Venezuela
Qui l’eût cru ? Le Venezuela clôture
l’année dans un climat de normalité. Pas
vraiment les pays voisins…
Fania Rodrigues
L’auteure
: Fania Rodrigues, journaliste
brésilienne en poste à Caracas
Mardi 17 décembre 2019
L’année s’achève dans un climat de
normalité au Venezuela. Malgré la
succession de tentatives de
déstabilisation, ce pays d’Amérique du
Sud boucle 2019 sans changements majeurs
dans la structure politique.
Ni les coups d’État
manqués, ni la tentative de passage en
force d’une « aide humanitaire »
made in CIA à travers les frontières de
la Colombie et du Brésil, ni le blocus
économique international n’ont produit
le résultat escompté par la droite
vénézuélienne. Le gouvernement de
Nicolás Maduro n’est pas tombé.
Les rues de Caracas
montrent une ville frappée par la crise,
mais qui fonctionne avec une relative
tranquillité. Dans le boulevard
piétonnier de Sábana Grande, une zone
commerciale populaire, le mouvement est
fébrile. On peut observer certains
commerces fermés, effet de la crise
économique et du blocus états-unien qui
dévastent le pays, mais la grande
majorité sont ouverts et fonctionnent
dans des conditions normales.
On remarque aussi
des boutiques et des snack-bars qui ont
ouvert leurs portes récemment, ou
rénovés, comme la boulangerie-snack-bar
Moka. “Une manière d’attirer le
client” explique Rodolfo Gonçalves,
propriétaire associé.
Dans l’une des rues
transversales au boulevard se trouve le
Momoy Café, récemment inauguré et qui
connaît déjà le succès. Mais la question
que beaucoup se posent est la suivante :
vaut-il la peine d’investir dans un
Venezuela en crise ? Le propriétaire de
l’entreprise dit oui.
“Ceux qui
investissent, comme moi, c’est parce
qu’ils croient dans ce pays. Ce qu’il y
a, c’est que les hommes d’affaires
vénézuéliens avaient l’habitude d’avoir
un retour sur investissement en deux ou
trois mois d’activité. Maintenant, nous
prenons beaucoup plus de temps”
explique l’homme d’affaires qui préfère
garder l’anonymat.
Dans la même rue,
raconte-t-il, deux autres commerces
viennent d’ouvrir : “un salon de
coiffure pour enfants et un snack-bar à
hamburgers.”
L’artère
commerciale piétonnière de Sábana Grande
Déjà, le libraire
Nahuel Montenegro occupe l’une des sept
librairies autorisées par la ville de
Caracas dans cette artère, à cette
époque de l’année. Après tout, ce pays a
formé une légion de lecteurs avides, en
particulier de littérature politique. Le
gouvernement distribue gratuitement des
livres de littérature universelle et
vénézuélienne, ainsi que des classiques
politiques.
La professeure
Maria José cherchait le livre « Cheval
de Troie » mais Nahuel n’avait
qu’une ancienne version, en deux
volumes, d’une collection visiblement
passée par les mains de plusieurs
lecteurs. La professeure regarde,
regarde et finit par acheter. Les deux
volumes lui ont coûté un salaire
minimum: 300.000 bolívares (environ 6,3
dollars).
Le libraire
explique qu’il y a deux réalités très
marquées au Venezuela. La première
regroupe des personnes en situation
précaire, qui gagnent généralement un
salaire minimum et un panier alimentaire
subventionné par le gouvernement.
L’autre partie de
la population gagne en dollars, soit
parce qu’ils travaillent pour une
entreprise étrangère, soit parce qu’ils
ont l’un ou l’autre négoce qu’ils font
payer en dollars. Il y a aussi les
personnes qui reçoivent des ressources
d’un membre de leur famille vivant à
l’extérieur du pays.
“Nous vivons ces
deux extrêmes. Mais il y a encore
quelques alternatives qui rendent la vie
ici moins chère que dans d’autres pays,
comme les foires alimentaires qui
vendent des fruits, des légumes et des
protéines à des prix très bon marché,
comme celles des quartiers de Catia et
de Coche. Quand on connaît les bons
endroits pour acheter, avec 50 dollars
par mois, on fait des miracles au
Venezuela”, dit Nahuel Montenegro.
A part quoi,
beaucoup viennent dans ce quartier
commerçant de Sabana Grande pour une
simple lèche-vitrine, pour savourer un
dessert et pour emmener leurs enfants en
promenade.
“Parfois, le
plaisir se résume à venir ici, les
enfants courent, jouent, savourent leur
crème glacée et sont heureux ainsi. Les
enfants n’ont aucune raison de savoir
quels sont les problèmes des adultes”
dit Yuleidy Ospino, 58 ans, qui a emmené
ses deux petites filles manger une
glace. “C’est très bon” confirme
Maria Elisa, avec son meilleur sourire.
Les Vénézuéliens ne
peuvent pas résister à la tentation
d’une glace. Les glaciers sont toujours
bondés et connaissent même de longues
files d’attente. En plus d’être
savoureuse, la crème glacée de Sabana
Grande reste accessible pour de nombreux
Vénézuéliens, selon le jeune étudiant
Jesus Marrero. “Ici, la crème glacée
est délicieuse et les prix permettent
aux gens d’en profiter. Un cornet à deux
saveurs coûte entre 27 000 et 30 000
bolívares (environ 0,7 dollars)” dit
Jésus.
Le boulevard de
Sábana Grande est la ligne symbolique
qui sépare les zones populaires –
formées par la zone centre et ouest – de
la zone la plus riche de la ville – la
zone est.
A un kilomètre
d’ici se trouve le quartier de Chacao,
secteur de classe moyenne supérieure.
Mais les quartiers les plus luxueux de
la capitale sont situés aux limites de
la partie est de Caracas, dans la partie
haute de la ville, formée par une
vallée.
Le centre
commercial Sambil, à Caracas
Chacao abrite le
plus grand centre commercial de la
ville, El Sambil, qui n’est pas le plus
luxueux, car il y en a au moins deux ou
trois autres plus « select ». On y
trouve déjà des marques telles que Mont
Blanc, Giorgio Armani, La Martina et
Carolina Herrera, d’origine
vénézuélienne.
L’étudiant Jaime
Rios, 24 ans, originaire de Maracay,
ville proche de la capitale
vénézuélienne, vit une typique journée
de shopping. Dans ses mains, deux paires
de chaussures récemment achetées. Il
explique comment certains Vénézuéliens
parviennent encore à maintenir leur
patron de consommation. “Beaucoup de
gens ont des membres de leur famille qui
vivent à l’extérieur du Venezuela et
envoient de l’argent. Ici, tous les prix
sont maintenant indiqués en dollars et
pourtant, les magasins continuent à
vendre beaucoup”.
Même perception
pour la modèle Mariana Martines, 23 ans,
qui parle de cet autre Caracas où tout
s’achète en dollars. “Il y a de très
beaux centres commerciaux, excessivement
chers et où tout le monde ne peut pas
acheter. Mais malgré la crise, ils ne
cessent pas de fonctionner. On dit que
tout est très difficile, mais ici on
voit comment les gens achètent, mangent”.
Si pour certains le
plaisir passe par des centres
commerciaux coûteux, pour d’autres il se
trouve dans une bonne conversation sur
l’une des places publiques les plus
emblématiques de Caracas, comme la Plaza
Bolívar.
Pendant que les
enfants courent et crient, Juan Fuentes,
Oswaldo Banixa et Jorge Navas ont une
conversation animée sur la situation
actuelle du pays. Ils sont de la vieille
garde révolutionnaire, de la gauche
traditionnelle vénézuélienne.
“Presque tous
les après-midi, nous venons ici avec les
camarades, une habitude prise après le
coup d’Etat de 2002 contre le commandant
Hugo Chávez. À l’époque, il n’y avait
pas d’Internet ni de portables alors
nous inventions des lieux de rencontre
pour nous réunir et nous informer. Nous
nous retrouvons ici depuis cette époque”
explique Juan Fuentes.
Après 16 heures,
quelques travailleurs du centre et de
ses environs se rassemblent sur la Plaza
Bolívar et y nouent un véritable débat
politique, presque quotidien. Après
tout, le Venezuela respire la politique.
Peu importe la façon dont une
conversation commence, dans ce pays,
elle finit toujours par la politique,
indépendamment de l’idéologie.
Fania
Rodrigues
Source:
https://www.diariodocentrodomundo.com.br/a-venezuela-quem-diria-fecha-o-ano-em-clima-de-normalidade-ja-os-vizinhos-por-fania-rodrigues-de-caracas/
Traduit du
portugais par Thierry Deronne
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