Palestine
Ce qui motive l’engagement des
professionnels
de la santé mentale pour la Palestine
Elizabeth Berger, Samah Jabr
Samedi 17 février 2018
L’occupation israélienne de la Palestine
Dans une période de
désarroi mondial entourant les crises de
réfugiés dans de nombreuses régions, il
est aisé de perdre de vue le fait que
les Palestiniens composent l’une des
plus importantes populations de
réfugiés, et la population de réfugiés
la plus ancienne du monde. Sur les 11,6
millions de Palestiniens dispersés à
travers le monde, 4,5 millions vivent
aujourd’hui dans une insécurité apatride
à l’intérieur du territoire palestinien
occupé sous domination israélienne, une
zone géographiquement discontinue, de
plus en plus fragmentée, et allant
toujours en se rétrécissant, une zone
qui inclut la Cisjordanie, Jérusalem-Est
et la bande de Gaza. Le déplacement des
Palestiniens hors de leurs foyers par
les forces israéliennes, commençant en
1948 et se poursuivant jusqu’à ce jour,
est fondamentalement une conséquence
d’un unique facteur : l’ambition
israélienne de débarrasser le pays de la
population palestinienne aux fins de son
usage exclusif pour la population juive
israélienne.
L’impact
catastrophique de cette ambition a été
enduré par des générations de
Palestiniens qui ont souffert d’une
agression dévastatrice et constante,
militaire, politique, économique,
sociale et idéologique, une agression
nécessaire pour sécuriser leur projet
sur cette terre. Les conditions
historiques et actuelles pour les
Palestiniens, impliquant près de 70
années d’une purification ethnique
systématique et d’un contrôle
d’apartheid au nom du sionisme
politique, posent donc un énorme défi
moral.
La liste des
violations des droits humains perpétrées
par le gouvernement d’Israël dans son
occupation actuelle de la Palestine
constitue un catalogue de la terreur :
meurtres et fractures des os de
manifestants sans défense, armement des
colons israéliens afin qu’ils commettent
des actes de violence contre les
Palestiniens, bombardements d’hôpitaux
et d’écoles, irruptions dans les
domiciles et démolitions de maisons,
usages de gaz toxiques, arrestations en
masse, mises en détention, et tortures –
y compris les tortures sur des enfants.
On estime que
depuis 1967, le tiers de tous les hommes
palestiniens ont été mis en détention
par les forces israéliennes, souvent
sans qu’il ne soit porté d’accusations
contre eux, et il n’est pas rare que ces
détentions durent des décennies. Presque
tous ces détenus ont subi des mauvais
traitements, et la torture y est si
fréquente que les conséquences physiques
et psychologiques de la torture par les
Israéliens constituent un problème de
santé publique en Palestine.
D’autres formes
plus insidieuses de représailles contre
la communauté sont imposées par les
Israéliens, avec la destruction
délibérée, méthodique et massive des
systèmes économique, agricole, éducatif
et juridique en Palestine, de même
qu’avec le maintien d’une maîtrise
totale de son réseau routier, de son
eau, de son espace aérien, des
mouvements de sa population, et de ses
ressources naturelles. Les efforts
délibérés pour décimer la direction de
la société palestinienne grâce à un
ciblage spécifique de journalistes,
avocats, défenseurs des droits humains,
organisateurs de la communauté, et
législateurs – et notamment de
professionnels de premier plan de la
psychiatrie et de leurs familles, ces
efforts ont représenté un aspect
particulièrement malfaisant de la
politique israélienne.
Le déplacement
violent, la politique visant à stopper
l’extension démographique et le
développement économique de la société
palestinienne, et la dévastation du
peuple de Palestine n’auraient jamais pu
se faire sans l’astronomique et toujours
croissante masse de soutiens militaires
accordés au gouvernement d’Israël par
les États-Unis – une aide militaire
cumulée, depuis la fin de la Deuxième
Guerre mondiale, plus importante que
pour aucun autre pays, et estimée à près
de 100 milliards de dollars – des
soutiens militaires motivés par leurs
propres intérêts géopolitiques au
Moyen-Orient. Et cette guerre de chars
d’assaut et d’avions de combat a été
justifiée à travers une guerre de mots,
une campagne de propagande très bien
financée, présentant les Israéliens
comme de braves victimes qui défendent
la démocratie, et les Palestiniens comme
de dangereux fanatiques déshumanisés.
Les déformations de
la réalité à la base de la propagande
pro-israélienne et les détails des
crimes israéliens contre l’humanité ont
été documentés dans une succession de
rapports, des Nations Unies,
d’organisations de défense des droits de
l’homme comme Amnesty International et
d’organisations internationales contre
la torture, de même que par des
universitaires et des journalistes
internationaux ; de plus en plus
d’organisations israéliennes et
d’individus courageux qui se font
entendre en Israël s’expriment contre
l’oppression du peuple palestinien par
leur propre gouvernement et ses effets
pernicieux sur la société israélienne,
comme sur la société palestinienne. Des
mouvements de solidarité avec la
communauté palestinienne pour instruire
et convaincre l’opinion publique
mondiale ont émergé en de nombreux
endroits, ils se consacrent à mettre au
grand jour l’agression violente, le
racisme, et la violation des règles
internationales des droits de l’homme
commises par l’État d’Israël.
Le rôle des
professionnels de la psychiatrie
Les professionnels
de la psychiatrie, qualifiés de par leur
formation et leur expérience pour
écouter les intentions cachées sous les
apparences, ont la capacité de
désamorcer la puissance du récit
propagandiste pro-israélien en
distinguant le fantasme de la réalité,
et en identifiant les motivations du
déni, l’intérêt personnel et
l’aveuglement derrière ses affirmations.
Une telle position
propagandiste, fondamentale pour la
vision du monde sur le sionisme
politique, affirme la « spécificité »
inhérente à la population juive :
spécifique de par son passé de
victimisation en Europe, la population
juive exige un État ethnocentrique
militarisé à l’abri de toute critique et
exempté du droit international. Tout en
jouant sur la culpabilité de l’Occident
pour sa passivité et sa collaboration
avec l’Holocauste de la Deuxième Guerre
mondiale, l’affirmation contestable de
la spécificité israélienne offre une
apparence à première vue innocente, tout
en masquant la responsabilité morale
d’une avidité colonialiste voilée, d’un
sentiment de légitimité permanente et de
la violence impitoyable du gouvernement
israélien en assimilant toute critique à
de l’antisémitisme.
Une autre position
propagandiste est l’opinion « libérale »
souvent entendue que la violence
israélienne – bien que regrettable – se
reflète et se justifie par la menace de
la violence palestinienne ;
l’affirmation, elle aussi contestable,
d’une symétrie offre une apparence
d’inévitabilité tragique avec un partage
apparemment impartial de la
responsabilité et de l’empathie entre
les deux parties, tout en normalisant et
en soutenant secrètement le statu quo.
Dans l’ensemble, le professionnel de la
psychiatrie reconnaîtra dans les mauvais
traitements israéliens du peuple
palestinien les contours
caractéristiques de la dynamique de
l’abus : l’abus lui-même et la campagne
implacable qui s’ensuit pour saper la
crédibilité de la victime, pour détruire
chez la victime le respect d’elle-même,
et pour délégitimer et réduire au
silence le récit de la victime.
En identifiant les
manipulations propagandistes, notamment
en dénonçant ces prétendues vérités
coulant de source comme des distorsions
de la réalité, motivées politiquement,
les professionnels de la psychiatrie
peuvent élever le niveau de perception
de la réalité au sein du débat sur
Israël et la Palestine occupée.
En plus d’apporter
un éclairage pour le débat sur
l’occupation, la communauté de la
psychiatrie se trouve dans une position
unique pour évaluer sans erreur la
gravité de l’immense dommage
psychologique et social infligé par
l’occupation, grâce à une compréhension
professionnelle des conséquences
émotionnelles d’une guerre, d’une
occupation, et d’une insécurité
omniprésente, et spécialement à travers
le point de vue du développement de
l’enfant.
Sous cet angle, les
atrocités manifestes, qui maintenant
revêtent une importance dans l’opinion
grâce aux clips de vidéos virales
Internet (comme pour ces soldats
israéliens en train de frapper un enfant
palestinien), peuvent être placées dans
le contexte plus large de la violence
généralisée, du racisme, de la
fragmentation sociale, de la détention
sans procès, du chômage, de
l’appauvrissement, de la malnutrition,
du dysfonctionnement familial, de
l’humiliation et de la misère humaine,
et de l’impact dévastateur quotidien de
tous ces facteurs sur le bien-être
psychologique.
L’agression
psychologique de 1948, de conception
simple, visait à instiller la peur avec
l’objectif de persuader les Palestiniens
d’abandonner leurs maisons ; mais
l’agression psychologique d’aujourd’hui,
de conception très élaborée, vise à
détruire la morale palestinienne afin de
pousser vers un état de désespoir
passif, et de miner les origines de
l’individu, de la famille et la cohésion
sociale. L’objectif aujourd’hui est de
parvenir à un isolement psychologique
général et à la capitulation de toute
une population prisonnière qui n’a plus
où aller, et d’écraser une résistance
palestinienne à ses racines dans
l’esprit humain.
Les effets de
l’occupation dans tous les domaines de
la société palestinienne sont donc la
force agissante d’un fardeau important,
d’une détresse psychiatrique qui frappe
des millions de personnes, une détresse
dans laquelle ont été relevés de très
hauts taux de troubles psychiatriques
courants tels que la dépression,
l’anxiété et le trouble de stress
post-traumatique.
Mais, contrairement
aux dommages causés à une communauté par
un tremblement de terre ou une
inondation, le préjudice pour le peuple
palestinien inclut et dépasse le domaine
d’une lésion aiguë ; le peuple
palestinien a souffert d’une blessure
chronique provoquée par une injustice
chronique. Sous l’occupation, le peuple
palestinien est confronté à une
dégradation résolument infligée à tout
le système de valeurs qui lui a donné
son identité en tant que peuple.
Ce n’est pas
seulement le moi individuel qui a été
abîmé, c’est aussi le moi collectif.
Nous sommes placés devant un défi, en
tant que professionnels ayant mission de
guérir, le défi de devoir penser à de
nouvelles façons de développer des
théories et des pratiques globales
appropriées à ce contexte.
De notre point de
vue, la communauté de la psychiatrie est
particulièrement bien préparée pour être
active et dynamique pour affronter ces
défis cliniques et – dans le même temps
– moraux dans notre pratique quotidienne
si ces questions surviennent, et
au-delà, à travers nos organisations et
activités professionnelles. Nos
compétences professionnelles en tant que
praticiens exercés à une écoute active,
à clarifier les contradictions, à se
confronter à des pensées confuses, à
convaincre de la souffrance dans la
communauté et chez les soignants, et en
tant que défenseurs de la justice pour
les personnes vulnérables et les
victimes, ces compétences préparent les
professionnels de la psychiatrie à se
rendre utiles de multiples façons dans
la lutte contre l’occupation.
Nous encourageons
les professionnels de la psychiatrie en
premier lieu à ne pas nuire : par
exemple, il faut s’exprimer contre toute
participation de confrères dans des
rôles qui améliorent les pratiques de
l’occupation, tel qu’aider au
développement des techniques d’
« interrogatoire ».
En plus, nous
encourageons les professionnels de la
psychiatrie à s’associer à des projets
pour amplifier la portée du débat, à
témoigner, à documenter, et à s’engager
dans une recherche qui traite de
l’occupation, et à rechercher des
partenariats avec les Palestiniens pour
révéler toute l’ampleur des conséquences
de cette occupation. Il existe un grand
besoin de soutien aux initiatives
palestiniennes qui fournissent des
services psychiatriques directs pour les
patients, et de promouvoir des formes de
vie communautaire qui soient
véritablement thérapeutiques pour le
public palestinien. En tant que
professionnels de la psychiatrie, nous
avons des compétences, comme praticiens
et formateurs, qui peuvent être d’une
utilité pratique sur le terrain.
Mais de la même
manière qu’aucun professionnel de la
psychiatrie ne saurait traiter une
victime d’inceste ou de torture en cours
sans « en appeler aux autorités », aucun
professionnel de la psychiatrie ne peut
traiter une victime d’une occupation à
huis clos. Le devoir qui est le nôtre de
signaler les mauvais traitements fait
partie de notre professionnalisme et
dans de nombreux cas, il est codifié
dans la loi en tant qu’obligation
juridique qui nous incombe.
Les mauvais
traitements doivent cesser ou alors tous
nos efforts thérapeutiques deviennent
dénués de sens, ou peut-être même
nocifs, parce que les victimes de ces
traitements ont besoin de justice dans
le monde, autant que de thérapie. Le
traitement des victimes de violences est
donc multidisciplinaire dans son essence
parce que des forces extérieures, comme
la police et le système judiciaire, sont
requises pour restaurer les droits
fondamentaux des victimes, des forces
qui agissent en coordination avec la
psychiatrie en tant que discipline.
C’est être cohérent
avec notre mandat de professionnels
ayant mission de guérir que d’intégrer
des agendas de santé publique qui
examinent et agissent pour s’attaquer
aux causes profondes de la souffrance
humaine. Par conséquent, les droits
humains doivent être une question
importante pour les professionnels de la
psychiatrie, ce qui exige de militer en
réponse à leurs violations et à leurs
mépris.
Les conséquences
psychologiques et psychiatriques de
l’occupation israélienne ne relèvent pas
seulement du domaine psychiatrique, mais
aussi des domaines juridiques et
géopolitiques ; rétablir le bien-être
mental exige que nous fassions appel à
l’intervention d’autorités morales et
juridiques de stature internationale.
Tout comme les
organisations professionnelles en
psychiatrie ont coopéré avec les
législateurs et les juges pour élaborer
et faire respecter les lois protectrices
des victimes d’inceste, de viol, et de
violence familiale, de la même manière
la communauté de la psychiatrie doit
travailler dans un soutien mutuel avec
les organisations juridiques, politiques
et de défense des droits humains, pour
demander justice pour le peuple
palestinien et lui rendre sa dignité
humaine. Ainsi, en tant que
professionnels concernés, nous pourrions
être amenés à aller au-delà du cadre de
nos rôles professionnels habituels et à
agir comme un groupe à l’appui de
mouvements afin de parvenir à une
véritable mutation en Israël et en
Palestine occupée, qui respecte les
besoins humains et les droits humains de
toutes celles et tous ceux qui y vivent.
Nous devons nous
engager non seulement à agir en tant que
praticiens pour la libération de
l’individu, mais aussi pour la
libération de la communauté. Nous
appelons les professionnels de la
psychiatrie à s’engager dans une
solidarité socio-politique avec le
peuple de Palestine, en une position
thérapeutique.
De nous consacrer à
cette tâche alors que l’occupation se
poursuit nous apportera la compréhension
dont nous aurons besoin dans l’avenir,
en tant qu’acteurs positifs impliqués
dans le processus de réconciliation.
Poser la base d’une implication au
moment d’une crise nous prépare à
participer à une résolution de cette
crise qui assurera une réparation
authentique, la justice, et la plénitude
des droits civils pour le peuple de
Palestine.
Docteures Samah
Jabr et Elizabeth Berger M. Phil.
Traduction E.K.
Appel
International de professionnels de Santé
Mentale en faveur des droits du peuple
Palestinien.
Introduction
En tant que
praticiens de la psychiatrie, nous
espérons promouvoir l’intégrité de
l’individu. De la même manière, la
finalité de notre programme de santé
publique doit être de promouvoir le
bien-être émotionnel de la communauté.
Les conditions requises pour cela sont
la justice sociale et la jouissance des
droits de l’Homme universels.
Pour cette raison,
nous nous associons au peuple
palestinien dans sa résistance à
l’occupation militaire imposée par
Israël. Nous exprimons une opposition
toute particulière à la politique
israélienne qui inflige des souffrances
physiques et psychologiques généralisées
par :
-
la destruction intentionnelle et
systématique de l’économie, de la
gouvernance, de l’infrastructure de
santé, des institutions
d’enseignement et de l’intégrité
culturelle palestiniennes ;
-
la dégradation délibérée de la
cohésion de la communauté et de la
stabilité de la famille dont dépend
un développement sain des enfants ;
-
la violation omniprésente des droits
humains – notamment par la saisie
des terres, la démolition de
maisons, l’enlèvement et la
détention, l’imposition de
politiques racistes, l’humiliation,
le meurtre et la mutilation de
civils non armés, et la torture,
incluant la torture des enfants.
L’engagement
En solidarité avec
le peuple de Palestine et pour soutenir
nos confrères en Palestine qui exercent
dans des conditions extrêmes, nous nous
engageons :
– « à ne pas
nuire », en refusant donc d’apporter
notre soutien à des activités qui
normalisent explicitement ou
implicitement l’occupation, et de
justifier le rôle qu’y joue Israël ;
– à soutenir et, si
possible, à participer à des actions de
témoignage, d’information et de
recherche sur ce que vit le peuple
palestinien ;
à soutenir des
initiatives encourageant nos groupes et
organisations professionnels à adopter
une position morale en solidarité avec
le peuple de Palestine.
Réseau
international pour la Santé Mentale en
Palestine
Traduction E.K.
Lien vers la page web de la pétition
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même encouragée.
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