Opinion
Bataille de sanctions entre la Russie et
l’UE : et après ?
Dmitri Kossyrev
Photo: RIA
Novosti - © AFP 2014 Georges Gobet
Lundi 24 mars 2014
Source:
RIA Novosti
Jamais un sommet de l'Union
européenne n'avait ressemblé à ça: lors
du dîner des 28 chefs d’Etat de l'UE
jeudi dernier, le président du Conseil
européen, Herman Van Rompuy, n'a admis
aucun conseiller ou assistant. Il a
également exigé qu'aucun appareil mobile
ou électronique ne soit apporté au dîner
et pendant les autres réunions du
sommet.
Il serait intéressant de connaître la
teneur des conversations qui ont eu lieu
lors de cette réunion à huis clos, mais
également de savoir si la sécurité a
véritablement fouillé les dirigeants
européens à l'entrée et quelles ont été
les mesures prises à l'encontre de ceux
qui possédaient des appareils
électroniques. Pourquoi une telle
confidentialité? Pour que le public ne
sache pas ce que les dirigeants de
certains pays de l'UE disent et pensent
au sujet des
sanctions contre la Russie suite aux
événements en Crimée.
Tout est
clair avec la Crimée
Les chefs d’Etat européens ont tous
leur propre point de vue - et ne sont
pas d'accord. Selon les résultats
annoncés vendredi à l'issue du sommet,
il est clair qu'en réalité des sanctions
sérieuses et communes à toute l'UE n'ont
pas pu être adoptées. Mais les
dirigeants européens ne pouvaient pas se
quitter sans appliquer de nouvelle
sanction et, comme attendu, ils ont
élargi la liste noire des Russes
interdits de séjour en UE à 33
individus.
Comment s’appelle une situation où
l’on doit agir sans le vouloir? C'est
une situation où beaucoup d'aberrations
ont déjà été commises et il ne reste
plus qu'à reconnaître que c'était une
erreur ou alors, comme aujourd'hui –
feindre que tout a été fait correctement
et que les sanctions ont un sens.
Dans le cas présent, il s’agit de
reconnaître l'échec de la ligne suivie
depuis 23 ans: celle de l'européisation
de la Russie sous le diktat d'une
"Europe collective" ou d'un "Occident
collectif".
Le plus intéressant dans les
résultats du sommet est la signature de
la partie politique d'un accord
d'association entre l'UE et l'Ukraine
(une déclaration); la réflexion sur la
réduction de la dépendance gazière de la
Russie (jusqu'à l'été) ; et la "liste
des 33".
En fait, le sommet n'était pas
consacré aux événements qui ont déjà eu
lieu en Ukraine mais à ceux qui
pourraient encore se produire. Des
sanctions contre Moscou ont
effectivement été élaborées mais dans le
cas où la Russie souhaiterait annexer
d'autres territoires au sud-est de
l'Ukraine.
Tout cela est effectivement un
sérieux problème pour l'Europe,
notamment le fait que les autorités de
Kiev font effectivement tout pour
repousser le sud et l'est, voire
provoquer un conflit. Et la Crimée…
certains articles ont déjà mentionné
qu'en réalité Kiev était ravi de ne plus
avoir affaire à un territoire où la
population est clairement prorusse.
Le cirque et
les clowns
Les sanctions mutuelles entre les
Etats-Unis et la Russie étaient déjà
tombées deux jours plus tôt. Les USA ne
sont pas l'Europe et les intérêts
américains sont très éloignés des
affaires crimo-ukrainiennes: l'échange
d'interdictions et de listes noires
s'est donc transformé en véritable
cirque. Les Etats-Unis et la Russie ont
adopté une liste noire et ceux qui y
figurent en plaisantent et en rient. Et
il y a de quoi: le vieux clown du
conservatisme américain, le sénateur
John McCain, frappé par les sanctions
russes…
Les Etats-Unis n’ont qu’un faible
intérêt économique en Russie et sont
éloignés géographiquement de l'Europe de
l'est : il s’agit d’idéologie. D’un
remue-ménage inutile pour les électeurs
qui vivent encore un conte de fées
amusant, où il est existe encore une
Amérique toute-puissante, leader en
Europe et ailleurs. Dans ce conte de
fées, en dehors de la "communauté
internationale", il n'existe qu'une
poignée de "dictateurs" terrifiés à
l'idée de subir des sanctions… Lorsqu'on
montre ce conte de fées dans les
réalisations hollywoodiennes (qui a
souillé même les contes sur
Blanche-Neige et Alice au pays des
merveilles avec l'idéologie américaine,
en faisant de ces filles fragiles des
combattantes contre la "dictature"),
c'est tout simplement répugnant. Mais
dans la vie réelle…
Dans la vie réelle, par exemple, on
débat des sanctions comme outil de la
politique étrangère. Un article du
Foreign Affairs écrit que la Russie
n'est pas l'Iran et que les sanctions ne
permettront pas de l'anéantir. Le fait
est que les Américains s'obstinent à
croire que les sanctions contre l'Iran
ont été efficaces - ils en parlent
depuis longtemps tout en se
contredisant. Mais reconnaître qu'il a
été inutile de faire pression sur l'Iran
depuis des années et que de nombreux
autres pays ne craignent pas les
sanctions serait une révolution, pas
dans les consciences mais dans la mesure
où certaines choses peuvent être dites
ou non à voix haute. Et les révolutions
sont toujours désagréables.
Une refonte totale de l'Amérique est
nécessaire depuis longtemps. Mais le
système en place empêche Barack Obama
d’être le nouveau Mikhaïl Gorbatchev.
Malgré ses efforts pour ne pas se
retrouver pris en otage des erreurs
accumulées depuis des années et des
décennies, ou de la puissante inertie
des décisions antérieures portant sur
l'Iran, la Syrie et la Russie, il est
incapable d'organiser une "perestroïka"
rapide et intégrale.
On ignore combien d'années les USA
vivront ainsi. Ils ont déjà passé
l'étape "Brejnev" (ou McCain). Mais il
est difficile de dire où ils en sont
aujourd’hui. Par conséquent, il ne faut
pas s'attendre à une nouvelle politique
"russe" dès demain.
"Rejoindre
l'Europe": une drôle d'idée
La situation en Europe est
complètement différente. Perdre la
Russie et remporter un "cadeau" sous la
forme d'une Ukraine tombée en morceaux –
ce n'est pas pour demain, c'est pour
aujourd'hui, et c'est physiquement
proche. Dans le pire des cas, on
pourrait imaginer un chaos inattendu
dans toute l'Europe de l'est avec de
nouveaux Etats, dont les noms
confondraient même leurs voisins. Le
tout couplé au problème persistant des
immigrés du Moyen-Orient qui ne
souhaitent pas s'intégrer à la société
européenne. Qui aiderait dans cas les
Européens? La Russie?
Il y a quelques années il était déjà
impossible de ne pas commencer
l’élaboration d’une nouvelle politique
vis-à-vis de la Russie. Qui plus est
aujourd'hui. Au moins parce que les
Européens ont subi un grave préjudice
moral sous la forme du référendum de
Crimée. Certains (le premier ministre
britannique David Cameron, par exemple)
tentent de feindre que c'est une erreur
monumentale mais nous ne sommes plus en
2008, quand l'Europe pensait
sérieusement pendant deux mois que la
Russie avait déclenché la guerre en
Ossétie du Sud. Aujourd'hui, le tableau
médiatique est plus mitigé.
Par exemple, la Crimée a établi un
record unique dans toute l'histoire
indépendante de l'Ukraine par le taux de
présence dans les bureaux de vote
pendant le référendum sur
l’indépendance.
Puis les Européens ont épuisé leurs
dernières illusions selon lesquelles la
secte héréditaire des europophiles
aurait encore une influence en Russie.
Ne pas approuver les agissements des
autorités russes est une chose - tout
peut arriver - mais vouloir "rejoindre
l'Europe" tous ensemble en est une
autre. Cette même secte avait lancée
l'idée il y a quelques années que
l'élite russe était complètement
européenne (en termes de propriétés et
d'investissements à l'étranger) et de ce
fait contrôlable. Et voici que cette
idée, douteuse dès le départ, touche à
sa fin. Lorsqu'on prive quelqu'un de
cette propriété pour ses opinions
politiques, qui plus est par erreur,
c'est peut-être la méthode européenne.
Mais plus personne ne se fait
d'illusions.
Par conséquent, l'ancienne politique
européenne qui a entraîné la confusion
actuelle touche à sa fin. Une nouvelle
devrait voir le jour bientôt.
© 2014
RIA Novosti
Publié le
25 mars 2014
Le sommaire de Dmitri Kossyrev
Le
dossier Russie
Les dernières mises à jour
|