Centre
d'information sur la Résistance en
Palestine
Karim Yunis, le doyen des prisonniers
palestiniens,
à cœur ouvert
CIREPAL
Karim
Yunis, doyen des prisonniers
palestiniens
Lundi 6 avril 2020 "Louanges à Dieu,
prières et paix sur le messager de Dieu,
sur sa famille et tous ses compagnons. A
ma naissance, Karim Yunis était détenu
depuis environ 7 mois. Le temps a passé,
puis je suis entré en prison, alors que
Karim y était déjà depuis 20 ans.
C’était en 2003, il se trouvait à
l’apogée de son aptitude, en tant que
l’un des plus importants dirigeants du
mouvement des prisonniers. En ce
temps-là, il faisait partie des rares
auxquels s’appliquait cette appelation.
Les années sont passées, sans que je
rencontre Karim. Par la grâce de Dieu,
je fus transféré à la prison de Haddarim
en 2014 pour étudier le magistère, mais
à cause de la division palestinienne, je
fus contraint de suivre, avec
quelques-uns de mes frères, les cours de
« licence » en sciences politiques, et
nous avions étudié avec Karim (cours sur
« la société arabe en Israël »)" ....
Cet entretien avec le prisonnier Karim
Yunis a été réalisé par le prisonnier
Iyad Rushdi Abdel Majid Abu Nasser, dans
la prison de Ramon.
Le prisonnier Iyad
Abu Nasser est né le 7/8/1983, à Deir
Balah, bande de Gaza. Il est détenu
depuis le 10/3/2003, et condamné à 18
ans de prison, pour résistance à
l’occupant. Membre du Mouvement du Jihad
islamique en Palestine, il a obtenu
plusieurs diplômes délivrés par
l’université al-Aqsa à Gaza (histoire)
et l’université ouverte al-Quds Abu Diss
(sciences politiques et sciences
sociales) au cours de sa détention, et
il a été transféré dans la plupart des
prisons sionistes.
(extraits)
Introduction
Louanges à Dieu,
prières et paix sur le messager de Dieu,
sur sa famille et tous ses compagnons. A
ma naissance, Karim Yunis était détenu
depuis environ 7 mois. Le temps a passé,
puis je suis entré en prison, alors que
Karim y était déjà depuis 20 ans.
C’était en 2003, il se trouvait à
l’apogée de son aptitude, en tant que
l’un des plus importants dirigeants du
mouvement des prisonniers. En ce
temps-là, il faisait partie des rares
auxquels s’appliquait cette appelation.
Les années sont passées, sans que je
rencontre Karim. Par la grâce de Dieu,
je fus transféré à la prison de Haddarim
en 2014 pour étudier le magistère, mais
à cause de la division palestinienne, je
fus contraint de suivre, avec
quelques-uns de mes frères, les cours de
« licence » en sciences politiques, et
nous avions étudié avec Karim (cours sur
« la société arabe en Israël »). En
réalité, nous avions étudié tout ce qui
concerne la question palestinienne, dans
ses moindres détails. Je peux affirmer
que peu de dirigeants de mouvements en
prison peuvent égaler Karim quant aux
détails, les chiffres, les dates et les
causes.
A ce moment, je me
suis rapproché de Karim, et j’ai fait
connaissance de sa personnalité
spontanée, simple, calme et surtout
modeste, de telle sorte que je n’ai
jamais ressenti la différence entre
nous, que ce soit par rapport à l’âge, à
l’expérience ou la lutte, comme si je le
connaissais depuis longtemps.
Lorsque la division
a eu lieu dans les prisons, et que s’est
instauré le fait que toute organisation
devait avoir son représentant spécial
auprès de la direction, j’ai ressenti
combien nous avions besoin de notre
unité à l’intérieur comme à l’extérieur
des prisons, d’autant plus que la
direction carcérale et ses appareils
sécuritaires ont malmené les prisonniers
dans le cadre de la division. Il est
devenu évident que la force du Fateh est
une force pour le Hamas, et la faiblesse
du Fateh une faiblesse pour le Hamas. En
fait, la faiblesse de chacune des
assises de la résistance est une
faiblesse pour la Palestine et al-Quds.
Le pire est l’allongement de la durée de
l’occupation de notre terre (...)
Le
bourg de 'Ara
Question :
Peux-tu nous parler de ton lieu de
naissance ?
Réponse : Je
suis né et j’ai vécu dans le village
‘Ara, au nord du « Triangle » dans la
Palestine occupée en 1948. Mon village
se trouve au centre du Triangle, dans la
vallée de ‘Ara, à proximité de la route
stratégique principale qui relie le
sud-ouest au nord-est de la Palestine,
principalement à la ville de Khudayra,
la région de Marj bin Amer et la ville
de ‘Afula, qui ont été et sont toujours
dépendants de la province de Haïfa.
‘Ara se trouve en
face du village de ‘Ar’ara, qui est
situé sur les pentes du mont Al-Khattaf.
Les deux villages sont séparés par la
route principale. Aujourd’hui, les deux
villages sont considérés comme faisant
partie d’un seul bourg et ont un seul
conseil local. Ils sont éloignés de 5 km
de Umm al-Fahem et de deux km de Kfar
Qare’. En 1948, la superficie des terres
du village s’élevait à 28.000 dunums.
Plus de 65% de ces terres ont été
confisquées, il n’en reste que 8000.
C’est la situation de tous les villages
dans l’intérieur palestinien.
Le nombre
d’habitants des deux villages s’élève
aujourd’hui à environ 16.000 habitants.
La grande majorité des habitants vivait
de l’agriculture, mais avec le temps,
ils sont devenus employés. Il y a
plusieurs écoles, dont une école
secondaire depuis des dizaines d’années
qu accueille des dizaines d’élèves des
villages de la région. Le taux des
instruits est élevé, par rapport aux
villages voisins. D’après mes souvenirs,
le village était central malgré sa
taille, à cause de sa situation
géographique, il y avait un bureau de
poste, une banque et le seul poste de
police dans la région. L’école
secondaire fut la première dans la
région, ce qui a affecté la situation
sociale, économique, religieuse et
éducative de la population.
Comme les forces
sionistes n’ont pu l’occuper en 1948
malgré plusieurs tentatives, ‘Ara et
‘Ar’ara ont accueilli un grand nombre de
déplacés des villages voisins qui ont
été expulsés. La lutte dans les années
60 était modeste, et plusieurs militants
y ont vu le jour, comme Hamze Yunis,
Issam Yunis qui a pour surnom ash-Sharif
et Fadel Yunis, et d’autres.
Question :
Donc, tu n’es pas réfugié, ‘Ara est ton
village d’origine ?
Réponse : Je
ne suis pas réfugié, je suis né et ai
vécu dans le village de ‘Ara en
Palestine occupée en 1948. Le
« Triangle », comme beaucoup le savent,
a résisté aux assauts des milices
sionistes au cours de la guerre de la
Nakba en 1948.
Malgré plusieurs
tentatives des milices et de l’armée
sionistes, plus de six mois, pour
l’occuper et occuper les villages
voisins, les révolutionnaires locaux,
sous la direction des officiers
irakiens, ont empêché l’occupation et
ont vaillamment défendu leur peuple et
leurs terres, et ont fait subir à
l’ennemi de lourdes pertes en
vies humaines et l’ont obligé à se
retirer.
Mais malgré cette
résistance, et bien que la région était
considérée comme faisant partie de
l’Etat arabe palestinien en 1947, le
« Triangle », à cause de son importance
stratégique, était particulièrement visé
par les sionistes. Il leur fut concédé
en avril 1949, sans contrepartie, par
les accords de Rhodes. Ainsi, la région
du Triangle, dont la superficie est de
285 km2 et ses 28 villages dont la
population s’élevait à 34.000 personnes,
a été incluse dans les frontières de
1948 et annexée à l’entité.
Q. : Qu’a
signifié pour toi la question de l’exil
palestinien, dans tous les cas ?
R. : La
question de l’exil palestinien et de la
Nakba est à la base l’histoire et la
question du peuple palestinien. La
Nakba, la défaite des Arabes et des
Palestiniens, le nettoyage ethnique
pratiqué par les milices sionistes en
1948, ne sont pas un mal passager et
facile, et comme l’explique Constantine
Zrayk, ce fut une catastrophe (Nakba)
dans tous les sens du terme, et une des
épreuves les plus dures que nous ayions
subies, nous les Arabes et les
Palestiniens. La situation
d’expulsion, d’exil et
d’éparpillement est à la base du
déclenchement de la révolution
palestinienne contemporaine, déclenchée
pour reprendre la terre, pour le droit
au retour et le droit à
l’autodétermination, comme principal
objectif. Sans la réalisation de cet
objectif, rien ne justifie la présence
de la révolution palestinienne.
Maher
Yunis
Q. : Est-ce
que tu as été influencé par une ou
plusieurs personnes, ou par des
événéments, dans ta vie militante ?
R. : Mon
père, que Dieu lui accorde Sa
miséricorde, a marqué ma personnalité
depuis ma tendre enfance. Je me souviens
de mon père pleurant lors de « Septembre
Noir » et les massacres de Jarash
(Jordanie). Il était très inquiet à
propos de Abu ‘Ammar (Yasser Arafat), de
ce qui se passait au Liban et à Tell
Zaatar. Mon père était connu pour son
patriotisme et sa fierté d’être Arabe.
Il ne se rapprocha
jamais de l’occupant ni de l’Etat juif.
Il me parlait souvent des fidayins, de
la révolution, des villages démolis, il
nous y emmenait parfois, et nous
incitait à étudier et à suivre les
événements politiques. Après
l’occupation de la Cisjordanie et la
bande de Gaza, il nous emmenait pour
acheter nos provisions,
à Tulkarm et Jénine, et évitait
les « villes juives ». Je me rappelle
aussi que lors de mon arrestation, il
m’a dit au cours de la première visite,
après trois mois de détention et
d’interrogatoires, qu’il était fier de
moi, de son fils, qu’il était fier de
l’éducation qu’il m’avait donnée : « les
jeunes comme toi font l’histoire »,
ajoutant : « pourquoi ne m’as-tu pas mis
au courant, j’aurais été le premier à
t’aider et à te guider ».
Il y a aussi deux
ou trois personnes qui ont influencé mon
appartenance et ma lutte. La première
est mon cousin, le grand combattant qui
a brisé les murs et a été surnommé
Al-Za’baq (le mercure), Hamze Yunis, qui
a fui trois fois des prisons sionistes,
et qui a pris la tête du mouvement
Fateh. Il était officier lors de mon
arrestation. Je me rappelle lorsqu’il se
tenait debout devant le juge militaire
au tribunal d’al-Lid en 1973, et
son défi au juge qui l’avait condamné à
495 années. Il lui a dit : « je me suis
enfui de vos prisons deux fois et
j’arracherai mes chaînes et me libèrerai
une fois encore, toutes ces années de
vos condamnations ne valent rien. »
Effectivement, c’est ce qui a eu lieu,
il a disparu de la prison moins d’un an
plus tard.
Hamze, que Dieu lui
allonge la vie, était et est toujours le
modèle du combattant. Il est responsable
de mon appartenance au mouvement Fateh.
Quant à l’autre
combattant, il est également mon cousin
et voisin, il était plus âgé que moi de
8 ans, c’est le jeune héros martyr Issam
Yunis, connu sous le nom de Sharif
Yunis. Je me rappelle comment il a
quitté sa maison et sa famille,
emportant avec lui une petite valise
pour se diriger vers le Jourdain, après
la bataille d’al-Karama (mars 1968). Il
a rejoint les rangs du Fateh, et je me
rappelle comment il s’infiltrait dans sa
maison et parmi sa famille, de temps en
temps pour embrasser sa mère et son père
avant de mener une opération militaire.
Il a mené plusieurs opérations
héroïques, dont l’explosion d’une usine
pour voitures dans la colonie Netserit
Ilit. Il s’infiltrait dans le pays en
tenue militaire et se déplaçait dans des
véhicules « israéliens », aidé par son
apparence physique et par le fait qu’il
parlait couramment l’hébreu. Il a été
assassiné à la fin de 1974 au Liban par
des gens du Mossad.
Je me rappelle le
parcours du martyr et militant Fadil
Yunis, l’écrivain qui a été détenu
pendant 20 ans dans les prisons de
l’occupation, avant d’être expulsé. Il
est revenu avec le dirigeant Abu ‘Ammar,
et a eu pour fonction de diriger la
sécurité préventive dans la ville de
Ariha puis Tulkarm. Ce sont ceux-là que
j’ai suivis, ils m’ont dessiné la voie
de la lutte, du combat et de la
révolution.
Q. : Peux-tu
évoquer ton travail, ton rôle dans la
lutte et les principales actions
auxquelles tu as participé ?
R. Je ne
peux détailler mon rôle militant, mais
en résumé, je peux dire que je me suis
enrôlé dans le mouvement du Fateh en
1979 avec mon frère, mon confrère et
cousin, Maher Yunis et d’autres, par le
biais du regretté Hajj Shamel Yunis, qui
a été enrôlé par le grand dirigeant au
Fateh, Hamze Yunis. Il l’avait rencontré
au royaume d’Arabie saoudite lors d’un
pèlerinage à la Mecque.
Nous avions formé
une cellule, au début, pour aider et
soutenir l’action combattante en
Cisjordanie, en fournissant les armes et
le matériel. Nous recevions des ordres
en langage chiffré par la radio, nous
rassemblions les armes de toutes sortes,
nous les posions dans des cachettes,
pour des cellules combattantes dans
Nablus, Jénine et Ramallah.
Au début, nous
rassemblions les armes à partir des
trafiquants d’armes et à partir de nos
connaissances parmi no frères druzes de
la Galilée, puis ensuite directement des
soldats israéliens juifs qui
s’attaquaient aux dépôts d’armes dans
les casernes dans lesquelles ils
travaillaient. Les opérations étaient
complexes et comme dans les films, nous
ne les rencontrions jamais face à face,
nous échangions nos voitures quelques
heures par jour, et parfois toute une
journée, nous recevions les voitures
chargées d’armes.
De plus, nous
fournissions à la direction des
renseignements et des rapports à partir
de la surveillance de quelques endroits
et des personnalités israéliennes. En
1980, il nous a été demandé de kidnapper
un soldat israélien et de l’enfermer
pour l’échanger avec des prisonniers
palestiniens détenus dans les prisons de
l’occupation. Cela s’est fait en
quelques heures, ce qui a surpris les
responsables qui n’étaient pas prêts, à
cause de notre rapidité, ce qui nous a
obligé à le tuer. Nous avions continué
en même temps à fournir les cellules de
combattants en Cisjordanie en armes en
grande quantité, jusqu’à ce qu’une des
cellules de Nablus soit arrêtée à la fin
de 1982. Une seule erreur au cours de
notre livraison a suffi, lorsqu’un
membre de la cellule a reconnu l’un de
nous, ce qui a entraîné l’arrestation de
notre cellule et notre détention.
C’était en janvier 1983.
Q. : Comment
fut ton expérience en tant que
prisonnier ? Que peux-tu nous en dire ?
Quelles en ont été les conséquences ?
Que peux-tu conseiller à ceux qui
subissent la même expérience ?
R. : J’ai
été arrêté le 5/1/1983, j’étais alors
étudiant à l’université Ben Gourion dans
Beer Saba’. J’ai été arrêté dans
l’université, pendant que je me trouvais
au laboratoire. Des dizaines de membres
des services de renseignements Shabak
ont investi l’université en vêtements
civils. Auparavant, des amis, des
confrères et des proches et un certain
nombre d’étudiants avaient été
interpellés, dans le but de rassembler
des informations sur moi et sur mon
activité universitaire, sur mes
mouvements, le lieu d’abitation, les
heures de travail, etc..
Un jour avant
l’arrestation, tard dans la nuit, une
grande force militaire a envahi la
maison familiale au village, dans le but
de m’arrêter, mais elle ne m’a pas
trouvé à la maison. Elle a envahi
l’université avant midi. Juste après mon
arrestation, l’un des membres des
services de renseignements m’a informé
que je suis accusé d’appartenir à une
organisation ennemie et d’agir contre
l’Etat, puis je fus emmené au centre de
la police de Beer Saba’, où je suis
resté jusqu’à tard dans la nuit. Puis je
fus transféré, avec les yeux bandés et
les mains menottées, à l’arrière d’une
voiture spéciale vers le centre de la
police à Afula. J’y ai comparu devant le
juge du tribunal qui a ordonné de
m’emprisonner 15 jours.
De Afula, j’ai été
transféré, un jour de pluie, dans une
jeep militaire vers la vieille prison de
Nablus, au centre d’interrogatoire du
Shabak. A peine arrivé, l’un des
instructeurs me dit : nous t’avons amené
à Nablus pour que personne ne puisse
savoir que tu es là, nous pouvons
t’enterrer sous terre sans que personne
ne le sache, car ici, il n’y a pas de
loi ». Puis l’interrogatoire a commencé,
avec plusieurs instructeurs, je me
rappelle de certains des surnoms qu’ils
avaient, « Abu Sharif », « Abu Sayf »,
« Abu Farid », « Captain George » et
d’autres.
Malgré l’absence
d’expérience, car c’était la première
arrestation dans ma vie, et bien que je
n’avais aucune idée auparavant, et les
conditions dures des interrogatoires à
cette époque, avec le shabah, les coups,
les menaces, l’interdiction de dormir,
le froid, j’ai tenu bon et n’ai dit
aucun mot.
Après 15 jours, ils
m’ont donné de nouveaux vêtements, lavés
et chauds, pour me présenter devant le
juge militaire et préciser mon
emprisonnement, à l’intérieur de la
prison, sans avocat et sans me donner la
possibilité de me défendre. De façon
automatique, ma détention a été
renouvelée de deux mois supplémentaires.
Evidemment, ils ont interdit toute
rencontre avec un avocat, et deux
semaines plus tard d’interrogatoire dans
les cellules de la prison de Nablus,
j’ai été transféré au centre du Shabak
dans la prison de Jalameh, et là j’ai su
qui avait été arrêté, Maher Yunis, Sami
Yunis et d’autres.
Les instructeurs
m’ont affronté avec des accusations et
des aveux contre moi. Il me fut autorisé
pour la première fois de rencontrer un
avocat, et malgré mon état de santé qui
s’était fortement détérioré, je suis
resté ferme et silencieux, refusant de
leur donner même une seule arme, même
celle du soldat qui a été tué, malgré la
forte pression exercée sur moi, à ce
propos, à tel point qu’ils ont amené sa
mère qui a essayé de me supplier de lui
donner ce souvenir de son fils. J’ai
également refusé de reconstituer
l’opération, malgré le grand
nombre de renseignements et de
détails avec lesquels les instructeurs
m’ont affronté. Mais j’ai tenu bon.
Dans tous les cas,
je suis resté dans les cellules des
interrogatoires près de 70 jours, puis
un chef d’accusation a été présenté
contre moi au tribunal militaire de Lid,
puis je fus transféré au centre
d’arrestation de Nitsan dans la prison
de Ramleh, et là, j’ai rencontré un
grand nombre de ceux qui ont été arrêtés
dans toutes les régions, en Cisjordanie
et à Gaza. Et j’ai rencontré Maher et
Hajj Shamel.
Hamze
Yunis
Q. Peux-tu
nous entretenir de ton expérience en
prison ?
R. Mon
expérience en prison peut être
considérée riche, en comparaison avec la
situation actuelle, et ne peut être
réduite en quelques lignes. J’ai été
emprisonné en 1983, et j’ai vécu avec un
grand nombre de prisonniers, les
premiers dirigeants dans toutes les
régions, et de toutes les tendances
politiques, à un moment où les
conditions dans les prisons et les
centres de détention différaient
totalement de celles qui prévalent
aujourd’hui. Le mouvement des
prisonniers avait un rôle d’avant-garde
et une grande influence sur ce qui se
passait à l’extérieur, sur le plan
national mais aussi au niveau des
organisations.
Dès la fin de la
période d’arrestation et après l’énoncé
de la condamnation à mort, contre moi,
et mon frère et compagnon d’armes Maher
Yunis, nous avons été placés en
isolement dans une section spéciale,
séparée et sous haute surveillance,
pendant 9 mois, puis il y a eu l’appel
au jugement, où la peine de mort a été
commuée en prison à vie.
Après cete période,
j’ai été transféré à la prison de
Ascalan, où j’ai rencontré les
dirigeants prisonniers et les plus
anciens, comme Abdallah Skafi, Abu ‘Ali
Shahine qui était prisonnier depuis le
début de 1968, puis le martyr Umar
Qassem, Salim Zri’i, Mas’ud Ra’i, Hisham
Abdel Razeq, Ziyad Loh, Khaled Tantash,
Ghazi Abu Giab, et plus tard le martyr
dr. Fathi Shiqaqi, et beaucoup d’autres.
Outre le fait qu’ils aient profité de
leur expérience carcérale et
organisationnelle, ils ont influencé mon
expérience de manière positive.
A Ascalan aussi, il
y a eu l’expérience de la première grève
de la faim en 1984. A mon avis, ce fut
une grève réussie, et beaucoup de
réclamations concernant la vie en prison
ont été exécutées, comme la radio, les
couvertures pour les matelas, les draps,
les pyjamas et autres.
J’ai eu un rôle
particulier durant cette grève car
j’étais responsable de la liaison et de
la rédaction des lettres aux députés
arabes au Knesset et au ministre de la
police et aux organisations juridiques
israéliennes. Je dis particulier car
c’était la première fois que les
prisonniers s’adressaient aux
responsables et aux organisations des
droits de l’homme israéliennes, ce qui a
eu un rôle important pour dénoncer ce
qu’a fait la direction des prisons
envers les prisonniers au cours de la
grève dans la prison de Nafha, en 1980,
et où trois prisonniers se sont élevés
en martyrs à cause de l’alimentation
forcée au cours de la grève.
Dans tous les cas,
dès le début, j’ai ressenti l’ampleur de
la confiance qui m’a été accordée par
les frères responsables, et la confiance
en mes capacités, probablement parce que
je connaissais l’hébreu et que je
pouvais communiquer par le dialogue, les
lettres et les communiqués, à la presse
hébreue. Le frère Hisham Abdel Razeq
comptait sur moi à ce niveau, et j’ai
intégré le comité culturel, un des plus
grands comités, et un des plus
importants, à cette époque.
A la fin des années
80, après l’échange des prisonniers et
la libération de plus d’un millier de
prisonniers, condamnés à la perpétuité
et aux lourdes peines, j’ai été
transféré à la prison de Nafha, où j’ai
eu un rôle dans les conseils
organisationnels. J’ai ensuite été élu
commissaire aux relations extérieures et
membre du comité général de la lutte,
rassemblant toutes les organisations,
puis j’ai eu la confiance de l’ensemble
et j’ai été élu comme représentant des
prisonniers.
Je me suis déplacé
entre les prisons et je suis resté
représentant des prisonniers, jusqu’en
2005, qui a assisté au recul du
mouvement des prisonniers. Il y a eu la
grève de 2004-2005 qui a dû affronter la
détestable division interne, qui a porté
le coup de grâce à ses institutions et
ses cadres représentatifs. La
compétition a pris la place de la
complémentarité entre les organisations
ou à l’intérieur de la même
organisation, sans exception. Lorsque la
coordination disparaît, les intérêts
étroits priment et remplacent l’intérêt
général, et tu sens qu’il est difficile
de poursuivre, d’autant plus que tu
réalises que tu ne peux plus jouer dans
ce cadre étroit et peu élevé. Ton action
nationale se réduit alors, ainsi que ta
lutte, vers un niveau que tu refuses.
Q. : Comment
ta famille a vécu ton parcours ?
R. : Je
pense que le chemin de la souffrance de
la famille commence dès l’arrestation.
La souffrance de ma famille est
semblable à celle des autres, il y a une
grande souffrance, inimaginable,
d’autant plus qu’elle dure depuis trois
décennies.
Quelle famille ou
quelle mère ou quel père peuvent
supporter une telle souffrance, pendant
toutes ces années, tout en poursuivant
leur enfant d’une prison à l’autre. Je
suis certain que la mère, même avec
toute la force qu’elle possède, son
coeur continue à saigner lors de toute
occasion heureuse comme les fêtes ou les
festivités, tant qu’elle se trouve en
situation d’attente, et probablement à
cause de l’éloignement. La mère a
beaucoup supporté, au-delà de ses
capacités, et te porte, toutes ces
années, dans ses larmes et son coeur,
avec l’espoir qui l’accompagne à tout
instant, tout au long de sa vie.
Ce dialogue est
la première partie (8 questions sur un
ensemble de 27 questions) d’un
« Dialogue entre deux combattants
prisonniers », livre paru en mars 2020
et publié par dr.
Ra’fat Hamduna, ancien prisonnier
libéré, directeur du centre des
prisonniers pour les études, dans la
bande de Gaza
(https://alasra.ps/ar/index.php) .
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