Arrêt sur Info
Allocution d’un prêtre de Syrie
devant
le Parlement Européen
Élias Zahlaoui

Père Elias
Zahlaoui dans son bureau à l’Eglise
Notre Dame de Damas
© Nadine
Zelhof
Lundi 8 janvier 2018
Allocution du Père Élias Zahlaoui
Mesdames,
Messieurs,
La crise syrienne a
soulevé, soulève et soulèvera des
questions, pour le moins gênantes.
Questions, en
premier lieu sur la légitimité de cette
guerre universelle contre la Syrie.
Questions aussi sur
les enjeux politiques et économiques,
apparents ou cachés, de cette guerre.
Questions enfin sur
les issues possibles et à venir, aux
plans tant régional que mondial, de
cette guerre.
Pour ma part,
prêtre arabe catholique, descendant de
la toute première communauté chrétienne
de Syrie, j’ai jugé de mon devoir de
syrien et de citoyen du monde à la fois,
de vous proposer mon approche
personnelle de l’une des raisons
profondes de la résistance absolument
inattendue, que la Syrie a opposée à
cette guerre.
D’ailleurs, vous le
savez tous, c’est cette résistance même
qui lui a valu, entre autres, l’appui
inconditionnel d’alliés comme la Russie
et l’Iran, qui se savaient menacés du
même sort, si la Syrie venait à tomber.
Tout au long de
sept ans bientôt, nuit et jour, vos tout
puissants médias, vous ont asséné des
ʺcertitudesʺ indiscutables, entre
autres, celle d’une guerre civile en
Syrie, et celle d’un régime de
dictature, qui massacre impunément son
propre peuple.
Tout cela,
Mesdames, Messieurs, ne vous
rappelle-t-il pas, les scénarios
utilisés pour la destruction de l’Irak,
puis de la Libye ?
Une levée
chevaleresque de tout l’Occident,
conduite au sein des Nations-Unies, par
les États-Unis, a valu à la Syrie une
déclaration de guerre, de la part de
(140) pays – pas plus ! – ainsi qu’un
embargo militaire, économique et
financier, sans précédent.
Cependant devant
l’échec de la mise en application du
célèbre droit d’ingérence, prétendument
humanitaire, dont le mérite d’invention
revient à Mr Bernard KOUCHNER, des
centaines de milliers de soi-disant ʺdjihadistesʺ
musulmans, furent, par, qui vous savez,
levés à travers une centaine de pays,
dont des pays européens et américains,
embrigadés, armés, entraînés, payés,
enfin téléguidés, voire commandés par
des spécialistes des réseaux des plus
puissants services secrets, pour être
envoyés par vagues successives, à
longueur d’années, en Syrie, pour y
promouvoir, disait-on, la démocratie, et
sauvegarder les droits de l’homme.
Le bilan de cette
malheureuse aventure, sur le plan
strictement humain, le voici en gros,
d’après les évaluations des
Nations-Unies :
-Sur une population
de 24.000.000 d’habitants, 12.000.000
d’errants sur les routes, soit à
l’intérieur du pays, soit ailleurs au
niveau du monde entier, voire sur mer…
-400.000 morts,
abstraction faite de toute appartenance
religieuse, de toute condition et de
tout âge…
-Des centaines de
milliers d’handicapés…
-Des dizaines de
milliers de disparus…
Et pourtant l’État
syrien a tenu, son Président a tenu, son
armée a tenu, sa population a tenu, ses
institutions gouvernementales de tous
ordres ont tenu, son corps diplomatique
a tenu, ses Instances universitaires et
scolaires, tant gouvernementales que
privées, ont tenu, tous les
fonctionnaires d’État, en poste ou en
retraite, même ceux des zones assiégées
par les ʺDjihadistesʺ d’Alkaïda, Al-Nousra,
Daëch et consorts, ont été et sont
jusqu’à ce jour, régulièrement payés…
Devant cet état de
fait, absolument incontournable, l’un de
vos meilleurs connaisseurs de la crise
syrienne, le français Michel Raimbaud, a
osé écrire, il y a un mois, que tout
cela frôle le miracle…
Miracle ou pas,
avouons que cette résistance inattendue
de la Syrie, a déjà provoqué bien des
interrogations, et ébranlé bien des
certitudes ʺpolitiquement correctesʺ…
Pour tout dire,
cette résistance exige sans retard, des
efforts honnêtes de recherche tenace et
courageuse, loin de tout calcul mesquin
ou chauvin. Car il s’agit pour vous tous
de comprendre le secret de ce terreau
strictement humain, de la Syrie
profonde, qui seul explique ce qui vous
paraît inexplicable dans cette
résistance même.
D’ailleurs sans
cette urgence, je vous avoue que je ne
me serais jamais permis de venir ici,
tant ma méfiance à l’égard de tout
l’Occident, Société et Église à la fois,
est grande.
En fait, il s’agit
pour nous tous, habitants de cette
splendide planète, d’une leçon urgente
et capitale à tirer, avant qu’il ne soit
trop tard.
Que cette assertion
vous étonne ou vous indigne, je me dois
de vous dire, en prêtre qui vit en une
société arabe à majorité musulmane, et
qui croit bien connaître les musulmans
et leur histoire, que vous avez,
vous-mêmes occidentaux, consciemment ou
inconsciemment, créé de toutes pièces,
en Occident, deux mondes musulmans, qui
n’ont, en fait, rien à voir avec
l’Islam.
Le premier de ces
deux mondes, concerne les innombrables
agglomérations musulmanes qui parsèment
aujourd’hui tout l’Occident. Ces
agglomérations, vous vous en êtes servis
pendant des décades, pour faire les
travaux que vos concitoyens répugnaient
à faire. Or leur grande majorité vit
jusqu’à ce jour, marginalisée au sein de
vos sociétés, et écrasée par un
sentiment d’infériorité, qui risque de
se transformer subitement en un
ressentiment explosif et ravageur. Vous
en avez déjà eu des preuves
inquiétantes.
Le second de ces
deux mondes, concerne les innombrables
groupes de ʺdjihadistesʺ, que vous avez
cru pouvoir créer et utiliser, pour
détruire ʺles autresʺ, tout en vous
croyant à l’abri de toute surprise
désagréable, en misant uniquement sur ce
que vous croyez être, vos tout-puissants
réseaux de défense. Or vous avez tous
vite déchanté.
Mais quel est donc
l’Islam, me diriez-vous ?
Mesdames,
Messieurs,
Ici, permettez-moi
de vous inviter à une lecture objective
de l’histoire des premières conquêtes
musulmanes :
Damas, en 635
Jérusalem, en 638
L’Égypte, en 641
L’Andalousie, en
711
En toutes ces
conquêtes sans exception, les musulmans
ont eu le génie d’inventer un style de
vie avec les habitants chrétiens des
pays conquis, qu’aucun envahisseur n’a
jamais connu, ni avant ni après
l’apparition de l’Islam. Et ce style
nouveau a produit une convivialité faite
de collaboration réelle avec les
habitants, dans le respect de leurs
églises, couvents, habitations,
propriétés, activités, et tout cela en
échange d’un tribut qui s’avérait
inférieur au tribut que les byzantins
chrétiens leur avaient imposé, sans
parler des exactions et violences de
toutes sortes que les byzantins
ʺorthodoxesʺ imposaient régulièrement
aux habitants ʺnon orthodoxesʺ de ces
pays, qui finirent par voir dans
l’envahisseur arabe et non chrétien, un
libérateur !
Je m’en voudrais de
ne pas souligner que cette convivialité
étonnante a surtout permis à tous les
habitants de ces pays conquis, tant
musulmans que chrétiens et juifs, de
vivre ensemble, de travailler ensemble,
voire de collaborer au plus haut niveau
de l’administration du Califat.
Cette convivialité
s’est approfondie et enrichie au cours
des siècles, au point d’avoir fait de
certains penseurs arabes chrétiens du
19e siècle, les créateurs de l’arabisme,
et de nombre d’entre eux, au 20e siècle,
les fondateurs et leaders de puissants
partis politiques arabes, en Égypte, en
Syrie, au Liban et en Palestine.
Or c’est cette
convivialité même qui constitue le fond
du tissu solide de la société syrienne,
et qui explique l’une des raisons
profondes de sa résistance au cours des
siècles en dépit de tous les
bouleversements que cette société a
connus jusqu’à ce jour.
Une tornade si
violente et si longue fût-elle, ne peut
venir à bout d’une forêt d’une vie
commune qui a mis 1.400 ans à enfoncer
ses racines dans une bonne terre. Telle
est la Syrie d’aujourd’hui.
D’ailleurs, si
l’Islam avait été l’espace d’un jour, à
l’image de vos ʺDjihadistesʺ
d’aujourd’hui, aucun chrétien n’aurait
survécu aux invasions musulmanes
connues.
Si devant de telles
assertions, vous avez l’ombre d’un
doute, permettez-moi de vous renvoyer
aux seuls historiens juifs, et même
israéliens. Je ne vous en citerai que
trois de nos contemporains : le premier,
un israélien, Aba EBAN, dans son livre
ʺMon Peupleʺ, le second, un français, et
c’est le rabbin Josy EISENBERG, dans son
livre ʺUne histoire des juifsʺ, le
troisième, un américain, Abraham LEON
ZACHAR, dans son livre monumental
ʺHistoire des juifsʺ.
Oui, mes amis,
l’Occident aujourd’hui a beaucoup à
apprendre de l’Islam même conquérant,
pour se sauver de l’Islam qu’il s’est
créé, d’abord en son sein, ensuite au
niveau du monde.
L’histoire apprend
à qui veut l’entendre, que c’est au
faîte de son pouvoir, que l’on reconnaît
la valeur réelle d’une personne, d’une
société, d’un peuple, d’une religion.
Serait-ce donc si
blessant de dire que l’Islam, au faîte
de son pouvoir, a en ses croyants,
réussi au cours de l’histoire, là même
où le christianisme a lamentablement
échoué en ses croyants ?
Tout cela,
Mesdames, Messieurs, croyez-moi, vous
concerne au plus haut point. Car il
s’agit, me semble-t-il, de l’avenir non
de l’Occident seul, mais du monde
entier.
Mes amis,
L’Occident
aujourd’hui, tout l’Occident sans
exception, si puissant soit-il, a le
plus haut intérêt à revoir rapidement
toutes ses politiques, à l’intérieur de
ses frontières, et au-delà au niveau du
monde entier. Oui je dis bien
aujourd’hui, et pas demain. Car demain
comme beaucoup le craignent, se prépare
dans une arrogance aveugle, un
cataclysme mondial auprès duquel la
seconde guerre mondiale paraîtrait comme
un jeu d’enfant.
Mesdames,
Messieurs,
Pour finir,
laissez-moi vous raconter un fait
récent, hautement significatif, survenu
le 27 septembre 2001. En ce jour, était
organisé pour la première fois à Damas,
un concert commun de chants religieux,
entre une chorale d’église que j’avais
fondée en 1977, et la troupe de
chanteurs musulmans, de la célèbre
mosquée des Omeyades. Ce concert avait
lieu sur le parvis de la Cathédrale
Grecque Catholique de Damas. Une foule
impressionnante y assistait, dont des
évêques, des prêtres et des ulémas
musulmans.
Entre autres
invités de marque, il y avait la Troïka
européenne, présidée par Mr Xavier
SOLANA; Mr Louis MICHEL, alors ministre
belge des affaires étrangères, en
faisait partie. Cette délégation était
accompagnée d’un reporter de la TV
belge, un certain Joseph MARTIN. La
Troïka européenne assista au concert
l’espace de vingt minutes seulement,
pressée qu’elle était par d’autres
engagements. Or au moment où elle
quittait le parvis de la Cathédrale, Mr
Joseph MARTIN faisait son reportage
devant le cameraman de la TV belge. Je
l’ai bien écouté. J’ai donc gardé de son
reportage, ce mot bien ancré dans ma
mémoire. Je vous prie de bien l’écouter
:
« Mr BERLUSCONI, au
lieu d’insulter le monde arabe et de
mépriser la civilisation musulmane,
aurait dû venir ici, pour combler son
ignorance ».
Mesdames,
Messieurs, Merci.
Père Élias Zahlaoui, le
6 décembre 2017
Source: Élias
Zahlaoui
Le
dossier Syrie
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