Opinion
Le lobby d’Israël et la politique
française
Evan Jones
Vendredi 18 juillet 2014
Par Evan Jones
(revue de presse : blog mediapart –
10/7/14)*
Pascal Boniface est
un spécialiste de ce que les Français
appellent la « géopolitique ». Sa
production a été prodigieuse, traversant
une grande variété de sujets. Son
dernier livre a été publié en mai, il
est intitulé
La France malade du conflit
israélo-palestinien. Pour ses
efforts littéraires dans cette arène,
Boniface est passé du statut de
commentateur respecté à celui de
persona non grata dans les médias du
courant dominant.
Cette histoire a
commencé en 2001. Pascal Boniface était
conseillé au Parti Socialiste, le PS
étant alors dans un gouvernement de
cohabitation sous le Président RPR
Jacques Chirac, avec Lionel Jospin comme
Premier ministre. En avril 2001, il
rédigea une note de recommandation pour
les responsables socialistes
[téléchargeable à cette adresse :
www.marianne.net/attachment/62105].
L’approche du PS vis-à-vis d’Israël
était basée sur la realpolitik
plutôt que sur des principes éthiques,
et il était temps de faire une
réévaluation.
Boniface publia
dans Le Monde, en août 2001, un
article qui allait dans le même sens,
lequel déclencha riposte et réprimande
de la part de l’ambassadeur israélien
d’alors. Boniface devint ensuite une
proie rêvée pour le lobby d’Israël
(c’est mon terme – lui l’évite
assidûment). Boniface a été accusé, au
moyen d’un usage sélectif de citations,
de préconiser au PS de servir
cyniquement la soupe à la communauté
française arabo-musulmane, plus
nombreuse que la communauté juive, afin
de gagner un avantage électoral. Pas
plus tard qu’en janvier dernier, Alain
Finkielkraut (l’agitateur sur le
problème « islamiste » en France)
dénonçait Pascal Boniface pour les mêmes
raisons.
La note de 2001
contenant 1300 mots est reproduite dans
le dernier livre de Pascal Boniface.
Dans une note liminaire à cette
reproduction, il observe : « Combien
de fois n'avais-je pas entendu
auparavant qu'on ne pouvait pas bouger
sur le Proche-Orient à cause du "vote
juif" (sic) qui, bien sûr, n'existe pas,
mais qui semble malgré cela être
largement pris en compte par les élus de
tous bords ? » Et plus loin, « Ce
n'est pas parce qu'il y a plus d'Arabes
que de juifs qu'il faut condamner
l'occupation israélienne. C'est parce
qu'elle est illégale et illégitime,
contraire aux principes universels et au
droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes. »
Dans cette note
elle-même, Boniface fait remarquer :
« Le terrorisme intellectuel qui
consiste à accuser d’antisémitisme ceux
qui n’acceptent pas la politique des
gouvernements israéliens (et non pas
l’État d’Israël), payant à court terme,
peut s’avérer catastrophique à moyen
terme ». Pour paraphraser Boniface :
‘ … cela aura pour résultat de renforcer
et de développer une irritation à
l'égard de la communauté juive française
et l’isolera de plus en plus sur le plan
national’. Boniface conclut :
« Il vaut certes
mieux perdre une élection que son âme.
Mais, en mettant sur le même plan le
gouvernement d’Israël et les
Palestiniens, on risque tout simplement
de perdre les deux. Le soutien à Sharon
mérite-t-il que l’on perde 2002 ? Il est
grand temps que le PS quitte une
position qui […] devient du fait de la
réalité de la situation sur place de
plus en plus anormale, de plus en plus
perçue comme telle, et qui, par
ailleurs, ne sert pas […] les intérêts à
moyen terme du peuple israélien et de la
communauté juive française. »
Ainsi que Boniface
le souligne en 2014, « Cette note,
hélas, reste d’actualité ».
Ensuite, arrive le
11 septembre. Il y a une seconde
Intifada en Palestine. Boniface voulait
un débat interne au PS, mais il est
accusé d’antisémitisme. La dénonciation
trop facile du terrorisme amène avec
elle la prohibition de l’interrogation
sur ses causes.
Mécontent d’être
réduit au silence, Pascal Boniface
écrivit un livre en 2003, intitulé
Est-il permis de critiquer Israël ?.
Il essuya un refus de la part de sept
maisons d’édition avant de trouver un
éditeur. En 2011, il publia un autre
livre intitulé
Les Intellectuels Faussaires. Dans
ce livre, il demande des comptes à huit
personnages très en vue, non pas pour
leurs opinions (excessivement
pro-israéliennes, néo-conservatrices,
islamophobes) mais parce qu’il soutient,
preuves à l’appui, qu’ils déforment
obstinément la vérité. Pourtant, ils
sont tous régulièrement invités dans les
médias grand public en tant qu’experts.
La question ici est que le livre de 2011
a été rejeté par quatorze éditeurs,
auxquels il faut ajouter tous ceux que
Pascal Boniface ne s’est pas donné la
peine de démarcher, connaissant d’avance
leur réponse.
Il a trouvé
tardivement un petit éditeur disposé à
sortir Faussaires, lequel s’est
bien vendu malgré la censure médiatique.
Boniface note également que Michel Bôle-Richard,
journaliste reconnu au Monde, a
connu un rejet similaire de son
manuscrit
Israël, le nouvel apartheid par dix
maisons d’éditions avant de trouver un
éditeur de taille modeste en 2013. La
France malade, elle, fut
rejetée par la maison d’édition qui
avait publié son livre de 2003. Faute de
mieux, il a été publié aux éditions
Salvator, une petite maison de presse
catholique. Ainsi que Boniface le fait
remarquer, ‘c’est symptomatique du
climat en France et c’est précisément
pourquoi ce livre a été écrit’. Il
convient de noter qu’un grand nombre de
médias alternatifs, dont Marianne,
Le Canard Enchaîné et
Mediapart, évitent cette question.
La France malade
ne traite pas du conflit
israélo-palestinien. Mieux, ce livre
parle de l’influence alarmante qu’exerce
le lobby d’Israel national sur la
politique française et la société
française en général. L'auteur déclare
que l’on peut critiquer tous les
gouvernements du monde (on peut attaquer
sans merci le président français au
pouvoir), mais pas celui d’Israël.
Après 2001, le PS a
subi des pressions pour l’excommunier.
Deux groupes de presse régionaux ont
cessé de publier ses articles. Il y a eu
des tentatives de discréditer son
association – l’Institut de Relations
Internationales et Stratégiques (IRIS) –
et de le faire renvoyer. Il a été traité
d’antisémite.
Au sommet des
associations juives françaises se trouve
le Conseil Représentatif des
Institutions Juives de France. La
préoccupation dominante officielle du
CRIF est la lutte contre
l’antisémitisme. Lors de son dîner
annuel, son président cite le chiffre
total des incidents antisémites
enregistrés dans l'année, admonestant
les élites politiques qui y assistent
(‘la présence de ministres rivalise avec
celle du 14 juillet’) et qui n’osent pas
répliquer.
Il est vrai que les
événements antisémites sont récurrents,
et l’on a pu noter une progression de
ceux-ci pendant plusieurs années au
début des années 2000. Le Premier
ministre Lionel Jospin fut accusé de ne
pas mettre un frein aux fauteurs de
troubles (comprendre : les Arabes et les
Musulmans) issus des banlieues. Les
Socialistes ont été chassés du pouvoir
en 2002 et le CRIF est devenu un
énergique défenseur et soutien de
l’intransigeance du nouveau ministre de
l’Intérieur envers les troubles civils.
Mais Jospin était «
coupable » de bien plus. L’un des plus
ardents supporteurs socialistes
d’Israël, Jospin s’est rendu en Israël
et dans les Territoires Occupés en 1999.
Ayant pu se faire idée de visu, le
soutien que son gouvernement accordait à
Israël sous le régime de Sharon est
devenu moins ardent. Pour le CRIF, si la
position de la France n’est pas
pro-israélienne à au moins 100%, alors
les Juifs français courent un plus grand
danger. C’est pourquoi le CRIF maintient
comme impératif d’influencer à la fois
la politique étrangère et la politique
intérieure. Après les meurtres de trois
enfants et d’un adulte juifs (parmi
d’autres) perpétrés par Mohammed Merah
dans une école toulousaine en 2012, le
CRIF en fit encore porter la
responsabilité à Jospin. Ainsi que
Boniface le fait remarquer, le CRIF
tente perpétuellement d’influencer la
politique française mais se garde bien
d’influencer la politique d’Israël.
Lorsque l’éditeur
du livre de 2003 de Boniface rejeta son
dernier projet (prévu à l’origine comme
une édition révisée du premier livre),
l’excuse invoquée fut que celui-ci était
bourré de statistiques. Il y avait
effectivement des statistiques
(encouragées par l’engouement français
pour les enquêtes d’opinion et les
sondages), et elles étayent la cause
défendue par l'auteur.
Celui-ci souligne
un changement d’attitude après les
années 1960. L’antisémitisme était
toujours perceptible dans les années
1960 (accepteriez-vous une belle-famille
juive ? Un président juif ? Etc.), mais
il a décliné constamment depuis lors. En
même temps, le soutien populaire à
Israël a connu une baisse constante.
Jusqu’en 1967, le soutien en France à
Israël, en tant que « laissé-pour-compte
», est fort. Progressivement, les
attitudes ont changé. L’invasion du
Liban par Israël en 1982 constitue un
tournant. De plus en plus, les
manifestations du conflit – les
Intifadas, les échecs de Camp David et
plus tard d’Oslo – sont attribuées à
Israël. De plus en plus, la sympathie
est allée en faveur de l’occupé plutôt
que de l’occupant.
En 2003, une
enquête d’opinion à l’échelle du
continent européen a dévoilé qu’une
majorité des personnes interrogées, dans
tous les pays, voyaient Israël comme
menaçant la paix mondiale – devant les
Etats-Unis, l’Iran, la Corée du Nord, et
d’autres. Si les faits sont vilains, il
faut alors les enterrer. Il n’y a jamais
eu par la suite d’enquête comparable.
Avec un
antisémitisme en baisse et un dégoût
pour la politique du gouvernement
israélien en hausse, le principal
programme du CRIF a été de devenir un «
second ambassadeur » d’Israël sous
couvert de l’antisémitisme omniprésent
qui règnerait en France. D’autres
associations comme le Bureau national de
vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA)
et l’Union des étudiants juifs de France
(UEJF) font partie des fervents
supporters d’Israël.
Boniface cite le
président du CRIF Roger Cukierman, en
2005 : « Les enseignants ont la
lourde tâche d’enseigner à nos enfants
[…] l’art de vivre ensemble, l’histoire
des religions, de l’esclavage, de
l’antisémitisme. Un travail de vérité
s’impose aussi pour inscrire le
sionisme, ce mouvement d’émancipation,
dans les grandes épopées de l’histoire
humaine, et non comme un fantasme
repoussoir ». Et le président du
CRIF Richard Prasquier, en 2011 : «
Aujourd'hui les juifs sont agressés pour
leur soutien à Israël car Israël est
devenu le Juif des nations ». Après
2008, à la suite de l’accession de
Prasquier à la présidence du CRIF, le
CRIF a institutionnalisé l’organisation
de voyages en Israël pour les leaders
d’opinion français, et la réception en
France de personnalités israéliennes.
Boniface trouve
qu’il est odieux que l’antisémitisme
soit « instrumentalisé » pour protéger
les gouvernements israéliens quels que
soient leurs actes. Il y a une tentative
générale de censurer tous les événements
et les documents qui exposent la
politique d’Israël à l’examen.
Un cas typique est
la réunion de 300 personnes pour
débattre de la question du « boycott »,
qui était programmée en janvier 2011 à
la prestigieuse Ecole normale
supérieure. Parmi les participants
étaient invités la militante israélienne
pacifiste Nurit Peled, qui avait perdu
sa fille dans une attaque suicide, et le
formidable Stéphane Hessel. Le directeur
de l’ENS annula l’engagement à la suite
d’une pression directe. La ministre
[Valérie Pécresse - ndt] et
l’administration de l’enseignement
supérieur ont également subi des
pressions et, à leur tour, ont fait
pression contre l’ENS.
En février 2010, la
ministre de la justice de Sarkozy,
Michèle Alliot-Marie, a émis une
directive criminalisant ceux qui
appellent au boycott des produits
israéliens. La raison officielle qui fut
donnée était qu’un tel boycott milite
contre la liberté du commerce. Cette
directive prévoit une peine de prison et
une lourde amende, et la ministre de la
Justice, dans une circulaire, a chargé
les procureurs de la faire appliquer
vigoureusement. Même la magistrature a
critiqué cette directive, faisant
remarquer que sa prétendue dépendance
vis-à-vis d’une loi anti-discriminatoire
de 2004 est inadmissible et qu’elle
implique « un attentat juridique d’une
rare violence » contre un moyen
historique de lutter contre les crimes
d’État. Cette directive est toujours en
vigueur sous la présidence de Hollande.
Avril 2010, sous la
bannière Jcall.eu, un groupe de
Juifs européens respectés ont critiqué
l’occupation en défense d’une plus
grande sécurité pour Israël, exhortant à
« deux peuples, deux Etats » – ils ont
été attaqués. Mars 2012, Jacob Cohen, un
critique juif d’Israël, est physiquement
menacé par la Ligue de défense juive
(LDJ) durant le lancement de son livre.
Novembre 2012, la mairie du 19ème
arrondissement de Paris est attaquée par
le BNVCA pour son soutien à une
exposition sur les Bédouins du Néguev.
Son sponsor, l’Union juive française
pour la paix (UJFP), est traitée de
façade pour la propagande palestinienne.
Décembre 2012, l’Israélien Michel
Warschawski reçoit le « prix des droits
de l’homme de la République française »
– il est diabolisé. D’autres
intellectuels juifs de premier plan –
Rony Brauman, Edgar Morin, Esther
Benbassa, tous membres de l’UJPF, ainsi
que le franco-israélien Charles Enderlin
– sont diabolisés.
Juillet 2014, trois
jeunes Juifs israéliens sont assassinés.
Charles Enderlin fait un compte-rendu
depuis Israël. La chaîne de télévision
France 2 titre le reportage d’Enderlin
sur les « trois jeunes Israéliens » en
disant « jeunes colons ». Très respecté
pour ses reportages mesurés, Enderlin a
par la suite essuyé une volée d’injures
– du style : ‘il est temps d’organiser
un commando pour flinguer ce connard’.
Avril 2012, lors du
premier congrès des amis d’Israël.
L’Israélien Ofer Bronchtein, président
du Forum international pour la paix,
arrive en tant qu’invité officiel. La
LDJ l’agresse ; les organisateurs, dont
le CRIF, lui demandent de partir. Plus
tard, Bronchtein a observé :
« Si j’avais été
attaqué par des antisémites dans la rue,
d’innombrables associations juives
auraient rapidement appelé à une
manifestation à la Bastille. Lorsque ce
sont des associations fascistes juives
qui m’attaquent, tout le monde se tait …
»
Février 2013,
Stéphane Hessel décède. La vie de ce cet
homme a été un exemple de courage et
d’intégrité morale ; dans ses dernières
années, sa vie a été portée à notre
attention avec la publication en 2010 d’Indignez-vous
! Hessel, en partie juif, critiquait
fortement l’Occupation et le massacre de
Gaza en 2008-2009. Sa mort a été
fielleusement accueillie par le lobby.
Le CRIF l’a étiqueté de « maître à ne
pas penser » dont ils n’avaient rien à
apprendre et laissé entendre qu’il était
gâteux et naïf en procurant du réconfort
à la malice des autres. Un blogueur sur
JssNews a fulminé : « Hessel !
C’est le mec qui puait le plus (non pas
des aisselles mais de ses doigts
inquisiteurs à l’égard des juifs
d’Israël). » La LDJ s’est réjouie :
« Stéphane Hessel l’antisémite est
mort. Champagne!!!!!!!! »
Singulièrement, en
France, il y a la LDJ. Ses homologues
sont interdites en Israël et aux
Etats-Unis (mais pas au Canada) et la
LDJ représente le bras armé du lobby
d’Israël. Le CRIF regarde ailleurs.
Boniface note que la LDJ a été traitée
avec indulgence jusqu’à ce jour par les
autorités ; est-il nécessaire d’attendre
qu’il y ait un meurtre pour confronter
sa menace ? Sur l'assassinat récent des
trois jeunes Israéliens, un tweet de la
LDJ profère : ‘Les attentats sont tous
commis par les apôtres de l'Islam. Pas
d'arabes, pas d'attentats ! La LDJ va
répondre très vite et avec force.'
En tant
qu’ambassadeur de fait d’Israël, le
lobby tente depuis longtemps
d’influencer la politique étrangère
française. Boniface note qu’en 1953, le
nouvel ambassadeur israélien fut
accueilli par des représentants juifs
qui lui ont déclaré « nous sommes des
citoyens français et vous êtes l’envoyé
d’un État étranger ». Mais c’était
avant.
Lors de ses dîners
annuels successifs, le CRIF a appelé la
France à reconnaître Jérusalem comme la
capitale éternelle d’Israël et
d’incorporer Israël en tant qu’État
membre de la Francophonie (avec les
bénéfices financiers et le levier
culturel assortis). Sur ces fronts, le
CRIF n’a pas obtenu satisfaction. Mais
il a connu d’autres réussites sur le
front plus général.
Le tournant arrive
avec le refus de Jacques Chirac
d’autoriser la coalition des bonnes
volontés dans sa ruée criminelle pour
envahir l’Irak en mars 2003. Cela ne
fait pas rire le lobby. Et pourquoi ?
Qui avait un intérêt dans cette invasion
et cette occupation ? A la réticence de
Chirac lui fut ripostée une stratégie
concertée du lobby français en
association avec le lobby d’Israël aux
USA et les responsables du gouvernement
américain pour saper la position
française. Ainsi donc, la campagne de «
dénigrement français » – qui ne fut pas
spontanément générée par les masses
américaines après tout offensées. Dans
son livre de 2008, celui qui était alors
président du CRIF, Roger Cukierman,
exprime sa gratitude à la puissance du
lobby américain, et à sa capacité de
faire pression même sur le dirigeant
français à propos de l’Irak.
Boniface soutient
que Chirac est rentré dans le rang dès
mai 2003. Il y a des liens à haut niveau
qui ont été établis entre la France et
Israël. Après cela… Sharon est accueilli
en France en juillet 2005. La France
refuse de reconnaître la victoire
électorale du Hamas en janvier 2006
(malgré les liens historiques entre
Beyrouth et Paris). La France reste «
prudente » en ce qui concerne
l’opération Plomb Fondu d’Israël contre
Gaza à la fin de 2008 et l’attaque
meurtrière de la flottille turque en mai
2010. La France a certes voté « oui » à
l’ONU, en novembre 2012, pour un Etat
palestinien, mais en général la
politique étrangère française est devenu
prisonnière des impératifs israéliens,
grâce en particulier au lobby national.
* * *
En février 2006, un
jeune juif, Ilan Halimi, est torturé et
assassiné. Cet événement choquant
devient une cause célèbre dans les
médias. Le meurtrier d’Halimi était un
antisémite. Les infortunés membres du
gang du meurtrier ont écopé de diverses
peines de prison, mais une partie de la
communauté juive se plaint de leur
insuffisance, veut qu’ils soient rejugés
et fait pression sur l’Elysée. Le
meurtre d’Ilan Halimi est depuis
commémoré par le « Prix Ilan Halimi
contre l’antisémitisme », récompensant
toute initiative visant à déconstruire
les stéréotypes antisémites, et
plusieurs films sont en cours de
production. A peu près au même moment un
ouvrier de l’automobile a été assassiné
pour de l’argent (comme le fut Halimi).
Ce dernier meurtre n’a fait l’objet que
de quelques lignes dans la presse.
Boniface produit
des statistiques sommaires qui
soulignent le côté peu reluisant de la
violence dans la société française. Le
compte choquant des meurtres conjugaux,
des infanticides à grande-échelle et des
ravages des mauvais traitements ou
sévices sexuels infligés aux enfants.
Des dizaines de milliers d’agressions
contre la police et des fonctionnaires.
Une série d’attaques en groupe
choquantes avec menaces de mort contre
des membres des communautés asiatique et
turque – ceux qui sont censés conserver
beaucoup de liquidités chez eux.
Boniface fait remarquer que les
agressions antisémites (dont certaines
sont mal interprétées dans leur nature)
doivent être relativisées.
Et puis, il y a les
communautés arabe et musulmane. Une
enquête bienvenue a été menée dans les
écoles pour combattre le racisme. Un
élève fait innocemment remarquer que
toute tendance à montrer de
l’antisémitisme est accueillie par un
énorme appareil de condamnation. (la Loi
Lellouche de 2002 a durci les peines
pour racisme et, en particulier, pour
antisémitisme.) D’un autre côté, faisait
remarquer cet élève, les tendances à la
discrimination raciste contre les Noirs
et les Arabes sont ignorées ou traitées
à la légère.
Il y a, ainsi que
Boniface le formule, « deux poids, deux
mesures. Cela est largement ressenti et
très mal supporté. DPDM aurait pu être
le motif de son livre.
Les Arabes et les
Noirs s’abstiennent souvent de rapporter
les mauvais traitements ou les
agressions dont ils sont victimes parce
qu’ils pensent que les autorités ne
donneront pas suite à leur plainte. Des
femmes portant le voile sont
continuellement harassées et agressées
physiquement. Une jeune femme enceinte a
reçu un coup de poing dans le ventre et
a perdu son enfant. Il y a une
utilisation continuelle qui est faite du
terme « sale arabe ». Les Arabes et les
Noirs sont continuellement harassés par
la police à cause de leur apparence et
de leur supposée origine ethnique.
L’islamophobie s’intensifie, avec le
soutien implicite du CRIF et de
célébrités pro-israéliennes comme Alain
Finkielkraut. (Ce dernier a été
récemment élevé au firmament de
l’Académie française ; ses détracteurs
ont été traités d’antisémites.)
Salutaire est
l’éternelle humiliation que connaît
Mustapha Kessous, journaliste au
Monde. Boniface observe que Kessous
‘maîtrise parfaitement les conventions
sociales et la langue française'. Pas
suffisant, semble-t-il. A bicyclette ou
en voiture, il se fait arrêter par la
police qui lui demande s’il ne l’a pas
volée. Il se rend dans un hôpital mais
on lui demande, « où est le journaliste
? » Il assiste à une audience au
tribunal et on le prend pour l’accusé,
et ainsi de suite.
En 2005, un
franco-palestinien, Salah Hamouri, est
arrêté à un barrage de l’armée
israélienne et finit par être inculpé
sous l’accusation forgée de toute pièce
d’être impliqué dans le meurtre d’un
rabbin. En 2008, il accepte de «
négocier un plaider-coupable » et est
condamné à sept années de prison. Il a
été libéré en 2011 dans l’échange
collectif contre la libération du soldat
français des forces de défense
israéliennes, Gilad Shalit. En France,
Shalit est traité avec révérence, bien
qu’il se soit volontairement enrôlé dans
une force d’occupation. La situation
désespérée d’Hamouri a été traitée dans
l’indifférence générale. DPDM.
En mars 2010, Saïd
Bourarach, un agent de sécurité arabe
dans un magasin de Bobigny, est
assassiné par un groupe de jeunes gens,
juifs et connus de la police. Ils s’en
sortent en affirmant que l’agent
assassiné avait lancé des insultes
antisémites. En décembre 2013, des
jeunes juifs passent à tabac un serveur
arabe pour avoir posté une « quenelle »
(un geste anti-autorité ridiculement
déclaré comme répliquant une attitude
nazie, et donc antisémite) sur un réseau
social. Cet événement n’a reçu aucune
couverture médiatique.
DPDM. Les médias
sont en partie responsables. Les
autorités avec leur parti-pris manifeste
sont en partie responsables. Le lobby
est, lui, lourdement responsable.
Boniface est, à
juste titre, obsédé par la promesse d’un
universalisme officiellement ancré dans
la République française. Il s’oppose au
sabotage de cet impératif par ceux qui
défendent la politique indéfendable des
gouvernements israéliens et qui
détournent et faussent la politique en
France à cette fin.
Pour le mal qu’il
se donne, Pascal Boniface est dénigré et
marginalisé. Evidemment, il refuse de
s’avouer vaincu. D’où, La France
malade…
*Evan Jones est
économiste-politique, aujourd’hui à la
retraite, de l’université de Sydney.
Source :
Mediapart - 10 JUILLET 2014 -
JEAN-FRANÇOIS GOULON
Article publié le 9 juillet 2014 dans
CounterPunch,
The Israel Lobby and French Politics.
(Traduction: JFG-QuestionsCritiques)
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 7 juillet 2014 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
Le sommaire de Gilles Munier
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