Opinion
Balles puantes sur le port parfumé
Comaguer
Vue partielle de Shenzhen - D.R.
Vendredi 17 octobre 2014
En chinois Hong-Kong veut dire « port
parfumé ». Sans nul doute ce n’est pas
pour ses fragrances que la Grande
Bretagne a mis la main sur Hong-Kong en
1842 à l’issue de la première guerre de
l’opium mais certainement pour s’emparer
d’un site maritime exceptionnel, facile
à défendre, le lieu rêvé pour planter
ses griffes dans la chair de l’empire du
milieu et pour organiser sur tout le
territoire de l’Empire depuis cet
emplacement stratégique le commerce
mortifère et très rentable de la drogue
importée d’Inde. En effet la magnifique
rade de Hong-Kong servait de mouillage
aux clippers britanniques qui
constituaient, à l’abri de la curiosité
de la douane chinoise, le stockage
flottant de l’opium que les
commissionnaires britanniques
acheminaient ensuite vers Canton d’où
s’organisait la distribution vers le
marché chinois. Ainsi naquit la
prospérité de Hong-Kong.
A la proclamation de la République
populaire de Chine, le 1er Octobre 1949,
le peuple chinois et ses nouveaux
dirigeants reprennent le contrôle de
l’ensemble du territoire de la Chine
nationaliste dont les dirigeants ont fui
vers Taïwan. Il ne reste alors sur le
territoire historique de la Chine que
deux colonies européennes, très proches
l’une de l’autre : la britannique Hong
Kong et la portugaise Macao.
La Chine populaire annonce sans tarder
que ces deux enclaves européennes
devront lui revenir un jour ou
l’autre. Mais la Chine populaire qui,
entre guerre civile entre communistes et
nationalistes et guerre contre
l’envahisseur japonais, sort de plus de
quarante ans de guerre ne considère pas
la récupération de Hong Kong et Macao
comme une urgence et n’a jamais envisagé
de régler cette question par les
armes .Patience et longueur de temps ….
De leur côté les occidentaux qui voient
les progrès de la Chine populaire et les
progrès d’un régime communiste qu’ils
combattent mettent au point une
stratégie d’encerclement économique et
social. Il s’agit de favoriser à
proximité de la Chine populaire la
création d’une série de vitrines
chatoyantes du capitalisme occidental
destinées à démontrer la supériorité de
ce système. Vont donc surgir dans
l’économie asiatique 4 « dragons »
soutenus à bout de bras par les
Etats-Unis et leurs amis : Taiwan, avec
ses 20 millions d’habitants, longtemps
considéré par la diplomatie occidentale
comme représentant international des 500
puis 900 millions de chinois du
continent, la Corée du Sud, transformée
en trente ans sous un régime autoritaire
et même dictatorial pendant plusieurs
années, en un pays industriel très
avancé, Singapour Ville -Etat plus
lointaine mais ville chinoise aux
fonctions portuaire, financière et
industrielle développées et enfin
Hong-Kong. Quand en 1984, après de
longues négociations, Mme Thatcher, la
dame de fer, signe avec la Chine
l’accord qui rend à la Chine populaire
la souveraineté sur Hong-Kong, la
colonie britannique avec ses 7 millions
d’habitants représente à elle seule 16 %
du PNB chinois. Mais la Grande-Bretagne
n’a pas eu le choix. De 1949 à 1997
année de restitution officielle de
Hong-Kong à la République Populaire le
parti communiste chinois s’est installé
dans tous les rouages de l’économie
Hongkongaise : Hong Kong est dépendante
de la Chine populaire pour son eau et
une grande partie de son alimentation.
Pas un coup de feu de tiré,
la période de la colonisation
européenne de la Chine est formellement
close.
Mais les stratèges chinois savent très
bien que l’intégration de cette économie
capitaliste avancée dans une Chine en
voie de transformation rapide mais à un
niveau de développement moindre peut
engendrer une fascination pour la grande
masse du peuple chinois et en
particulier pour les habitants des
provinces du Sud proches de Hong Kong.
Il faut éviter que les dizaines de
millions de paysans de la province du
Guangdong qui entoure Hong Kong et qui
sortent peu à peu de la pauvreté ne
croient qu’à Hong-Kong, en régime
capitaliste, tout un chacun peut faire
fortune, éviter l’effet de fascination
de la vitrine capitaliste, éviter ce
qu’on pourrait appeler l’effet
« BERLIN-OUEST ». La réponse à cette
question se trouve dans la politique de
développement initiée par Deng Xiao Ping
à partir de 1979. Cette politique est
une politique d’ouverture d’une série de
zones portuaires aux capitalistes
étrangers. Dans ces zones dites ZES
(zones économiques spéciale) les
capitalistes étrangers peuvent installer
des usines, bénéficier du bas coût de
l’abondante main-d’œuvre chinoise, et
réexporter librement leur production.
Cette ouverture très maîtrisée permet en
quelques années de former le prolétariat
chinois aux techniques les plus avancées
de l’industrie du monde occidental. Le
rattrapage du retard chinois est à ce
prix et peut être considéré aujourd’hui
comme globalement très avancé, même si
dans tel ou tel secteur ou dans telle
zone géographique des retards existent.
Mais le pays est gouverné et ces
inégalités sont reconnues et surmontées
méthodiquement.
Cette politique a une dimension
géostratégique essentielle dans le cas
de Hong-Kong. La ZES qui va connaître la
plus formidable croissance est
directement adossée à ce qui va rester
jusqu’au 1er juillet 1997 la frontière
entre la colonie britannique et la
République populaire : il s’agit de la
ZES de SHENZHEN.
Ce nom aujourd’hui assez connu en dehors
de la Chine ne pouvait pas l’être en
1979 puisqu’il ne s’agissait que du nom
d’un
village de pécheurs. Ce village a
beaucoup grandi : l’agglomération de
Shenzhen compte aujourd’hui 10 millions
d’habitants, résultat d’une croissance
économique qui s’est faite à un rythme
supérieur à 20% par an. En même temps
l’industrie de la zone de Shenzhen est
passée progressivement d’une industrie
de main-d’œuvre fabriquant des produits
simples à une industrie
technologiquement plus avancée.
Résultat : aujourd’hui Shenzhen pèse
aussi lourd économiquement que Hong Kong
et une étape symbolique a été franchie
en 2013 : le port de commerce de
SHENZHEN inexistant en 1979 a dépassé
celui de HONG-KONG avec un trafic de
plus de 23 millions de conteneurs. Si on
ajoute à ces deux ports celui de
Guangzhou (Canton) un peu plus au Nord,
on trouve là la plus forte concentration
portuaire mondiale avec un trafic global
d’environ 70 millions de conteneurs. De
débouché indispensable de l’industrie du
Sud de la Chine qu’il était encore au
moment de son rattachement à la
République populaire en 1997, Hong-Kong
est aujourd’hui
un grand port parmi d’autres
grands ports. Le nombre de conteneurs
embarqués dans un port peu paraître au
lecteur comme un outil bien sommaire de
mesure de l’activité industrielle de son
arrière-pays. Pourtant il s’agit d’un
instrument très pertinent. Aucune
compagnie maritime et parmi les plus
puissantes du monde ne se risquerait à
envoyer des navires, aujourd’hui géants
– les derniers nés peuvent transporter
17000 conteneurs – pour embarquer des
boites vides dont aucun client ne
paierait le transport. Sur les 10
premiers ports à conteneurs du monde on
compte aujourd’hui 8 ports chinois. La
puissance exportatrice du pays tient là
son unité de mesure la plus claire.
Sur le plan boursier la bourse de
Shenzhen créée en 1990 est aujourd’hui
la seconde place financière chinoise
après Shanghai et fait jeu égal avec
celle de Hong-Kong.
La conséquence politique est évidente :
les habitants de Hong-Kong, Chinois de
culture et de langue qui peuvent,
moyennant un simple contrôle de leur
passeport hongkongais, se rendre
régulièrement à Shenzhen, y faire leur
marché, ne peuvent plus
être convaincus par les sirènes
occidentales de l’infériorité du
socialisme de marché à la chinoise même
si aujourd’hui le PIB par tête est plus
élevé pour les 7 millions d’habitants de
Hong-Kong qu’en moyenne sur toute la
Chine. Les capitalistes hongkongais ne
sont plus en mesure de peser sur la
politique chinoise quand la Région
Administrative spéciale de Hong-Kong
avec sa bourse, ses banques, son port,
ses activités industrielles et
tertiaires ne représente plus que 3% du
PIB chinois contre 16% en 1997.
En 2047 la phase transitoire commencée
en 1997 prendra fin et Hong-Kong
trouvera sa place dans la République
populaire comme une grande ville
chinoise parmi beaucoup d’autres sans
plus de régime administratif spécial. La
page sera définitivement tournée deux
siècles après les guerres de l’opium. La
longue partie de Go s’achèvera avec la
prise du dernier pion de l’adversaire.
L’actuel énervement impérialiste qui
fabrique et finance des troubles sociaux
chaque fois qu’il le peut chez tous les
pays qui refusent sa domination s’en
prend à la Chine à travers Hong-Kong.
Les faits sont attestés par
l’implication reconnue du
néoconservateur Wolfowitz et de la NED
(National Endowment for Democracy,
organisation financée par la Congrès
étasunien) dans la programmation des
manifestations de Hong-Kong : cette
attaque politico-médiatico-spectaculaire
de la République populaire
chinoise se fait par le biais du régime
politique transitoire de Hong-Kong qui
court de 1997 à 2047, feignant d’oublier
que la population de Hong-Kong a subi
pendant prés de 150 ans -avec un bref
intermède fasciste japonais- la rude
tutelle coloniale d’un gouverneur
britannique qui ne lui a guère laissé la
possibilité de s’exprimer, feignant
d’ignorer que, conformément au traité de
1984, la République populaire de Chine
est souveraine à Hong-Kong ; et ne
comprenant pas, en outre, que le
pluripartisme politique présenté comme
le fin du fin de la démocratie est un
programme qui a perdu tout pouvoir de
séduction là où il est appliqué puisque
les changements d’équipe dirigeantes
dans les grands Etats occidentaux
dominants ne débouchent que sur des
politiques identiques qui assurent la
domination de plus en plus brutale des
forces du Capital sur les sociétés de
leur pays et répandent la violence –
militaire ou économique par les
embargos, les sanctions et le racket de
la dette
- dans ou contre les pays qu’ils
veulent dominer.
Bulletin n° 275 - semaine 42 - 2014
http://comaguer.over-blog.com
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