RIA Novosti
L’Ukraine : un nouveau Cambodge ?
Dmitri Kossyrev & Rossiya Segodnya
Situation
en Slaviansk - © RIA Novosti. Mikhail
Voskresensky
Lundi 5 mai 2014
Source:
RIA Novosti
Les événements qui continuent de
secouer l’Ukraine sont difficiles à
analyser, même si les faits principaux
sont connus de tous, a remarqué hier le
directeur général de l’agence
Rossiya Segodnya, Dmitri Kisselev. C’est
justement cette accumulation de faits
qui est, en soit, surprenante. Que
peut-on faire d’un Etat qui traverse une
telle situation : y-a-t’il une issue ?
Connait-on des précédents, qui
pourraient montrer la voie vers la
sortie de crise ?
L’Ukraine
n’est pas le Soudan
L'Ukraine est unique – comme tous les
autres pays du monde - et incomparable –
contrairement aux autres, on ne peut pas
lui trouver de point commun avec un
autre Etat. Même si les parallèles
sinistres sont nombreux pour l'instant,
il y a plus d'échecs que de succès.
Prenons l’exemple du Soudan : cet
Etat indépendant uni a existé de 1956 à
2011 et aujourd'hui, après un référendum
(terme qui énerve tout le monde
actuellement), le pays s'est divisé en
deux : le nord et le sud. Pourquoi ?
Parce que les habitants des deux régions
étaient pratiquement toujours en guerre,
parce qu'ils se pensaient différents,
notamment car dans le nord du pays
vivaient principalement les musulmans et
que le tableau était plus mélangé dans
le sud.
La situation a-t-elle été réglée ?
Non. Le Soudan du Sud se bat aujourd'hui
avec le Soudan du Nord, allant jusqu’à
des confrontations armées. Alors
pourquoi a-t-il fallu se diviser ? Cela
nous rappelle inévitablement le point de
départ dans les années 1950, quand le
leader du régime égyptien
révolutionnaire Gamal Abdel Nasser
rêvait de l'unification du Soudan et de
l'Égypte.
En 1955, il avait cherché à persuader
les autorités poststaliniennes d'URSS de
le soutenir également dans cette
entreprise. En vain. Mais cette histoire
rappelle que parfois, la structure
initiale d'un Etat contient des germes
de conflits.
Mais tout cela a déjà été dit des
centaines de fois à propos de l'Ukraine.
Voyons donc quand même les bons exemples
de règlement de situations insolubles.
Inutile de rappeler sur la base de
combiens d'anciens Etat est né le
Cambodge. Prenons un point de départ
relativement récent : 1991, quand a
commencé l'opération de maintien de la
paix de l'Onu la plus coûteuse de
l'histoire. De quoi s'agissait-il ? On
pourrait l’appeler le rétablissement du
Cambodge en tant que pays . Une
réinitialisation complète du système.
Et cela a fonctionné. L'auteur de ces
lignes s'est rendu à plusieurs reprises
au Cambodge pour constater d'année en
année la transformation d'une nation
anéantie en un pays tout à fait
comparable à la Thaïlande voisine. Des
touristes du monde entier partent
aujourd'hui en vacances au Cambodge et
certains Russes y finissent même en
prison.
Alors, quel est le secret ?
Occident
versus Orient
En 1970, les Américains qui
cherchaient des alliés dans la guerre
d'Indochine ont installé à Phnom Penh,
la capitale du Cambodge, le gouvernement
amical de Lon Nol. Il était tellement
haï dans le pays que l'arrivée au
pouvoir en 1975 de Pol Pot - protégé des
autorités chinoises d’ultragauche de
l'époque - a été accueillie comme une
fête. Ce dernier a réussi à tenir
jusqu'en 1979 : avant de partir, il
avait réussi à transformer le pays en
camp de concentration, massacrant entre
1 et 3 millions de personnes.
Il a été renversé par les
Vietnamiens, qui combattaient au côté
des unités militaires insurgées de Pol
Pot. Le tout a engendré un conflit
international car les pays voisins,
membres de l'Association des nations de
l'Asie du Sud-Est (ANASE), n'ont pas
accepté la violation militaire de la
souveraineté du Cambodge par le Vietnam,
même sous le prétexte de renverser le
régime de Pol Pot. Pire encore : la
partie de l’armée qui soutenait encore
ce dernier s'est déplacée dans l'ouest
du pays pour continuer à combattre le
nouveau gouvernement. Il y avait alors
au moins quatre belligérants dans le
pays, et de simples bandes. Tout cela a
duré approximativement jusqu'en 1998,
même s'il faut encore conduire
prudemment aujourd'hui dans l'ouest du
pays.
Qu'a fait l'Onu ? Elle a créé un
gouvernement d'occupation dirigé par un
Japonais neutre : Yasushi Akashi. Elle a
assuré la paix et déployé des programmes
d'aide. L'Onu a également fait revenir
le roi au Cambodge, ce qui ne pourrait
pas s'appliquer dans le cas de
l'Ukraine. Elle a organisé des
élections. De mauvaises élections, soit,
mais qui ont tout de même donné un
gouvernement à ce pays divisé par les
factions et armées privées.
De facto, la figure la plus puissante
de ce gouvernement était Hun Sen, entré
au Cambodge en 1979 sur un char
vietnamien. L'Occident (et l'ANASE)
voulaientt voir au pouvoir des hommes
complètement différents. A une certaine
période le Cambodge avait, de manière
tout à fait officielle, deux premiers
ministres : le premier et le second.
Mais des élections étaient organisées
d'année en année. Le peuple avait voté
pour Hun Sen, qui est toujours au
pouvoir. Les rangs de l'opposition armée
se sont dissous dans l'ouest et le pays
a commencé sa lente renaissance.
Comment ? Le plus important fut
l'entente entre tous les membres du
Conseil de sécurité.
Aucun pays, aucune force ne tentait
ou ne voulait "dompter" l'Onu pour
dominer au Cambodge.
La mission de l'Onu fut-elle un
succès total ? Pas du tout. Au moment du
retrait des troupes du pays, elle a
commis de nombreuses erreurs. Les
casques bleus entendaient même des tirs
derrière eux. L'histoire la plus
intéressante et instructive concerne le
procès des responsables du génocide de
1975-1979. Les pays de l'Onu (avant tout
l'Occident) n'arrivaient pas à
comprendre que l'ampleur du massacre
était si important que la nation
cambodgienne, vu sa mentalité, voudrait
vraiment oublier le passé et ne pas
juger le peu d'assassins ayant survécu.
Cette histoire se poursuit encore… Ils
font semblant de juger mais en réalité
attendent que les accusés meurent d'une
cause naturelle.
C'est évidemment le cas le plus
extrême de toute l'histoire mondiale.
Personne n'avait subi un nombre aussi
élevé de victimes par habitant. Dans
l'ensemble, le Cambodge n'a rien à voir
avec l'Ukraine, et tant mieux. L'Ukraine
a seulement fait ses premiers pas sur le
chemin cambodgien. Mais la question
n'est pas là : même dans la situation
cambodgienne, une issue a été trouvée.
La question est aujourd’hui de savoir
: faut-il pousser la situation
ukrainienne jusqu'à l'extrême ?
© 2014
RIA Novosti
Publié le 5
mai 2014
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