Palestine
Palestine occupée :
Le triple assassinat de Yafa
Fadwa Nassar
Photo:
D.R.
Mercredi 5 février 2014
Les Européens l’appellent « Jaffa »,
mais son vrai nom est Yafa. Il y a
quelques jours, Livni, ministre
sioniste, s’est plainte que les
Palestiniens continuent à appeler leurs
villes par leurs noms d’origine. Yafa
donc, dont les racines plongent loin
dans l’histoire de l’humanité, est en
train d’être massacrée, mais l’UNESCO et
la « communauté internationale » dominée
par l’argent et les armes, ont décidé de
laisser faire. L’occupation sioniste de
la ville, qui se poursuit depuis 1948,
n’est rien d’autre qu’un massacre
civilisationnel par des colons venus
d’ailleurs.
Le premier assassinat de la « mariée de
la mer », surnom donné à Yafa, date de
la Nakba palestinienne, en 1948, lorsque
les bandes armées sionistes sèment la
terreur dans la ville, tuant et
massacrant, pour obliger ses habitants à
fuir. Avant 1948, la ville-port de Yafa
abritait près de 100.000 Palestiniens.
Après les massacres et l’expulsion, ils
n’étaient plus que 3500. Cette épuration
ethnique de la ville arabo-musulmane
n’aurait pu s’accomplir sans la
participation active de l’occupant
britannique, qui considérait d’ailleurs
la population autochtone du pays, les
Palestiniens, comme étant les
« non-juifs » dont il fallait régler la
situation. Si l’occupant britannique a
offert le cadre juridique, étatique et
militaire de la Nakba, celle-ci fut
commise par l’institution sioniste et
ses multiples bandes armées.
Avant même l’occupation britannique en
1920, Yafa était une grande ville
portuaire ouverte sur le monde
méditerranéen. Malgré le massacre commis
par l’armée napoléonienne en 1799, où
périrent 4000 de ses habitants, la ville
parvint à surmonter cet épisode grâce à
la stabilité politique relative qui y
régna au XIXème siècle, après le départ
de l’armée française. De petite ville
côtière, la ville de Yafa devint une
métropole marchande, reliant la ville
d’al-Quds et l’intérieur palestinien à
la mer. Son expansion économique (de
nombreuses industries) attira de
nombreux émigrés égyptiens et ses
quartiers se multiplièrent, brisant
l’enceinte antique qui la protégeait.
Les orangers qui l’entouraient
contribuèrent à sa renommée, et les
oranges de « Jaffa » étaient transportés
par ses chalutiers, d’abord, puis par
les grandes compagnies maritimes de
l’époque. Cette expansion contribua à
l’essor d’une vie socio-culturelle,
sportive, politique et artistique à Yafa,
où mosquées et églises rassemblaient les
fidèles, et où hôpitaux, écoles,
cinémas, théâtres et cafés côtoyaient
les maisons d’édition et les
imprimeries, les clubs de jeunesse et
les équipes sportives. C’est de Yafa que
s’élançèrent les premières
manifestations contre l’occupation
britannique, et ce sont les clubs
islamo-chrétiens de Yafa qui dénoncèrent
en premier le danger sioniste visant la
Palestine.
Puis ce fut l’invasion et la Nakba,
c’est-à-dire les massacres et les
expulsions, mais aussi les bombardements
et les attentats terroristes. Les colons
juifs qui débarquèrent, des pays du
Maghreb ou des Balkans, furent installés
dans les maisons palestiniennes, alors
que les survivants de la Nakba étaient
parqués dans quelques quartiers et
soumis au régime militaire pendant un
an : nul ne pouvait se déplacer, sans
autorisation spéciale militaire dans ces
quartiers assiégés séparés du reste de
la ville et du pays. Beaucoup de
familles palestiniennes avaient
cependant leurs propres maisons dans
d’autres quartiers. Celles-ci furent
confisquées avec tous les biens,
terrains ou maisons, des Palestiniens
réfugiés ou jugés absents, bien qu’ils
fussent présents dans le pays.
Le second assassinat consista à réduire
la ville prestigieuse de Yafa à un
faubourg pauvre de la colonie Tel Aviv,
devenue la capitale de l’Etat colonial.
Jusqu’aux années 90, la ville de Yafa,
asphyxiée par les colonies
environnantes, fut abandonnée non par
les Palestiniens, mais par
l’administration coloniale qui a préféré
développer la colonie Tel Aviv,
entièrement juive, au dépend de ce
faubourg où vivent des Palestiniens. Il
fut interdit aux Palestiniens de rénover
leurs maisons, dans l’attente qu’elles
tombent en ruine, pour les déloger.
C’est le même principe appliqué dans
tout le territoire occupé en 1948, puis
plus tard dans la partie Est de la ville
d’al-Quds, le but étant de regrouper les
Palestiniens dans des espaces de plus
en plus réduits, en fonction de
l’appétit colonial.
Les sionistes appellent les villes
qu’ils ont épurées à 90 ou 95%, des
« villes mixtes » alors qu’en fait, ce
sont des villes arabo-palestiniennes
épurées ethniquement et colonisées, et
où les colons vivent dans des quartiers
séparés des Palestiniens : l’apartheid
« israélien » a fonctionné avant 1967.
Même encerclée, la population
palestinienne a subi l’assaut de la
judaïsation. Les noms des rues et des
quartiers furent changés, tentative pour
masquer et détruire le caractère
arabo-musulman de la ville.
Le troisième assassinat de Yafa, qui se
poursuit jusqu’à présent, consiste à
envahir et judaïser les quelques
quartiers encore arabes, en chassant sa
population, pour les transformer en
« vitrine maritime de Tel Aviv ». La
libéralisation économique va de pair,
dans l’entité coloniale, avec la montée
de l’extrémisme juif et raciste, qui
s’invente un passé à Yafa et en
Palestine plus généralement, pour
confirmer la conquête territoriale.
Depuis les années 90, les bras de la
judaïsation s’acharnent à déloger les
Palestiniens, par des moyens directs ou
indirects, pour rénover les quartiers
restés palestiniens et y bâtir des
immeubles de luxe, donnant sur la mer,
au moment où les groupes d’extrémistes
juifs lancent des bombes, profanent les
cimetières musulmans et chrétiens, les
mosquées et les églises, menacent les
Palestiniens de Yafa dans des parades
racistes en plein centre de la ville.
Les pêcheurs de Yafa luttent contre les
yachts touristiques et les navires
détenus par les riches négociants de la
colonie Tel Aviv, voulant maintenir à
tout prix leurs moyens de subsistance.
Ils ont résisté aux pressions, seuls et
sans appui, et ont gardé leur espace
maritime, pourtant réduit aux
trois-quart. Les jeunes de Yafa, ainsi
que les divers partis politiques arabes,
relèvent la tête et refusent de livrer
leur ville aux projets concoctés par la
municipalité « Tel-Aviv-Jaffa ». Ils se
réapproprient leur espace, toute la
ville, avec l’aide des historiens et
autres académiciens, qui ont mis leur
savoir au service de leur cause. Depuis
plusieurs années déjà, les visites
guidées ont remis en avant le passé
arabo-musulman de la ville et les
initiatives des jeunes, organisés ou pas
dans les mouvements politiques,
prolifèrent. Comme dans d’autres villes
« mixtes », la jeunesse palestinienne
s’est radicalisée dans la lutte contre
l’entreprise sioniste et manifeste son
appartenance et sa soif de liberté.
Dans l’exil, les réfugiés de Yafa
affirment, non seulement leur
attachement encore vif à leur ville,
mais leur volonté d’y retourner, comme
l’a fait Hassan Higazi,originaire de
Yafa, le 15 mai 2011, lors de la
« marche du retour ». Qu’ils soient dans
les camps de réfugiés ou dans les pays
de l’exil, les réfugiés de Yafa ont
décidé que leur retour au pays libéré
est inévitable. L’état colonial et ses
colons qui n’ont aucune racine dans le
pays, ne peuvent s’opposer à la marche
de l’histoire et la justice.
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