Opinion
« Prestigieuses funérailles, mais le
mort est un chien »
....
L'imposture
Faouzia Zebdi-Ghorab
© Faouzia
Zebdi-Ghorab
Mercredi 28 janvier 2015
« La France est une République
indivisible, laïque, démocratique et
sociale. Elle assure l'égalité devant la
loi de tous les citoyens sans
distinction d'origine, de race ou de
religion. Elle respecte toutes les
croyances...» Article 1er de
la Constitution du 04 octobre 1958.
Dans cet esprit,
le respect des croyances et de la
liberté de conscience est-il toujours un
principe constitutionnel et une liberté
publique ?
Après le débat sur
l’identité nationale initié par une
droite décomplexée, débat infâme pour
les uns, inapproprié pour les autres,
voici venu l’odieux débat sur la
citoyenneté de certains français qui
serait à redéfinir au prétexte qu'ils
font profession de foi musulmane, dans
le cadre de leur liberté de conscience
et qu'ils auraient ainsi besoin
d'apprendre à articuler entre
identité musulmane et identité
citoyenne, rejoignant ainsi le
camp de ceux qui ont décidé de placer ce
débat non pas sur le terrain des luttes
pour la justice, la dignité et
l’affirmation de sa citoyenneté mais sur
celui des croyances de certains
français, uniquement, distingués par un
fait de conscience, leur islamité,
par un jeu pervers d’intrusion et
d’inquisition de l’autorité publique
dans les esprits.
Mais, hélas, là
rien de nouveau sous le soleil. Non, ce
qui est plus étrange c'est que ce
type de débat qui abonde dans le sens
d'une islamophobie, cachée sous les
oripeaux d'un pseudo débat démocratique,
citoyen et ouvert, est relayé et
dorénavant initié par des musulmans en
mal de reconnaissance ou
d'identification. Cela n'est pas
sans nous rappeler le titre de l'ouvrage
de Khalil Merroun préfacé par Manuel
Valls intitulé "Français et musulman :
est-ce possible " ? Titre dont
les termes rejoignent les sempiternelles
poncifs : islam et modernité/ islam et
démocratie / islam et liberté...islam et
laïcité et aujourd'hui... identité
musulmane et identité citoyenne. Les
mettre en apposition sous une forme
d’opposition, n'est-ce pas déjà ruiner
la question et le débat, n’est-ce pas
postuler insidieusement l’existence
d'une contradiction insurmontable et de
principe ?
....
Citoyenneté
française reconnue quant il faut servir
de chaire à canon et de bouillie humaine
et citoyenneté française controversée
dans les périodes plus apaisées ?
Il semblerait que
oui, car à une époque pas très
lointaine, des français ont rempli à
l'égard de la France les obligations les
plus terribles, mais aussi les plus
nobles, celles du sacrifice et du sang
versé pour sa liberté et sa gloire, et
donc pour notre liberté et notre gloire
tout autant, sans que l'on se soit
"inquiété" à l'époque de la fiabilité ou
de l'authenticité de leur citoyenneté
française. Il s'agit, vous l'aurez
compris, des soldats de l'armée
française en très grande majorité
musulmans qui constituaient la presque
totalité de l’Armée d’Afrique. Une armée
d’Afrique née d'ailleurs en Algérie et
une Légion Etrangère née plus
précisément à Sidi- Bel- Abbés.
Ces dignes soldats
sont dès le Second Empire engagés dans
les conflits les plus sanglants et les
plus meurtriers : Campagne de Crimée,
Campagne d’Italie, Guerre Franco
Prussienne... guerres mondiales et
guerre d'Indochine où ils servent
massivement de chaire à canon et de
marche pied pour la victoire. En tout un
million et demi de vies humaines
sacrifiées pour une France défendue
dignement sans jamais faillir ni
faiblir. Des hommes, nos pères et grand
pères, combattant courageusement et
loyalement pour la France, leur
bravoure, leur sacrifice contraignant
l'armée ennemie à faire demi-tour et à
abandonner la prise de Paris alors
qu’elle ne se trouvait plus qu’à 40 km
de la capitale.
Ces souffrances et
ces pertes ont été subi pour et au nom
de la France, et il serait bon de
rappeler ces moments de l'Histoire
d'abord aux enfants de ces héros ensuite
à nos détracteurs, afin de bannir à tout
jamais ce complexe vis à vis de notre
citoyenneté française et de contrecarrer
ces attitudes de méfiance et de
suspicion à l'égard des français de
confession musulmane qui ont autant
donné sinon plus à la France que tous
ces scribouillards baveux et sans verve
ni panache, qui aujourd'hui, dénient le
droit aux enfants et petit enfants de
ces soldats le droit à une citoyenneté
non discriminée, qui ne soit pas
systématiquement pointée par un doigt
accusateur teinté de racisme et de
mépris.
"Articuler
identité musulmane et identité citoyenne".
La problématique du débat, telle qu'elle
est posée est une ineptie. Le choix des
concepts ainsi associés est dangereux
et fausse les véritables problèmes
ainsi que les vrais enjeux liées à la
notion d'intégration et de citoyenneté
française. En effet, ce type de débat
dans le contexte actuel de suspicion à
l'égard des musulmans, accusés
insidieusement par certains fanatiques
du monde politique et médiatique d'être
une sorte de cheval de Troie, d'ennemi
intérieur, (Ivan Rioufol, Philippe
Tesson...), loin d'apporter de
l'apaisement, loin de clarifier les
choses, constitue un aveu terrible
de notre propre échec à ne pas vouloir
nous sentir français à part entière et à
ne pas oser poser les vraies questions
qui fâchent.
Il nous importe de
ne point céder aux pressions du temps,
des événements, aussi dramatiques
soient-ils. Ne pas hurler avec les
loups, ne pas céder aux cris de haine de
ceux qui nous somment de nous déclarer
français en nous dissociant de la
terreur des terroristes. Comme si notre
islamité, il faut insister là dessus,
était, et de facto, pour certains,
incompatible quasi ontologiquement avec
notre citoyenneté française. Or
essentialiser une personne dans une
identité, vraie ou supposée ou même
imaginée, est le moteur du racisme et de
la discrimination.
Alors oui, les
termes de ce débat sont un piège car on
nous impose de répondre à une question
dont la réponse est une impasse totale,
une mise en posture schizophrénique.
Français, oui nous le sommes. Musulmans,
oui nous le somme aussi. Ou est l'erreur
? Où est la contradiction ? Où est le
bug diraient nos plus jeunes ?
Durant l’époque
coloniale les choses étaient posées en
termes de « français musulman »
car l’algérien colonisé n’était pas
reconnu comme un citoyen français à part
entière et n'était pas un français tout
court. Il était distingué dans la grande
nation française par un critère
religieux que même la IVe république, de
gauche, laïque et sociale, n'a pas
eu honte d'utiliser pour bien distinguer
ses "indigènes" alors que le décret
Crémieux avait lui accordé, dès 1870 et
d’office, la nationalité française aux
milliers de juifs d’Algérie, sans pour
autant insister en permanence sur leur
judaïté ; judaïté n’étant pas considérée
alors comme un frein ou une entrave à
une citoyenneté française pleine et
entière. Il a fallut attendre l'affaire
Dreyfus pour que soit mise en exergue
par les milieux d'extrême droite en
France, la prétendu incompatibilité
entre judaïté et citoyenneté français.
Souvenons nous de l’infâme “France
juive” de Drumont, des cabbales menées
par des Céline, des Brasillach… contre
les juifs jugés pas assez ou même pas du
tout français.
A-t-on besoin d'une
affaire Koulibali ou Kouachi, ou Merah
pour que, nous aussi, “arabes” et
“musulmans”, on nous somme par défiance
de nous définir français ou pas.
Français nous le sommes. Comment faut il
le dire, le crier ou le clamer ?!.
A t'on demandé aux victimes de Merah,
françaises et musulmanes, et même
soldats de l'armée française, de se
déclarer ou non français ? Non !
Français, nous
le sommes totalement. Et nous n'avons
aucune leçon "d'être français" à
recevoir de quiconque. Nous somme
français. Rien d'autre. Mon islamité, ma
foi, est un droit et une liberté de
conscience fondamentale et ne concerne
pas la République qui n'a pas à
s'immiscer dans ma conscience
religieuse. Croire ou ne pas croire,
musulman ou pas, ça n'est pas son
problème. C'est le propre d'une laïcité
pacifiée. La France, ce doux "pays de
mon enfance", si cher à Charles Trenet
est la seule patrie à laquelle je porte
allégeance. Elle seule a le pouvoir et
le devoir d'assumer la sécurité et
l’égalité de tous ses fils et citoyens
face à la terreur d'où qu'elle vienne.
Le fanatisme
religieux ou non, le takfirisme, "voilà
l'ennemi" pour paraphraser Gambetta.
L'ennemi ou le problème, ce n'est donc
pas l'Islam. Un fanatisme qui assassine
en masse des musulmans et de toute
nationalité. Je ne peux donc accepter
que les musulmans eux mêmes posent le
problème en terme de compatibilité entre
la "citoyenneté française" et mon
"identité" ou ma "citoyenneté"
musulmane. D'ailleurs parler de
"citoyenneté musulmane" est une hérésie
constitutionnelle et républicaine. Il
n'y a point de citoyenneté musulmane. Je
n'en connais point. Je ne vois partout
que des citoyens français de confessions
diverses. Point. Nous formons une seule
nation. Nous devons exiger seulement
d'être traités pour ce que nous sommes :
des français sans que soit évoqué à
chaque attentat terroriste la question
ou la compatibilité entre notre islamité
et la citoyenneté française.
"Perdus, des
citoyens français de confession
musulmane ne savent plus où placer le
curseur entre leur identité citoyenne et
musulmane", sic une citoyenne
française de confession musulmane.
Tous les jeunes que
je côtoie chaque jour que Dieu fait ne
sont pas tiraillés par une
désarticulation ou perdus entre leur
islamité et leur citoyenneté mais sont
bouleversés par le traitement social
économique, médiatique qui leur est
fait. Ils posent avant tout l’échec des
politiques sociales et urbaines. Ils
posent l’échec de la lutte contre toutes
les formes de discrimination et de
racisme. Ce n’est pas moi qui suit
schizophrène mais une certaine caste
politique qui, avec la complicité d'une
certaine presse, mène une
véritable cabale contre l’islam et
contre les citoyens français d'une
confession qui est la deuxième
confession de la France républicaine par
son nombre. Pointés d'un doigt
accusateur ils sont jetés en pâture aux
vautours d'une islamophobie
instrumentalisée, alimentée et contrôlée
par le système politico médiatique afin
qu’elle ne dérape pas.
L’islamophobie en France n’est pas
conjoncturelle mais structurelle et elle
est le résultat d’une organisation et
d’une construction inscrite dans un
agenda dont nous savons les finalités.
Ce n’est pas nous qui n’assumons pas
notre citoyenneté française. Seule
l'islamophobie et le racisme tentent
d'opposer et de polariser violemment,
dans les esprits, et insidieusement
confession et citoyenneté.
Ne nous laissons
pas pousser à la marge, au seuil de
notre citoyenneté et de notre identité
française par des débats qui, dans leurs
termes même, postulent l'idée et
l’incapacité de vivre intimement le fait
d'être des français, des citoyens à part
entière dans le respect de nos
convictions religieuses qui sont à
l'opposé du fanatisme et du takfirisme.
Alassane, Malien de
confession musulmane, salarié du magasin
cacher vient d'être fait héros de la
république et plus encore, il a été
élevé au rang de français à part entière
par la république. N'est ce pas une
preuve formidable et éclatante que rien
n'oppose islam et citoyenneté française.
En insistant sur
l'articulation entre identité musulmane
et identité citoyenne nous alimentons
les arguments de celles et ceux qui
appellent à "tenir bon" ?! et qui
cachent leur racisme derrière une
prétendue crainte de voir la France
perdre ses valeurs profondes. C’est
oublier un peu vite que ces valeurs sont
aussi les miennes, personne n’en
possèdent, hormis la nation, la
propriété exclusive.
Et dans le doute
qui assaille certains esprits tourmentés
et haineux quand au fait que les valeurs
de liberté, d’égalité, de fraternité et
d’universalité sont les miennes, je
répond par un verset coranique:
« Apportez vos
preuves si vous êtes véridiques ».
Faites nous donc la liste des valeurs
nationales françaises en danger dans la
France d'aujourd'hui et voyons ensemble
qui les défend et les porte au
mieux ?
...
Nous sommes
français, là n’est pas la question. La
vraie question est : quel peut être quel
doit être notre apport à la nation et
par delà la nation à l’humanité ?
Voulons-nous y impulser au nom de nos
convictions et de notre foi, un souffle
éthique qui débarrassera l’histoire de
tous les usurpateurs de liberté, de
justice et de dignité ? Car l'Histoire
est avant tout l'histoire de l’humanité
à laquelle la France doit prendre toute
sa part sans chauvinisme ni égoïsme
comme un phare de liberté et de dignité
et non comme un pays centré sur une
ethnicité prétendument homogène.
La nation est
d'abord un groupe d'individus ou, comme
dirait plus exactement Ernest Renan, «
un peuple ayant à la fois un héritage
commun et une volonté de vivre ensemble
».
Il ne s'agit pas
de rappeler des « banalités » ou des
choses convenues mais bien de reposer
les fondamentaux d'une gouvernance qui
s'est transformée et risque de muer en
organe de diktat idéologique et de
répression au visage hideux du
totalitarisme par l’imposition d’une
pensée unique qui est, justement, la
négation de l’esprit français.
Il s'agit de
pointer du doigt une mainmise des débats
sur la volonté sociale, principale force
légitime dans une démocratie car c'est
par elle et pour elle que s'écrit
l'histoire humaine de France, notre
histoire. Une France qui vit
ensemble, avec ses plaies, ses
blessures, par delà ses conflits mêmes
qu'elle essaie de transcender par
l'amitié et la solidarité et qu'une
élite « emmerde » à coups de débats de
relectures et de propositions de lois
...
C’est là ma
conviction profonde. Je suis désormais
convaincue que notre efficacité repose
sur le temps que nous prendrons
ensemble : Le temps de la pédagogie, le
temps des propositions, le temps des
idées, le temps des actions fédératrices
et créatrices de solutions. Nous n’avons
plus de temps à consacrer à la
justification ou à la dénonciation
islamophobe… Cessons de crier, d'hurler
que nous sommes français. Arrêtons de
nous justifier. Il suffit que mes rêves
et mes cauchemars se fassent en français
pour proclamer que intimement : je suis
français.
Je prie Dieu
qu’un jour nous ayons la force de nous
réapproprier notre islamité en toute
sérénité dans une citoyenneté
bienfaitrice et riche de ses apports.
Faouzia
ZEBDI-GHORAB
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