Opinion
Abbas bloque la demande
à la Cour pénale internationale.
Pourquoi ?
David Hearst
Photo:
D.R.
Samedi 6 septembre 2014
C'est
une curieuse pièce de théâtre, qui s'est
jouée à l'extérieur du bureau du
procureur en chef de la Cour pénale
internationale à La Haye, le 5 août
dernier. On en était au 28e
jour de l'attaque israélienne contre
Gaza, exactement à mi-chemin de
l'opération, et le ministre palestinien
des Affaires étrangères y est allé d'un
coup de tambour.
Riad al-Maliki
a raconté aux médias qu'il y avait
« des preuves évidentes de crimes de
guerre » dans l'agression et il
était à La Haye pour « se tenir au
courant du travail de la CPI » et
« voir ce qui était réellement requis
(...) pour que la Palestine fasse partie
du tribunal ».
Ses
collègues les ministres palestiniens se
sont gratté les cheveux. Maliki savait
bien que faire. Cela avait déjà été fait
six jours plus tôt. Je puis révéler
qu'une demande juridique avait été
soumise à la CPI par le ministre
palestinien de la Justice Saleem al-Saqqa
et le procureur général de la Cour de
justice de Gaza, Ismail Jabr, le 30
juillet.
La CPI
était embarrassée elle aussi. Lors de la
réunion, Fatou Bensouda et son procureur
adjoint James Stewart ont voulu savoir
si la demande qu'ils avaient reçue le 30
juillet d'al-Saqqa et de Jabr avait été
faite au nom de l'Autorité
palestinienne.
C'était
le principal empêchement juridique qui
restait, puisque l'Assemblée générale
des Nations unies avait voté pour
accepter la Palestine en tant qu’État
observateur aux Nations unies.
Ils ont
fait la grimace quand Maliki leur a dit
qu'al-Saqqa et Jabr n'agissaient pas au
nom de l'autorité du gouvernement
d'unité, de l'Autorité palestinienne, ni
en celui du président Mahmoud Abbas.
Stewart
a confirmé la réunion dans une lettre à
des collègues, des hommes de loi
français, lettre que-mêmes lm j'ai
obtenue.
Il
écrivait ce qui suit :
« Le 5 août 2014, j'ai rencontré
le ministre palestinien des Affaires
étrangères, Son Excellence Monsieur
Riad Maliki, à qui j'ai fourni les
explications qu'il demandait à
propos des divers mécanismes pour
qu'un État accepte la juridiction de
la CPI ainsi qu'à propos du cadre
juridique du Statut de Rome. Lors de
cette réunion, j'ai cherché à
confirmer si oui ou non votre
communication datée du 30 juillet
2014 avait été transmise au nom de
l'Autorité palestinienne, à la suite
de quoi je n'ai pas reçu de
confirmation positive. Par
conséquent, il n'y a pas de base
juridique pour que mon bureau
considère et/ou traite la
communication du 30 juillet 2014
comme émanant d'un représentant de
la Palestine muni
des pleins pouvoirs requis pour
saisir la jurisprudence de la Cour
conformément à l'article 12(3) du
Statut. »
Le but
de Maliki en se rendant à La Haye au
beau milieu des bombardements
dévastateurs par Israël était d'empêcher
le suivi d'une demande juridique
d'affiliation de la Palestine à la CPI.
Pourquoi ?
Considérez la date – le 5 août. Deux
jours plus tard, le Hamas décidait
d'apposer sa signature sur une
déclaration palestinienne en vue de
s'affilier à la CPI, tout en courant
lui-même le risque de tomber sous le
coup d'une action pour crimes de guerre
en raison de ses tirs de roquettes à
l'aveugle depuis Gaza. La nouvelle de la
décision est parvenue au
Middle East Eye le 11 août.
Abbas
savait qu'une fois la décision rendue
publique, il ne pourrait plus utiliser
d'autres groupes palestiniens comme
prétexte à ses réticences quant à signer
la demande adressée à la CPI. La
démarche du Hamas le privait de cette
excuse. Et c'est ainsi qu'il a envoyé
al-Maliki à La Haye pour y mettre un
terme.
Pourquoi, une fois encore ? Il est plus
malaisé d'y répondre. La stratégie
consistant à utiliser les Nations unies
et l'accession aux institutions
internationales pour faire avancer le
statut d’État de la Palestine est la
sienne. Pourquoi, précisément lui, la
bloquerait-il ?
Il sait
qu'Israël est réellement préoccupé à
propos du lancement d'une procédure pour
crimes de guerre et se hâte déjà à
entreprendre des démarches pour empêcher
cette procédure. Pour devancer une
enquête imminente de la CPI, le
procureur général et l'avocat militaire
d'Israël lancent eux-mêmes leurs propres
enquêtes à propos de la campagne de
Gaza.
Comme le rapportait le
New York Times
aujourd'hui :
« La procédure d'enquête peut
également avoir pour but de contrer
les menaces de la direction
palestinienne de rallier la
Cour pénale de justice dans
l'intention de réclamer à
Israël des comptes à propos
de ses actions en tant que puissance
occupante. Généralement, la cour
n'enquête que dans les cas où le
pays impliqué refuse ou n'est pas en
mesure d'enquêter lui-même. »
Ainsi
donc, Abbas essaie de mettre le frein au
moment même où la signature du traité de
Rome de 2002 est une question urgente.
Des hauts responsables du Fatah
soupçonnent depuis longtemps les
motivations d'Abbas à vouloir postposer
la demande à la CPI. Abbas n'a jamais
cessé d'utiliser l'accession à la CPI
comme une monnaie d'échange avec Israël.
Le haut fonctionnaire du Fatah, Nabil
Shaath, a déclaré à l'adresse de
l'agence de presse palestinienne Ma'an
qu'Abbas allait activer sa demande à la
CPI si le Conseil de sécurité de l'ONU
rejetait une demande d'imposer un délai
de trois ans au retrait israélien dans
ses frontières de 1967.
En juin,
un rapport était éventé, rapport dans
lequel Saeeb Erekat, le négociateur
palestinien en chef, prétendait qu'Abbas
avait promis au Premier ministre
israélien Benyamin Netanyahu de ne pas
introduire la demande.
On
prétend qu'Erekat a dit ceci :
« Abu Mazen [Abbas], si vous
voulez virer Netanyahu, travaillez
sur les documents [de la demande
d'accès] aux institutions
internationales. Il a dit : 'Je me
suis engagé [à ne pas introduire de
demande auprès des institutions
internationales]'. 'Quel engagement
avez-vous pris ? Ce n'est pas ici la
ferme de votre père ! C'est une
nation, c'est la Palestine
! C'est plus important que
des individus. Il ne m'a pas écouté.
Je le jure, j'ai proposé ma
démission à deux reprises. »
Abbas et
Netanyahu se sont à nouveau rencontrés
en secret à Amman quelques jours avant
l'annonce du cessez-le-feu, bien que les
deux camps aient démenti la chose. Le
seul sujet de conversation a tourné
autour de la façon d'empêcher le Hamas
de crier victoire.
Depuis
lors, Abbas s'est remis à accuser le
Hamas d'avoir saboté l'unité du
gouvernement en prétendant qu'il n'a pas
encore laissé le pouvoir à ses ministres
à Gaza. Une fois de plus, il s'agit
d'une allégation bizarre, du fait que
les ministres eux-mêmes sont restés à
Ramallah et qu'ils n'ont pas essayé
d'exercer leurs devoirs à Gaza. Et Abbas
non plus ne s'est pas présenté.
Aussi
bien dans l'accord d'unité que dans le
cessez-le-feu, le Hamas a cédé à Abbas
d'importantes cartes à jouer : le groupe
militant a accepté que des troupes de
l'AP soient présentes à la frontière
avec l’Égypte à Rafah, que des ministres
d'Abbas – dont tous ont été nommés par
lui – pourraient gérer Gaza et qu'Abbas
pourrait être crédité de la levée du
siège de Gaza au cas où et quand un port
maritime serait ouvert et un aéroport
construit.
Le Hamas
a donné à Abbas la possibilité de jouer
le rôle de président palestinien à Gaza
même. En lieu et place, le président
palestinien, dont le propre mandat a
expiré, essaie désormais de mettre en
morceaux l'accord d'unité avec le Hamas.
Essayer de contrer l'accroissement du
soutien palestinien au Hamas – les
membres du Fatah se rassemblent pour
rallier le Hamas en Cisjordanie – est
plus important pour Abbas que de mettre
un terme à l'impunité dont Israël
bénéficie vis-à-vis des lois
internationales. Une ambition
personnelle qui ne verra jamais la
lumière du jour – le plan d'Abbas visant
à un retrait israélien de Cisjordanie
dans les trois ans – fauche l'herbe sous
le pied de la quête collective de
justice des Palestiniens.
Au
moins, Abbas a de la suite dans les
idées. Il traite la demande adressée à
la CPI de la même façon qu'il a tente
initialement de s'opposer à l'enquête
Goldstone sur une précédente campagne
militaire israélienne à Gaza.
Rappelez-vous cette infâmie,
lorsque, sous les pressions des
États-Unis et d'Israël, l'AP a
abruptement cessé de vouloir adresser à
la CPI le rapport Goldstone, qui
accusait aussi bien Israël que le Hamas
de crimes de guerre. L'AP avait
initialement insisté auprès du conseil
des droits de l'homme de l'ONU (UNHRC)
pour transmettre la question au Conseil
de sécurité de l'ONU, lequel, en
théorie, pouvait demander à la CPI
d'entamer une procédure concernant des
crimes de guerre.
Plus
tard, les fameux Documents
palestiniens ont révélé pourquoi il
en avait été ainsi. Le sénateur Mitchell
a présenté Erekat avec un document
contenant des propos qui allaient
annuler la possibilité de poursuivre
devant la CPI les hauts responsables
israéliens pour crimes de guerre à Gaza.
Dans le document de Mitchell, on pouvait
lire :
« L'AP contribuera à promouvoir
une atmosphère positive favorable
aux négociations ; en particulier
pendant les négociations elle
s'abstiendra à poursuivre ou à
soutenir directement ou
indirectement, dans les forums
juridiques internationaux, toute
initiative qui pourrait nuire à
cette atmosphère. »Erekat,
Abbas et l'Autorité palestinienne
ont accepté cela et se sont mis
d'accord pour demander un report du
vote de l'UNHRC.
Les Palestiniens ne sont pas gâtés avec
leurs dirigeants mais ce n'est pas la
faute de la CPI. Quand The Guardian
prétendait que la CPI
subissait des pressions
internationales pour éviter une enquête
sur des crimes de guerre,
Bensouda s'était indignée à raison.
Elle avait écrit :
« (...) le statut n'est pas
l'un des traités auxquels la
Palestine à décidé d'avoir
accès, pas plus qu'elle n'a rentré
une nouvelle déclaration suite à la
résolution de l'assemblée générale
de novembre 2012. C'est une question
de notoriété publique que les
dirigeants palestiniens ont
l'intention de lancer des
consultations internes pour voir
s'il vont agir de la sorte ; la
décision incombe à eux seuls et, en
tant que procureur de la CPI, je ne
puis la prendre à leur place. »
Ce n'est
que trop vrai.
Publié le 9 septembre 2011 sur
Huffington Post. Traduction pour
le site
de la Plate-forme Charleroi-Palestine
: JM Flémal.
* David Hearst est rédacteur en chef de
Middle East Eye. Il est éditorialiste en
chef de la rubrique Étranger du journal
The Guardian, où il a précédemment
occupé les postes de rédacteur associé
pour la rubrique Étranger, rédacteur
pour la rubrique Europe, chef du bureau
de Moscou et correspondant européen et
irlandais. Avant de rejoindre The
Guardian, il était correspondant pour
l’éducation au sein du journal The
Scotsman.
Les dernières mises à jour
|