlantiste, disparaît de
la scène mondiale
Le dossier iranien témoigne de façon
tragique et révoltante de l’impéritie
scandaleuse et des œillères idéologiques
insensées des gouvernements français
depuis au moins l’accession de Nicolas
Sarkozy à la présidence de la
République. En se vautrant dans la
soumission à Washington, ils font de la
France le dindon de la farce
euro-atlantiste et provoquent
l’évanouissement accéléré de la France
des affaires du monde. L’Union
européenne et l’OTAN, qui dépossèdent la
France de sa liberté d’action et la
soumettent à Washington, ont ruiné les
positions que Paris avait construites
depuis des siècles en Iran, ses intérêts
économiques ainsi que son rayonnement
culturel et linguistique.
De la même façon, le régime de
sanctions unilatérales décidé par les
États-Unis a pour objectif réel de faire
disparaître d’Iran, et par extension du
Moyen-Orient, des pays concurrents, et
d’abord la France. Les mots employés
dans le débat public sont volontairement
trompeurs : « construction
européenne » et « sanctions
américaines » sont des expressions
leurres destinées à masquer l’amère
réalité, la destruction de la France.
Le jeu d’alliances de plus en plus
automatiques que constitue l’OTAN emmène
la France vers une guerre sans aucun
fondement rationnel avec l’Iran. Dans un
pareil contexte, qui n’est pas sans
rappeler les engrenages néfastes qui
conduisirent à la Première Guerre
mondiale, la sortie de la France de
l’Union européenne et de l’OTAN s’impose
comme une absolue nécessité.
En démontant les causes réelles de la
vindicte dont l’Iran fait l’objet de la
part de l’oligarchie euro-atlantiste et
de la classe politique et médiatique,
l’UPR est, comme à l’accoutumée, le seul
mouvement politique français à présenter
aux Français, de façon circonstanciée,
les causes réelles du déclin de la
France.
François ASSELINEAU
François-Xavier GRISON,
Responsable national de l’UPR, en charge
des solidarités francophones
[8] La baisse des ventes des
constructeurs français en Europe
est largement due aux politiques
d’austérité conduites par les
institutions européennes, aux
règles de libre-échange inégales
avec des pays à faibles coûts de
production, imposées par les
traités européens, et au taux de
change de l’euro vis-à-vis du
dollar américain, trop élevé.
[53] Sanctions punitives
visant des importateurs ou
exportateurs en affaire avec
l’Iran
Le dossier politique
Le
dossier Iran
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