Syrie
La destruction de la Syrie:
une entreprise criminelle concertée
Diana Johnstone
Photo – Jordi Bernabeu Farrús/CC
by 2.0
Dimanche 9 octobre 2016
Tout le monde claironne qu’il veut la
fin de la guerre en Syrie, et restaurer
la paix au Moyen-Orient.
Enfin,
presque tout le monde.
« C’est comme un match éliminatoire où
vous avez besoin que les deux équipes
perdent, mais qu’au moins l’une d’entre
elles ne gagne pas – nous nous
satisferons d’un match nul, » disait
Alon Pinkas, un ancien Consul-Général
d’Israël à New York, au
New York Times en septembre
2013. « Laissez-les saigner tous les
deux, se vider de leur sang jusqu’à la
mort: c’est la pensée stratégique qui a
cours ici. »
Efraim
Inbar, directeur du
Centre Begin-Sadat pour les Études
Stratégiques, soulignait les mêmes
idées en août 2016:
L’Occident devrait chercher à affaiblir
davantage l’État Islamique, mais pas à
le détruire… Laisser des sales types
tuer d’autres sales types a l’air très
cynique, mais c’est utile et même moral
de le faire si ça occupe les sales types
et les rend moins capables de faire du
mal aux types bien… De plus,
l’instabilité et les crises contiennent
parfois les présages de changements
positifs… L’administration américaine ne
semble pas apte à reconnaître le fait
que l’EI puisse être un accessoire utile
pour miner l’ambitieux plan de Téhéran
pour la domination du Moyen-Orient.
D’accord, pas tout à fait tout le monde.
Mais
le site humanitaire Avaaz, lui, veut
assurément mettre fin à la guerre et
restaurer la paix.
Ou
pas?
Avaaz
fait actuellement circuler une pétition
qui a recueilli plus d’un million de
signatures et en vise maintenant un
million et demi. Elle va probablement
les atteindre, avec des termes comme
ceux-ci:
100
enfants ont été tués à Alep depuis
vendredi dernier.
Maintenant ça suffit!
Avaaz
poursuit pour déclarer: « il n’y a pas
de moyen d’arrêter cette guerre, mais il
n’y a qu’un seul moyen d’empêcher cette
terreur qui vient du ciel – les gens
réclament partout une zone d’exclusion
aérienne pour protéger les civils. »
Zone
d’exclusion aérienne? Ça ne vous
rappelle rien? C’est le stratagème qui a
été utilisé pour détruire les défenses
aériennes de Libye, et qui a ouvert le
pays au changement de régime en 2011. Il
avait reçu un soutien zélé de la part de
Hillary Clinton, dont le goût pour ces
mêmes méthodes en Syrie a été dûment
enregistré.
Et
quand l’Occident annonce « exclusion
aérienne », cela signifie qu’en fait il
y en a certains qui peuvent voler, mais
pas d’autres. Avec la zone d’exclusion
aérienne en Libye, la France, le
Royaume-Uni et les États-Unis ont pu
voler tout leur soûl, tuant
d’innombrables civils et détruisant les
infrastructures, laissant les rebelles
islamistes se tailler plusieurs tranches
du pays.
La
pétition Avaaz fait la même distinction.
Certains devraient pouvoir voler, mais
pas d’autres.
Construisons un appel mondial sonore et
fort pour Obama et d’autres dirigeants,
afin qu’ils résistent à la terreur de
Poutine et d’Assad. C’est peut-être
notre dernière chance pour aider à
mettre un terme à ce massacre en masse
d’enfants sans défense. Ajoutez votre
nom.
Donc
en fait c’est une affaire de massacre en
masse d’enfants sans défense, et pour y
mettre un terme il faudrait que nous en
appelions à Obama le « roi des drones »,
afin de faire cesser la « terreur qui
vient du ciel. »
Et pas
seulement Obama, mais aussi d’autres
« bons » dirigeants de pays membres de
l’OTAN:
Au
Président Obama, au Président Erdogan,
au Président Hollande, au Premier
Ministre May, et aux autres dirigeants
mondiaux: en tant que citoyens horrifiés
de par le monde par le massacre
d’innocents en Syrie, nous en appelons à
vous pour imposer une zone d’exclusion
aérienne au nord de la Syrie, comprenant
Alep, pour que cesse le bombardement des
civils syriens et pour garantir que
l’aide humanitaire atteigne ceux qui en
ont le plus besoin.
Le
moment de parution de cette pétition est
révélateur. Elle tombe exactement alors
que le gouvernement syrien fournit
l’effort pour mettre fin à la guerre en
reconquérant la partie orientale de la
ville d’Alep. Elle fait partie de
l’immense campagne de propagande
actuelle qui vise à réduire la
connaissance du public de la guerre en
Syrie à seulement deux facteurs: les
enfants victimes et l’aide humanitaire.
Dans
cette perspective, les rebelles ont
disparu. Tout comme tous leurs soutiens
extérieurs, l’argent saoudien, les
fanatiques wahhabites, les recrues de
l’EIIL tout autour du monde, les armes
US et le soutien français. La guerre
n’est que la conséquence de l’étrange
fantaisie d’un « dictateur », qui se
distrait en bombardant des enfants sans
défense et en bloquant l’accès à l’aide
humanitaire. Cette perspective réduit la
guerre de cinq ans en Syrie à la
situation telle qu’elle avait été
dépeinte en Libye, pour justifier la
zone d’exclusion aérienne: rien de plus
qu’un vicieux dictateur qui bombarde son
propre peuple.
Pour
un public qui aime consommer les
événements mondiaux sous forme de contes
de fées, tout cela se tient. Signez une
pétition sur votre ordinateur et sauvez
les enfants.
La
pétition Avaaz ne cherche pas à mettre
un terme à la guerre ou à restaurer la
paix. Elle cherche clairement à gêner
l’offensive du gouvernement syrien pour
reprendre Alep. L’armée syrienne a subi
de lourdes pertes en cinq ans de guerre,
et ses recrues potentielles ont dans les
faits été conviés à se soustraire au
péril du service militaire par un voyage
en Allemagne. La Syrie a besoin de
puissance aérienne pour réduire ses
propres pertes. La pétition Avaaz
appelle à paralyser l’offensive
syrienne, et donc à prendre parti pour
les rebelles.
Attendez – mais cela signifie-t-il
qu’ils souhaitent que les rebelles
l’emportent? Pas exactement. Les seuls
rebelles à priori suffisamment forts
pour l’emporter, c’est Da’esh. Et
personne ne souhaite vraiment cela.
La
vérité brute c’est que pour mettre fin à
cette guerre, comme avec la plupart
d’entre elles, il faut qu’il y ait un
gagnant et un perdant. Quand il devient
clair lequel des deux va l’emporter,
alors vient le temps où des négociations
peuvent avoir lieu, menant par exemple à
des amnisties. Mais cette guerre ne peut
pas être « cessée par des
négociations ». C’est le genre d’issue
que les États-Unis ne peuvent soutenir
qu’à la condition que Washington soit à
même d’employer les négociations pour
imposer ses propres marionnettes –
pardon, des exilés pro-démocratie
installés en Occident. Mais à l’heure
actuelle, ils seraient rejetés comme des
traîtres par la majeure partie des
Syriens qui soutiennent le gouvernement,
et comme des apostats par les rebelles.
Donc, il faut que l’un des deux
belligérants remporte cette guerre.
L’issue la moins pire serait que le
gouvernement Assad vainque les rebelles,
afin de préserver l’état. Pour cela, les
forces armées syriennes ont besoin de
reprendre la partie orientale d’Alep,
occupée par les rebelles.
Le
travail d’Avaaz est d’amener l’opinion
publique à s’opposer à cette opération
militaire, en la dépeignant comme rien
de moins qu’une entreprise conjointe
russo-syrienne pour massacrer des
civils, et en particulier des enfants.
Pour cela, ils en appellent à une
opération militaire de l’OTAN pour
abattre (c’est ce que signifie
« exclusion aérienne ») les avions
syriens et russes qui fournissent un
appui aérien à l’offensive de l’armée
syrienne.
Même
des mesures aussi dramatiques ne visent
pas à faire cesser la guerre. Elles sont
conçues pour affaiblir le belligérant
qui a le dessus afin de l’empêcher de
gagner. Cela signifie – pour employer
l’expression absurde devenue populaire
pendant la guerre en Bosnie [aux USA
et en anglais US, NdT] – « mettre
les joueurs sur le terrain sur un pied
d’égalité » [« create a level playing
field », NdT], comme si la guerre
était un événement sportif. Cela
signifie la poursuite de la guerre
jusqu’à ce qu’il ne reste rien de la
Syrie, et que ce qui reste de la
population syrienne remplisse des camps
de réfugiés en Europe.
Comme
le
New York Times le rapportait
depuis Jérusalem en septembre 2013, « la
synergie entre les positions d’Israël et
des États-Unis, si elle n’est pas
explicitement articulée par les
dirigeants de l’un ou l’autre pays,
pourrait être une source cruciale de
soutien pour M. Obama tandis qu’il
cherche l’accord du Congrès pour des
frappes chirurgicales en Syrie. » Ils
ont ajouté que « les préoccupations
d’Israël à propos de sa sécurité
nationale jouissent d’un large soutien
dans les deux grands partis à
Washington, et l’American Israel Public
Affairs Committee [AIPAC, principal
lobby pro-israélien aux USA, NdT]
est venu mardi apporter le poids de son
soutien à l’approche de M. Obama. »
(C’est à l’époque où Obama projetait de
« punir le Président Bachar al-Assad
pour l’emploi d’armes chimiques sans
utiliser la force, afin de l’évincer du
pouvoir » – avant qu’Obama choisisse
plutôt de se joindre à la Russie pour
démanteler l’arsenal chimique syrien, un
choix pour lequel il continue de subir
les foudres du lobby pro-israélien et de
la faction belliciste à Washington.) La
déclaration de l’AIPAC « ne disait rien,
cependant, de l’issue souhaitée à la
guerre civile… »
En
effet. Ainsi que l’article de Jérusalem
en 2013 poursuivait, « comme l’espoir de
voir émerger une force rebelle modérée
et laïque, à même de forger un
changement démocratique et un dialogue
constructif se réduit, du côté d’Israël,
une troisième approche attire
l’attention: laissez les sales types
s’entretuer. ‘La perpétuation de ce
conflit sert à tout point de vue les
intérêts d’Israël,’ a affirmé Nathan
Thrall, un analyste basé à Jérusalem
pour l’International Crisis Group. »
La
vérité toute simple est que la Syrie est
la victime d’une Entreprise Criminelle
Concertée de longue date pour détruire
le dernier état nationaliste arabe
laïque au Moyen-Orient, suite à la
destruction de l’Irak en 2003. Alors
qu’il avait été attribué à la répression
gouvernementale de « manifestants
pacifiques » en 2011, le soulèvement
armé avait été préparé depuis des années
et était appuyé par des puissances
étrangères: l’Arabie Saoudite, la
Turquie, les États-Unis et la France,
entre autres. Les motivations françaises
demeurent mystérieuses à moins qu’elles
ne soient liées à celles d’Israël, qui
voit la destruction de la Syrie comme un
moyen d’affaiblir son grand rival dans
la région, l’Iran. L’Arabie Saoudite
possède des ambitions similaires
d’affaiblissement de l’Iran, mais pour
des motifs religieux. La Turquie,
l’ancienne puissance impériale de la
région, possède des ambitions
territoriales et politiques qui lui sont
propres. Le découpage de la Syrie peut
tous les satisfaire.
Cette
conspiration flagrante et entièrement
ouverte de destruction de la Syrie est
un crime international majeur, et les
États mentionnés plus haut sont tous des
conjurés, des coupables complices. Ils
sont rejoints dans cette Entreprise
Criminelle Conjointe par des
organisations ostensiblement
« humanitaires » comme Avaaz, qui
diffusent de la propagande de guerre
déguisée en protection des enfants. Cela
fonctionne parce que la plupart des gens
ne peuvent tout simplement pas croire
que leur gouvernement ferait de telles
choses. C’est difficile de surmonter
cette foi réconfortante. C’est plus
naturel de croire que les criminels sont
des gens malveillants dans un pays dont,
en réalité, ils ne comprennent rien.
Il n’y
a pas la moindre chance que cette
entreprise criminelle retienne
l’attention des procureurs de la Cour
Pénale Internationale, qui comme la
plupart des grandes organisations
internationales est complètement
contrôlée par les USA. À titre
d’exemple, le Sous-Secrétaire Général
des Nations Unies pour les Affaires
Politiques, qui analyse et cadre les
sujets politiques pour le Secrétaire
Général Ban Ki Moon est un diplomate
étasunien, Jeffrey Feltman, qui était
l’un des pivots de l’équipe Clinton au
State Department pendant qu’elle œuvrait
pour le changement de régime en Libye.
Et les complices de cette entreprise
criminelle incluent toutes les
organisations pro-gouvernementales
« non-gouvernementales » telles qu’Avaaz,
qui poussent l’hypocrisie vers de
nouvelles abysses en exploitant la
compassion pour les enfants dans le but
de justifier et de perpétuer ce crime
majeur contre l’humanité et contre la
paix dans le monde.
Source:
http://www.counterpunch.org/2016/10/04/overthrowing-the-syrian-government-a-joint-criminal-enterprise/
Traduit par Lawrence Desforges
Le
dossier Syrie
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