Algérie en phase
avec le mouvement du monde
Brexit or not brexit:
Le grand capital joue à se faire peur
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Jeudi 23 juin 2016
«On est
peut-être les gentlemen anglais
fair-play, mais on est aussi les
enfoirés de la perfide Albion.»
John Le
Carré (grand écrivain de romans
policiers)
Un mal qui répand
la terreur, un mal que l'Europe
appréhende pour punir les crimes de ceux
qui osent se dresser contre l'orthodoxie
néolibérale. La menace du Brexit,
puisqu'il faut l'appeler par son nom
capable d'enrichir en un jour toujours
les mêmes et ruiner toujours les plus
faibles. On assiste à une comédie
humaine malsaine où les riches et les
puissants jouent à se faire peur,
amusent la galerie. Le score est connu,
le capital ne se laissera pas faire; les
puissants de toutes les parties
s'uniront et encore les faibles, les
besogneux, les sans-grade verront leur
destin leur échapper, formatés qu'ils
sont par un pouvoir et saturés ad
nauseam par une presse qui a reçu
instruction de faire paraître la sortie
du Royaume-Uni de l'Europe sous un jour
couleur de soufre. Tout est parti comme
on le sait de l'ambition de Cameron de
se faire réélire encore. Il a pu le
faire grâce à un coup de génie
malfaisant en offrant au bon peuple un
hochet, nous allons demander à sortir de
cette Europe qui nous prend plus qu'elle
nous donne. Le bon peuple naïf comme
toujours a donné un quitus à Cameron
réélu pour exiger plus que les autres au
nom de sa spécificité.
La bataille du
Brexit se joue aussi dans les journaux
Dans cette triste
comédie, les medias s'en donnent à
pleine page pour conditionner le citoyen
lambda et lui faire miroiter
alternativement le Brexit et ses
conséquences désastreuses pour les
Anglais et pour l'Europe, ceci à usage
des citoyens anglais. Pour les
continentaux, notamment les hommes
politiques français la sortie de la
Grande-Bretagne est une bénédiction. La
city pourrait venir à Paris, bien qu'en
Allemagne on pense accueillir la City à
Frankfurt.
Toujours dans ce jeu de rôles, les
journaux se sont répartis les rôles, les
in et les out Estelle Pattée parle de
cela: «Les journaux britanniques
s'écharpent'' sur la position à adopter.
Les journaux anglais affichent tour à
tour leur position en faveur du Remain
(maintien) ou du Leave (partir),
appelant leurs lecteurs à les suivre. Un
bal ouvert par The Sun, journal le plus
lu du Royaume-Uni, qui titrait dans son
édition de mardi 14 juin, «Be leave in
Britain». «C'est notre dernière chance
de nous retirer de la machine
antidémocratique de Bruxelles, Rester
sera pire pour l'immigration, pour les
emplois, pour les salaires et pire pour
notre façon de vivre.»,The Mail on
Sunday a appelé dimanche au maintien de
la Grande-Bretagne dans l'UE. «Tout
comme leurs confrères du Guardian, les
journalistes de The Observer se sont
positionnés dimanche dans le camp du
Remain. «Pour une Grande-Bretagne
internationale, libérale et ouverte,
nous devons faire partie de l'Union
européenne», titre le journal de centre
gauche dans son éditorial de dimanche.
(...) The Sunday Telegraph prend aussi
clairement position en faveur d'un
Brexit. «Nous croyons que la campagne
pour un Brexit a articulé une vision
ambitieuse pour la Grande-Bretagne en
tant que nation indépendante, encore une
fois libre de prendre ses propres
décisions. Le camp du Remain, en
revanche, a eu recours à un sombre
pessimisme»,explique le journal. Avant
de conclure ironiquement: «Quitter l'UE
ne veut pas dire quitter l'Europe. Un
vote pour un Brexit jeudi ne changera
pas notre géographie.» (1)
Le veto de de Gaulle
d'admettre l'adhésion de la
Grande-Bretagne
On sait que de
Gaulle sans doute traumatisé par la
position de la Grande- Bretagne et des
Etats-Unis ne voulait pas d'un cheval de
Troie en Europe et d'une tutelle
indirecte américaine. Par deux fois il
refusa l'adhésion. Pour rappel, De
Gaulle n'a été informé par Churchill du
débarquement que quelques jours
auparavant. Il y avait une volonté
anglo-américaine de tutelle sur la
France au sortir de la Seconde Guerre
mondiale, notamment en y créant une
sorte de protectorat avec une monnaie
américaine en francs américains et 500
fonctionnaires formés par les Etats-Unis
prêts à prendre en charge cette province
de l'empire. Il a fallu la constitution
du gouvernement provisoire à Alger par
de Gaulle pour lutter pour la
souveraineté de la France. On comprend
les réticences de de Gaulle vis-à-vis de
la perfide Albion. La Grande-Bretagne
n'intégrera l'Union qu'avec Pompidou.
Lors d'une
conférence de presse en janvier 1963, De
Gaulle explique son refus d'admettre
l'Angleterre: «(...) Dans cette très
grande affaire de la communauté
économique européenne et aussi dans
celle de l'adhésion éventuelle de la
Grande-Bretagne, ce sont les faits qu'il
faut d'abord considérer. (...) Le traité
de Rome a été conclu entre six Etats
continentaux. Des Etats qui
économiquement parlant sont, on peut le
dire, de même nature. (...) D'ailleurs,
ils sont contigus et ils
s'interpénètrent, ils se prolongent les
uns les autres (...). Alors il a été
psychologiquement et matériellement
possible de faire une communauté
économique des six. (...) Là-dessus, la
Grande-Bretagne a posé sa candidature au
Marché commun. Elle l'a fait après
s'être naguère refusée à participer à la
Communauté qu'on était en train de
bâtir. Et puis ensuite, après avoir créé
une zone de libre-échange avec six
autres Etats, (...) l'Angleterre a
demandé à son tour à y entrer, mais
suivant ses propres conditions. (...) »
Le général de
Gaulle poursuit son plaidoyer pour
expliquer son refus, en parlant de la
géographie : « (…) L'Angleterre, en
effet, elle, est insulaire. Elle est
maritime. Elle est liée par ses
échanges, ses marchés, ses
ravitaillements aux pays les plus
divers, et souvent les plus lointains.
(...) Par exemple, les moyens par
lesquels se nourrit le peuple de la
Grande-Bretagne et qui est en fait
l'importation de denrées alimentaires
achetées à bon marché dans les deux
Amériques ou dans les anciens Dominions,
(...) il faut convenir que l'entrée de
la Grande-Bretagne d'abord et puis ceux
de ces Etats-là changera complètement
l'ensemble des ajustements, des
compensations, des règles qui ont été
établis déjà entre les six, (...) Alors
je le répète, si les négociations de
Bruxelles ne devaient pas actuellement
aboutir, et bien rien n'empêcherait que
soit conclu entre le Marché commun et la
Grande-Bretagne un accord d'association
de manière à sauvegarder les échanges.»
(2)
Persistance et
deuxième refus
Le 29 septembre
1967, De Gaulle récidive en posant un
deuxième véto: «(...) Paris est persuadé
que l'entrée du Royaume-Uni dans le
Marché commun, même sous condition
d'accepter les conditions des traités,
change fondamentalement la nature de la
Communauté qui évoluerait vers une
grande zone de libre-échange. (...) Le
Premier ministre britannique ne se
rallie pas aux conceptions françaises en
matière de politique étrangère et de
défense. Harold Wilson continue à
préconiser la nécessité de l'engagement
des États-Unis dans la défense de
l'Europe et rejette la création d'une
force nucléaire européenne. (...) Dans
sa déclaration, le président français
insiste surtout sur l'incompatibilité de
l'économie britannique avec les règles
communautaires et souligne qu'une
adhésion du Royaume-Uni aux Communautés
européennes exige d'abord de la part de
celui-ci une transformation radicale
d'un point de vue politique et
économique. (...) Il faudra attendre le
retrait de Charles de Gaulle, trois mois
plus tard du poste de président de la
République française, pour pouvoir
relancer les négociations.» (3)
L’entêtement payant
de Margareth Thatcher
«I want my money
back», le cri de guerre de Margaret
Thatcher
Après l'adhésion, il nous faut tout
d'abord avoir à l'esprit que la
Grande-Bretagne a toujours défendu bec
et ongles ses intérêts, elle qui a
toujours deux fers au feu, d'abord, le
grand large vers les Etats-Unis
prioritaire dans ses choix et ensuite le
fait d'avoir sa place en Europe en
contribuant le moins possible. On dit
que le citoyen anglais contribue pour
105 euros/an au budget de l'Union,
pendant ce temps le citoyen allemand
contribue à hauteur de 335 euros. Il
n'empêche que les rapports de la
Grande-Bretagne depuis son adhésion à
l'Europe n'ont jamais été un long fleuve
tranquille.
Une dame dite de
fer a réussi à mettre au pas tous
les chefs d'Etat européens, à commencer
par Giscard d'Estaing, Helmut Schmidt,
et Mitterrand; son combat pour s'assurer
toujours les meilleurs avantages, a duré
plus de cinq ans. La contribution
suivante en témoigne: «Margaret Thatcher
«Ce que je veux, monsieur Palmer, c'est
tout simple: je veux qu'on me rende mon
argent» («I want my money back»).
Dublin, vendredi 30 novembre 1979: alors
que le sommet des chefs d'Etat et de
gouvernement des neuf pays de la
Communauté européenne vient de se
terminer sur un échec patent.
L'Angleterre paye plus qu'elle ne reçoit
du budget européen. (...) la crise va
durer près de cinq ans et se terminera
le 26 juin 1984 à Fontainebleau, sur une
victoire totale de «Maggie».(...)
Celle-ci sait aussi qu'elle peut compter
sur son opinion publique. De Dublin à
Fontainebleau, du 30 novembre 1979 au 26
juin 1984, les Neuf, devenus Dix après
l'adhésion de la Grèce, vont plancher
interminablement sur ce dossier de la
contribution britannique. (...)Il faudra
vite déchanter. «Maggie» veut toujours
«son argent» et ce n'est pas un
changement de locataire à l'Elysée qui
pourrait la faire dévier de son objectif
(...) Lors d'une escale à Alger, le
président français, va même jusqu'à
poser ouvertement la question sur «la
présence ou la nature de (la) présence
de la Grande-Bretagne dans la
Communauté». Le sommet de la dernière
chance s'ouvre à Fontainebleau le lundi
25 juin. Qu'importe les barguignages:
Maggie a obtenu un chèque substantiel.»
(4)
Et le petit peuple
dans tout ça?
Robert Bibeau,
animateur du site «Les sept du Quebec»
rejoint notre analyse et s'inscrit en
faux contre cette mascarade qui ne
concerne pas le prolétariat: depuis
quelque temps la gauche bourgeoise
européenne exulte à propos du duel que
se livrent deux factions de la
bourgeoisie britannique, une faction en
faveur du maintien du Royaume-Uni dans
l'Union européenne, l'autre faction en
faveur de l'âpre renégociation du traité
de l'Union. Tout ceci serait navrant si
ce n'était que la gauche bourgeoise
profite de l'opportunité pour mystifier
la classe ouvrière britannique et
européenne laissant croire que ce
conflit au sein de la bourgeoisie
l'interpelle. On nous dira qu'il n'y a
rien de neuf sous le soleil et que
depuis un siècle, depuis la Première
Guerre mondiale, la gauche bourgeoise
mobilise le prolétariat en faveur de
l'une ou de l'autre des factions
capitalistes en conflit. Si la gauche
bourgeoise avait à coeur les intérêts du
prolétariat européen elle se
demanderait: «Pourquoi le Brexit?» » (5)
L’auteur poursuit
en se posant la question de la
pertinence de ce vote : « Pourquoi ce
référendum mené par Cameron, un pion
politique du capital britannique, pour
soi-disant sortir son pays de l'Union
européenne? Ça ressemble à la mère qui
renie ses petits! Ça ressemble
avons-nous écrit, mais il faut se méfier
des apparences. Le prolétariat mondial
connaît les manigances des riches. (...)
Le «Brexit» vise à faire monter les
enchères pour le maintien de l'Union,
sachant que le retrait du Royaume-Uni
entrainerait d'autres replis, la Grèce
est à deux doigts de suivre ses pas...
et combien d'autres? Dans cette guerre
économique et politique préparatoire à
la guerre militaire qui suivra, il
semble que la gauche bourgeoise, comme à
son habitude, ait pris fait et cause en
faveur de la faction capitaliste
favorable à l'âpre renégociation de
l'Union en opposition à la faction
capitaliste monopoliste favorable au
maintien du marché commun et de l'Euro
en l'état. (...) » (5)
Le choix pour la
classe ouvrière ne se pose pas dans les
termes de «pour ou contre l'Europe»,
mais bien en termes de «Quelle Europe
voulons-nous?» L'Europe du capital ou
l'Europe du prolétariat international?
(...) Le référendum britannique sur le «Brexit»
offre-t-il cette alternative aux
ouvriers britanniques? Non, évidemment!
Il propose aux prolétaires britanniques
de se ranger derrière la clique des
capitalistes financiers de la City pour
obtenir une renégociation douce des
clauses de l'alliance avec la
bourgeoisie européenne, ou de se ranger
derrière la clique des capitalistes
manufacturiers afin de renégocier
âprement les clauses de l'Union.»(5)
Un autre son de
cloche qui consiste à dire en substance
que le peuple, en particulier les
ouvriers, doit voter, il a son mot à
dire et la décision lui appartient. Pour
Romaric Godin les ouvriers anglais
détiennent la clé du vote.Voteront-ils
bien? ou voteront- ils comme il faut: «A
écouter les débats autour du référendum
britannique sur le maintien dans l'Union
européenne du 23 juin, on a souvent
l'impression d'un dialogue entre les
deux grandes tendances de la droite
britannique: celle qui défend une
politique continentale active et celle
qui défend le «splendide isolement».
(...) Reste à savoir pourquoi les
classes ouvrières et populaires sont
prêtes à basculer dans le vote en faveur
du Brexit. Il semble, en tout cas, que
ces classes les plus fragiles ne croient
ni aux études catastrophiques sur les
conséquences économiques de la sortie de
l'UE ni au discours des dirigeants
travaillistes sur le «matelas de
protection» de droits sociaux qu'offre
l'UE face aux projets de la droite en
cas de Brexit. Pourquoi? Peut-être parce
que la situation de cette classe sociale
est mauvaise et qu'elle désire
logiquement la changer. Or, le vote «Remain»
est naturellement perçu comme un vote de
continuité. Le vote «Leave» s'impose
donc alors comme une alternative
possible que les discours de peur de
l'élite renforcent par ailleurs, en
confirmant que ce sont bien les plus
puissants et les plus riches qui ont le
plus à perdre d'un Brexit.» (6)
Pourquoi le oui au
maintien l'emporterait?
Tout milite en
faveur du brexit au vue des rapports de
force actuel. La sortie du Royaume uni
par dépit du bon sens, disent les « in »
va détricoter ce qui a été patiemment
mis en oeuvre depuis la Cega (Communauté
du charbon et de l'acier) devenue le
Marché commun auquel le Royaume-Uni a
demandé à intégrer malgré les réticences
de de Gaulle?
Rappelons que
globalement, les maux de l'Europe
actuelle, à savoir l'euro et l'espace
Shengen ne sont pas des contraintes pour
le Royaume-Uni. En clair, il se passera
qu'il ne se passera rien le jour
d'après, rien de nouveau sous le soleil.
Les sans-grade continueront à trimer et
le neo-libéralisme continuera à ravager
les espérances des peuples.
Le problème est de
savoir si la décision finale appartient
au peuple saturé d'informations
contradictoires. Berthold Brecht a dit
un jour que: «Si le peuple vote mal il
faut changer le peuple.» Nous pourrions
dire pour notre part, que tout est fait
pour changer la mentalité du peuple à
défaut d'avoir un peuple de rechange.
Pour nous, sans être devin, il est dans
l'essence des choses que les choses
suivront leur cours. Le Royaume-Uni
restera dans l'Union, tout le monde y
gagne sauf les peuples. Ne dit-on pas «Business
as usual?»
1.Estelle Pattée
http://www.liberation.fr/ planete/2016/06/20/la-bataille-du-brexit-se-joue-aussi-dans-les-journaux_1460542
2.
http://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00085/conference-de-presse-du-14-janvier-1963-sur-l-entree-de-la-grande-bretagne-dans-la-cee.html
3.
http://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/02bb76df-d066-4c08-a58a-d4686a3e68ff/0ae5df93-212b-417d-b875-857f4f310c21
4.
http://www.lemonde.fr/europe
/article/2005/05/11/30-novembre-1979-margaret-thatcher-i-want-my-money-back_648386_3214.html
5.
http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/brexit-on-ne-vote-pas-ca-ne-182099
6.
http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/brexit-pourquoi-les-ouvriers-anglais-detiennent-la-cle-du-vote-578339.html
Article de
référence
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_
chitour/244264-le-grand-capital-joue-a-se-faire-peur.html
Professeur Chems
eddine Chitour
Ecole Polytechnique
enp-edu.dz
Publié le 23 juin
2016 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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