Palestine
La mémoire des réfugiés palestiniens :
les « infiltrés »
Fadwa Nassar
Image tirée du film "Nakba:
Palestine, 1948",
documentaire de Ruyuichi Hirokawa (2008)
Source: ISM
Jeudi 10 septembre 2015
Les « infiltrés », ce sont les réfugiés
palestiniens qui sont retournés,
quelques jours, mois ou années après,
dans leurs villages en Palestine
occupée, refusant leur exil forcé dans
les pays voisins. Ils sont revenus de
Cisjordanie (sous régime jordanien), de
Gaza (sous régime égyptien) et du Liban,
pour retrouver des membres de leurs
familles restées au pays, pour
retrouver leurs biens, leurs maisons,
leurs terrains et leurs champs. Beaucoup
de ces « infiltrés » (comme les ont
nommés les occupants sionistes) ont été
assassinés, poursuivis par l’armée
d’occupation. Mais certains parvinrent à
demeurer des mois, ou même quelques
années, clandestins, à proximité de
leurs villages détruits où furent
érigées des colonies juives, avant que
les institutions sionistes ne les
expulsent une seconde fois, en les
poussant dans des camions de fortune
pour les « jeter » à nouveau hors de
leur pays.
De nombreux
réfugiés, deux fois survivants (de la
Nakba et de leur seconde expulsion) ont
raconté leur retour, qui a duré quelques
jours, quelques mois ou à peine quelques
années.
Il faut d’abord
mentionner, comme le rappelle un réfugié
palestinien du village de ’Alma, dans la
province de Safad, que les Palestiniens
n’ont pas massivement quitté leurs
villages, après le massacre de Deir
Yassine au moi d’avril 1948, dont les
bandes sionistes ont largement propagé
la nouvelle, pour semer la panique et
faire fuir la population. Seules les
mères de famille et leurs enfants, ainsi
que des vieillards, se sont
momentanément éloignés des villages,
harcelés par les hordes sionistes et les
occupants britanniques. Entre le mois
d’avril et la chute de leurs villages au
cours de la même année, suite aux
féroces bombardements, la population
éloignée revenait quotidiennement au
village, pour s’occuper des terres et
des maisons. C’est précisément le cas
dans les villages d’al-Jalil, au nord du
pays, comme le raconte un rescapé du
village de Taytaba (province de Safad) :
« Quelques familles se sont déplacées le
3 mars 1948, mais entre cette date et
novembre 1948, elles revenaient
quotidiennement au village, cueillaient
les olives, récoltaient le blé,
rassemblaient les grains et les
animaux », mais aussi dans les villages
détruits dans la région d’al-Quds et de
Yafa. Ces familles éloignées ont
souvent été les témoins de la barbarie
sioniste, à partir des refuges qu’elles
se sont trouvées dans les grottes et les
bois situés autour des villages : les
hordes sionistes ont sauvagement
massacré des dizaines de Palestiniens
n’ayant pas la force, ou ne voulant pas
fuir leurs villages après leur chute aux
mains des envahisseurs.
Beaucoup de
témoignages citent les noms de ces
Palestiniens, souvent des vieillards,
assassinés dans les places publiques ou
devant leurs propres maisons. Un rescapé
du village de Birweh (le village du
poète palestinien Mahmoud Darwich),
situé près de ‘Akka, raconte l’odyssée
des femmes du village, qui sont
revenues, avec leurs enfants, récolter
les olives déjà prêtes à la cueillette,
alors qu’elles s’étaient éloignées pour
quelques jours au village d’al-Rameh,
non encore envahi par les hordes
sionistes : « je suis parti avec ma
mère, mon frère.. et un grand nombre de
femmes et d’enfants vers les oliviers de
notre village occupé, al-Birweh, pour
cueillir les olives. .. Pendant que nous
étions occupés, une jeep montée par 6
soldats lourdement armés est
passée près de nous. Elle s’arrête,
quelques soldats en descendent et nous
ordonnent de quitter la zone sinon ils
nous tirent dessus. .. Ils nous
ordonnent de jeter les olives ramassées
par terre et de nous en aller. Ils ne
nous permirent de garder aucune olive…
Deux heures après, nous entendîmes des
salves tirées d’une mitraillette. Nous
avons compris que certaines femmes
étaient revenues récupérer les olives
abandonnées : il s’agissait de Labiba
Radwan, Noura Ibrahim Hawwa, Khashfa
Na’meh ». La première fut tuée sur le
coup, et les deux autres ont survécu.
C’est suite à de milliers d’exemples de
ce genre que fut ravagée la terre de la
Palestine par les hordes coloniales,
soutenues par les puissances impériales.
Plusieurs villages
d’al-Jalil ne furent occupés qu’après la
chute des grandes villes. Ainsi, les
villageois de Nahr, près de Akka, se
sont déplacés momentanément après la
chute de la ville le 25 avril 1948, mais
ils sont revenus s’occuper de leurs
maisons et de leurs terres, et y planter
des légumes, jusqu’à ce que le village
soit bombardé et envahi. Ils en furent
alors expulsés le 16 mai et toutes les
maisons ont été explosées. Les habitants
affirment que 16 vieillards et 2
handicapés, qui n’ont pas réussi à
s’enfuir, furent froidement assassinés
par la Haganah, la future armée de
l’entité coloniale.
Les témoignages de
ces réfugiés, qui s’étaient déplacés
momentanément avant la chute de leurs
villages, sont différents cependant de
ceux des « infiltrés », sauvagement
pourchassés par des institutions
officielles sionistes, et non plus par
des bandes de colons (bien que leur
nature soit la même), alors que l’ONU
avait affirmé le droit des réfugiés à
retourner chez eux. Entre 1948 et
1951-52, l’entité sioniste poursuit le
grand « nettoyage », en assassinant ou
en expulsant une seconde fois ces
« infiltrés ». Certains sont revenus
pour combattre, après avoir assuré un
semblant de sécurité pour leurs familles
en exil. Ils se sont cachés pendant des
jours ou des mois dans les grottes, ils
furent aidés par les villageois restés
sur place et ont mené des opérations de
sabotage, refusant de se plier à la
logique de la force. D’autres sont
revenus, pour rejoindre des membres de
leurs familles, vivant dans des villages
encore épargnés, telle cette rescapée
qui a raconté être revenue du Liban
rejoindre son mari à Abu Sinan, près de
son village détruit (Kwaykat, dans al-Jalil).
Elle y est restée un an et demi. Mais un
jour, les forces « juives » sont venues
« avec des camions pour transporter et
expulser tous ceux qui n’étaient pas du
village de Abu Sinan » vers Nablus (sous
régime jordanien). Des « infiltrés »
furent arrêtés et détenus pendant de
longs mois, avant d’être à nouveau
expulsés. Un rescapé du village de Beit
Jibrin, situé au nord-ouest de la ville
d’al-Khalil, a été arrêté le 14 novembre
1948, alors qu’il était revenu prendre
de chez lui les denrées alimentaires
nécessaires à sa famille en exil. Un
autre du même village raconte que 72
« infiltrés » de son village ont été
froidement assassinés lors de leur
retour, citant une longue liste de noms.
Ni l’ONU, ni les
puissances « démocratiques » n’ont réagi
à ces expulsions, qui ne peuvent
être justifiées pour faits de guerre,
puisque la « première guerre
israélo-arabe » était terminée et que
des armistices avaient été signées.
Donc, l’expulsion massive des
Palestiniens « infiltrés » procède du
projet sioniste lui-même, qui est un
« nettoyage » ethnique, démographique,
culturel, religieux et civilisationnel,
de la Palestine, pour fonder un Etat
« purement » juif sur son sol, cadeau de
la communauté internationale au
mouvement sioniste, en vue d’y fonder
une entité relais des forces
impérialistes occidentales au cœur du
monde arabo-musulman.
La question des
« infiltrés », les réfugiés palestiniens
retournés en Palestine, comme celle des
réfugiés retournés « sauvagement » dans
leur pays, au cours des mois de mai et
juin 2011, lors des manifestations
massives des réfugiés aux frontières
entre le Liban et la Syrie d’une part et
l’entité sioniste de l’autre, révèle la
conception de la « communauté
internationale » du retour des réfugiés
à leur pays, quand elle aborde la sujet.
Pour elle et tous les autres organismes
qui s’arrogent le droit de parler au nom
des réfugiés, le retour ne pourrait se
concevoir que sous son patronage, et
avec l’accord de ceux qui ont volé le
pays et des puissances régionales qui
ont permis ce vol, c’est-à-dire de
manière à ne pas déranger ce que les
sionistes appellent « l’équilibre
démographique » de leur entité, soit le
maintien d’une entité démographiquement
étrangère à la région, servant les
intérêts des puissances impérialistes
(Etats-Unis, Europe). C’est précisément
contre cette conception que les réfugiés
réclamant leur retour, et non seulement
la reconnaissance de « leur droit au
retour », s’indignent et luttent. Le
retour au pays ne saurait passer par un
accord avec l’entité sioniste, et ne
saurait être un objet de marchandage
entre les forces en présence, sous
l’égide des Nations-Unies ou de la
communauté internationale, et peut
prendre toutes les formes possibles et
imaginables. C’est la première condition
pour que la région puisse vivre en paix.
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