Algérie en phase
avec le mouvement du monde
Anniversaire du
Traité de Rome :
La tentation d'une
Europe à deux vitesses
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Mardi 28 mars 2017
«Les migrants
d'aujourd'hui prennent les routes que
les Européens ont ouvertes à l'époque de
la colonisation. Une fois qu'une voie
est tracée, elle est forcément à double
sens. Les Français ont colonisé il y a
cent ans des pays du Maghreb, du
Moyen-Orient et d'Afrique subsaharienne,
il est donc naturel que les habitants
des anciens pays francophones viennent
chez nous aujourd'hui!».
Didier Raoult
Il y a 60 ans six
pays européens décidaient de mettre en
commun leurs capacités pour créer une
Europe économique après l'expérience de
la Communauté du charbon et de l'acier.
Deux hommes ont joué un rôle important
dans le rapprochement des pays. Ce sont
Robert Schumann et Jean Monnet, hommes
politiques qui ont prôné inlassablement
l'unité. Le traité de Rome est
l'aboutissement, le 25 mars 1957, du
processus de relance de la construction
communautaire pour la création d'un
grand marché commun consacrant la
libéralisation des échanges, mais
rejetant l'intégration supranationale.
Six Etats: la France, la République
fédérale d'Allemagne, l'Italie et les
pays du Benelux (Belgique, Pays-Bas et
Luxembourg) mettent en place une union
douanière à partir du 1er janvier 1959.
La cérémonie rituelle sans conviction
On a senti dans ces
cérémonies comme une atmosphère de fin
de règne: «Les discours, lit-on, se sont
enchaînés sans interruption, revenant
tous sur la nécessité d'une Europe unie,
solidaire, régénérée. Le Premier
ministre italien Paolo Gentiloni (Parti
démocrate, centre gauche) a beaucoup
insisté sur les questions sociales, la
nécessité de réorienter l'UE vers la
lutte contre la pauvreté et les
inégalités. C'est Donald Tusk, président
du Conseil européen, qui a eu les
paroles les plus fortes. «Prouvez
aujourd'hui que vous êtes les leaders de
l'Union, que vous pouvez prendre soin de
ce grand héritage que nous ont confié
les héros de l'intégration européenne il
y a soixante ans», a exhorté le
Polonais, rappelant au passage avoir
vécu plus de la moitié de sa vie
derrière le rideau de fer, dans un pays
«où il n'était même pas possible de
rêver des valeurs européennes». Dans
leur déclaration, les 27 se sont engagés
à «agir de concert, si nécessaire à des
rythmes différents et avec une intensité
différente, tout en avançant dans la
même direction, comme nous l'avons fait
par le passé, conformément aux traités
et en laissant la porte ouverte à ceux
qui souhaitent se joindre à nous plus
tard». Ils ont aussi réaffirmé que leur
«Union est une et indivisible», en
réponse explicite au Brexit. «L'Europe
est notre avenir commun», conclut la
déclaration» (1).
Une usure des récits politiques et un
désamour pour Bruxelles
Thierry Chopin,
directeur des études à la Fondation
Schuman, interviewé par Sabine Syfuss-Arnaud
met en garde sur la nécessité pour
l'Europe de se reformer au risque de
disparaître, il déclare: «On peut parler
d'une usure des récits et discours
politiques, qui ont justifié et légitimé
jusqu'à une date récente la construction
européenne aux yeux des citoyens. Après
la réunification et la paix, la
prospérité économique devait emporter
l'adhésion des citoyens pour l'Union
européenne. L'économie est devenue le
coeur du projet européen, avec le marché
unique et l'euro comme projets
structurants. Si l'Europe n'a jamais été
aussi riche, ce di cours 'économique''
s'est brisé sur la crise financière et
économique et ses conséquences sociales
et politiques. La construction
européenne est, en effet, également le
produit de logiques nationales,
porteuses de visions et d'intérêts
spécifiques. Si la France cherchait à
renouer le fil de sa grandeur passée et
l'Allemagne sa 'rédemption'' après le
nazisme, le Royaume-Uni et les pays du
Nord de l'Europe se plaçaient dans une
pure logique «utilitariste
«d'optimisation de leurs intérêts
nationaux. Enfin, les pays du Sud de
l'Europe ainsi que les pays du centre et
de l'est étaient dans une logique de
'sublimation'', avec le passage rapide
d'un système politique et économique à
un autre: la démocratie libérale et
l'économie de marché. Or, ces logiques
nationales ont évolué.» (2)
«En dépit de
spécificités nationales poursuit Thierry
Chopin, le développement des populismes
en Europe converge vers un certain
nombre d'éléments identifiables que l'on
retrouve à des degrés divers dans les
différents États membres concernés. Cela
se traduit par l'inscription dans les
agendas politiques nationaux de discours
basés sur un protectionnisme économique,
culturel et identitaire. Les électeurs
sont lassés de l'alternance unique entre
les partis traditionnels de droite et de
gauche et se tournent vers les partis
populistes qui apparaissent souvent
comme la seule alternative possible. Sur
le plan économique, l'Union européenne
est souvent perçue comme un cheval de
Troie de la mondialisation. (...) La vie
politique, au niveau de l'Union
européenne, se réduit en effet de plus
en plus à deux composantes: d'un côté,
une composante technocratique et, de
l'autre, le jeu diplomatique entre chefs
d'État et de gouvernement au sein du
Conseil européen La construction
européenne a trouvé son sens pendant un
demi-siècle en ancrant la paix et la
démocratie sur le continent et en
ouvrant aux entreprises européennes un
marché domestique de taille comparable
au marché américain. Il faut désormais
lui apporter un prolongement politique
et externe. L'Union doit se tourner vers
un monde qui change rapidement, et
s'adapter aux rapports de force
politiques mondiaux en mutation.» (2)
Qu'est-ce que
«l'Europe à plusieurs vitesses»?
L'affaissement du
projet Europe a incité les pays
fondateurs à revenir à leur format
initial exit d'une façon indirecte les
nouveaux pays, notamment les pays de
l'Est. «L'expression 'Europe à plusieurs
vitesses'' est généralement utilisée
pour désigner une construction
européenne dans laquelle tous les Etats
membres ne participent pas à l'ensemble
des politiques communes. Tout en
partageant certaines valeurs et règles
fondamentales, les Etats qui ne
souhaitent pas prendre partie à l'une
des politiques peuvent choisir de s'en
exclure. L'Europe à géométrie variable»
ou encore, de manière plus péjorative
pour les tenants d'une Union intégrée,
'Europe à la carte''. Si certains
souhaitent qu'elle se développe
davantage, «l'Europe à plusieurs
vitesses» est déjà une réalité. En
témoigne l'existence de la zone euro, ou
encore l'espace Schengen, (...) Depuis
le traité d'Amsterdam en 1997, les Etats
membres peuvent aller encore plus loin
dans l'intégration différenciée à
travers la coopération renforcée. Cette
procédure permet à un minimum de neuf
Etats de poursuivre une politique
commune sans y associer les autres
membres de l'UE. (....) En l'état actuel
des choses, sans aucune modification des
traités, les coopérations renforcées
pourraient être multipliées. Le problème
est que sur certaines politiques
communes déterminantes pour l'avenir de
l'UE, les décisions doivent être prises
à l'unanimité. C'est notamment le cas de
la politique étrangère et de sécurité
commune, La mise en place d'une 'Europe
à plusieurs vitesses'' efficace pourrait
aussi passer par un changement de
traité, réadaptant le processus
décisionnel au niveau européen. L'idée
serait de laisser davantage la
possibilité aux Etats membres qui le
souhaitent de poursuivre des objectifs
communs avec d'autres, sans pour autant
engager l'UE dans son ensemble. (...)
certains estiment que 'l'Europe à
plusieurs vitesses'' creuserait les
écarts entre Etats membres, qu'ils
soient économiques ou politiques Elle
pourrait même être discriminatoire et
conduire à l'exclusion de certains pays,
malgré eux, des politiques communes.
Cette crainte est notamment présente à
l'Est.» (3)
Les prémices de
l'effritement
Les Vingt-Sept ont
signé à Rome une déclaration qui trace
l'avenir de l'UE dans un contexte de
tensions, soixante ans après la
signature du traité fondateur. «Il y
aura un 100e anniversaire de l'UE», a
prédit à cette occasion le président de
la Commission européenne Jean-Claude
Juncker à son arrivée. «Nous sommes en
train d'ouvrir une porte que nul ne
pourra refermer», dit Paul-Henri Spaak
avant de signer le traité de Rome le 25
mars 1957, paraphrasant l'Apocalypse de
Saint Jean. Ce futur sera fait d'unité,
tout en laissant les États qui
souhaitent avancer plus vite dans des
politiques précises. C'est ce qu'il
ressort de la dernière version de la
déclaration de Rome dont L'Echo a eu
connaissance. (...) La Pologne, échaudée
lors du dernier sommet européen par le
renouvellement du mandat du président du
Conseil Donald Tusk, a menacé durant
toute la semaine de ne pas signer la
déclaration de Rome. La Première
ministre Beata Szydlo était opposée à ce
que le texte fasse référence à 'l'Europe
à plusieurs vitesses'' voulue par la
France, l'Allemagne et d'autres pays
comme la Belgique qui veulent aller plus
loin dans certains secteurs, comme la
défense, la sécurité et l'économie. Les
27 se sont finalement engagés à «agir de
concert, si nécessaire à des rythmes
différents et avec une intensité
différente, tout en avançant dans la
même direction, comme nous l'avons fait
par le passé, «Une Europe à plusieurs
vitesses ne signifie nullement qu'il n'y
a pas une Europe commune à tous», s'est
efforcé de rassurer la chancelière
allemande Angela Merkel devant la
presse.» (4)
Le manque de
solidarité
Alexandre Devecchio
interviewé par Coralie Delaume et David
Cayla fait un procès en règle de l'Union
européenne qui pour lui a pris un
mauvais départ. Au lieu d'une Europe des
peuples c'est une entité économique
supranationale. Pour lui le bilan de
soixante ans de construction européenne
est assez calamiteux, forcément. (..)
Les deux années qui viennent de
s'écouler ont vu se succéder deux
événement majeurs. D'abord, la crise
grecque de janvier à juillet 2015, qui
s'est soldée par une mise en coupe
réglée de la Grèce.(...) L'autre
événement majeur est évidemment le
Brexit, qui sera officiellement
enclenché le 29 mars. Symboliquement,
c'est un coup très dur pour l'Union
européenne, (...) De plus, contre toute
attente, l'économie du pays ne
s'effondre pas. Le professeur
britannique Robert Skidelsky a récemment
expliqué pourquoi, dans une tribune
parue dans la presse suisse: «La
nouvelle situation créée par le Brexit
est en fait très différente de ce que
les décideurs politiques, presque
exclusivement à l'écoute de la City de
Londres, avaient prévu. Loin de se
sentir dans une moins bonne situation
(...), la plupart des électeurs du Leave
pensent qu'ils seront mieux lotis à
l'avenir grâce au Brexit. Justifié ou
non, le fait important à propos de ce
sentiment est qu'il existe.» En somme,
les Britanniques ont confiance dans
l'avenir, et cela suffit à déjouer tous
les pronostics alarmistes réalisés sur
la foi de modèles mathématiques. Or si
la sortie du Royaume-Uni se passe bien
économiquement, ça risque là encore de
donner des idées aux autres pays.» (5)
«L'Union européenne
est de moins en moins hospitalière
poursuit l'auteur. Il cite des postures
inadmissibles: «(...) D'autres
s'adonnent carrément à l'injure tel
Jeroen Dijsselbloem, le président
néerlandais de l'Eurogroupe, affirmant
toute honte bue le 21 mars: «Durant la
crise de l'euro, les pays du Nord ont
fait preuve de solidarité vis-à-vis des
pays touchés par la crise. En tant que
social-démocrate, j'accorde une très
grande importance à la solidarité. Mais
[les gens] ont aussi des obligations. On
ne peut pas dépenser tous l'argent dans
l'alcool et les femmes, et ensuite
appeler à l'aide». (...) Le scénario
d'une crise extérieure est aussi
envisageable. Après tout, la crise
financière de 2008-2009 est venue des
États-Unis. Comment l'Allemagne, premier
pays créancier au monde,
absorberait-elle la perte de son épargne
qui ferait suite à une déflagration
financière mondiale? Que se passerait-il
si une nouvelle crise touchait par
exemple l'Italie ou si une brusque
remontée des taux d'intérêt rendait de
nombreux pays d'Europe du Sud à nouveau
insolvables? (5)
Certains
«eurosceptiques» pensent que le ver
était dans le fruit, que la personnalité
même des «Pères fondateurs» (Monnet,
Schumann) souvent proches des États-Unis
et/ou des milieux d'affaires portait en
germes l'échec de l'Europe, qui ne
pouvait être qu'un grand marché intégré
un peu amorphe, une sorte de grande
Suisse. Ce n'est pas notre avis. Il y a
eu en effet, pendant toute l'époque
gaulliste, un affrontement entre deux
visions de l'Europe. Celle de Monnet et
des autres «Pères fondateurs», désireux
de fonder une Europe supranationale qui
échappe aux «passions populaires» et
soit confiée aux bons soins de
techniciens. C'est elle qui s'est
imposée,(...) Pourtant, il existait une
autre conception de l'Europe, celle des
gaullistes. Elle semble d'ailleurs
connaître actuellement un regain
d'intérêt puisque l'on entend parler à
nouveau, si l'on tend l'oreille,
«d'Europe européenne». Il s'agissait de
bâtir une Europe intergouvernementale
dont l'objet serait de coopérer dans le
domaine des Affaires étrangères, de la
Défense, de la recherche scientifique,
de la culture. (...)) Après cet échec,
le général de Gaulle n'a pas tout à fait
renoncé au projet (...) Il a proposé à
l'Allemagne d'Adenauer un traité
bilatéral bien connu, le traité de
l'Élysée.» (5)
L'avenir pour
les optimistes
A côté de cette
vision de larguer les pays en retard et
qui coutent à l'Europe en proposant
l'Europe à deux vitesses, il se trouve
des intellectuels qui en appellent à une
Europe de la défense Ainsi pour Patrice
Franceschi: «Le salut de l'Europe et des
nations passe par une puissance fédérale
Il ne faut avoir peur ni du mot «Europe»
en tant que tel, ni de celui
d'«États-Unis» qui lui est associé. Nous
ne devons plus être un peuple effrayé
dirigé par des gens effrayés. Dans la
crise existentielle que nous traversons
- car tout est là et l'ensemble de nos
problèmes en découlent. Les États-Unis
d'Europe sont ce rêve réaliste. Ils
permettent de dire à notre jeunesse
«faisons de grandes choses ensemble» -
exhortation d'une société vivante -
plutôt que de simplement lui demander de
bien vouloir «vivre ensemble» -
exhortation d'une société malade. Les
«États-Unis d'Europe» sont une
construction politique; donc l'opposé de
«l'Union européenne», construction
économique qui a trahi tous nos espoirs.
Les États-Unis d'Europe sont aussi le
seul véritable projet de société
novateur dont nous disposons. Projet de
société qui, de surcroît, possède deux
qualités: il surplombe la dialectique
gauche-droite et peut permettre à chacun
d'entre nous d'inscrire son parcours
personnel dans un projet collectif
redonnant du sens à sa vie individuelle.
Il n'y a rien de plus important que
cela. En vérité, le reste est
secondaire.» (6)
Pour nous l'Europe
dont on a parlé c'est celle de la
conquête spatiale qui a permis à
l'Europe de s'imposer dans la course à
l'espace. Nous l'avons eu avec la fusée
européenne Ariane. Nous l'avons vu avec
le programme Rosetta qui a été une
splendide réussite.
A côté de ses
prouesses, il en est d'autres, moins
glorieuses , celle de la finance qui
décide contre les peuples au point de
placer l'un des leurs chez Goldman
Sachs, celles des nationalismes chauvins
comme celui de la Hongrie, de la Pologne
qui interdisent toute entrée de migrants
qui viennent mourir aux portes du
supermarché européen. Et pourtant c'est
en partie la politique désastreuse
européenne qui a amené le chaos en Syrie
et en Libye, mais ceci est une autre
histoire.
1.
http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/03/26/a-rome-l-union-europeenne-fete-ses-60-ans-et-s-offre-une-parenthese-ensoleillee_5100929_3214.html#EAOT
jO9hjfcM4WEd.99
2.
https://www.challenges.fr/monde/europe/60-ans-du-traite-de-rome-l-europe-peut-disparaitre-si-elle-ne-se-reforme-pas_462643#xtor=EPR-1-[ChaActu10h]-20170326
3.
http://www.touteleurope.eu/actualite/qu-est-ce-que-l-europe-a-plusieurs-vitesses.html
4. http://www.lecho.be/economie-politique/europe-general/Les-dirigeants-europeens-ont-ouvert-la-porte-a-une-Europe-a-deux-vitesses/9876875?ckc=1&ts=1490467244
5. Alexandre
Devecchio
http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2017/03/24/31003-20170324ARTFIG00330-anniversaire-du-traite-de-rome-l-union-europeenne-est-de-moins-en-moins-hospitaliere.php
6.
http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/03/25/sept-questions-sur-le-traite-derome_5100680_3214.html#
BxVmMTDtJQxmQ8W0
Article de
référence
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_
chitour/263286-la-tentation-d-une-europe-a-deux-vitesses.html
Professeur Chems
Eddine Chitour
Ecole Polytechnique
Alger
Publié le 30 mars 2017 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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